Blogs - 07.09.2020

Hédi Béhi - un seul moyen pour faire entendre raison à Israël : l'inciter à se penser en Etat normal ?

Hédi Béhi: Ah ! s’ils l’avaient écouté plus tôt ! La délégation israélo-américaine emmenée par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, le 31 août 2020

Jamais un Etat arabe n'est allé aussi loin et aussi vite que les Emirats arabes unis dans leur politique de normalisation avec Israël et leur empressement à donner du contenu à l'accord qui les lie depuis peu à cet Etat. En l'occurrence, il ne s'agit pas seulement d'une normalisation diplomatique mais d'une coopération économique, scientifique et stratégique ainsi que de l'ouverture de lignes aériennes régulières. Une remarque : l'accord n'a pas suscité de protestations ni d'articles incendiaires ou des pétitions d'intellectuels permettant ainsi  l'instauration entre le deux pays d'une "paix chaude" en quelques jours. Ce qui ne fut pas le cas de l'Egypte qui a été mise en quarantaine par les autres pays arabes suite à sa normalisation avec l'Etat hébreu. Elle a dû se contenter d'une "paix froide" pendant une quarantaine d'années, le temps "de réchauffer" les sentiments de sa population envers l'Etat hébreu.

L'initiative des E.A.U n'a suscité aucune réaction dans "la rue arabe" et encore moins au plan officiel. Tout se passe comme si la Palestine avait cessé d'être "la cause sacrée des Arabes" et que les gouvernants comme les gouvernés s'étaient faits à l'idée d'un nouvelle andalousie. Un tabou est levé sur les contacts avec Israël. les esprits semblent désormais mûrs dans le monde arabe pour une paix globale avec Israël. C'est l'ultime clou qui est planté dans le cercueil de  cette chose qu'on a appelée panarabisme inventée par des Arabes chrétiens pour faire pièce à la montée du panislamisme au XIXe siècle sous la houlette de Mohamed Abdou et Jameleddine El Afghani. Une langue commune fût-elle sacrée ne suffit pas à cimenter les liens entre des peuples arabes ou arabisés que la colonisation a particularisée au point d'en faire des frères ennemis.

 Je ne vais pas hurler avec les loups, accuser tel ou tel pays arabe de trahison, dénoncer la normalisation avec l'Etat hébreu parce que je ne me sens pas, en tant que Tunisien, en droit de donner des leçons à un pays comme l'Egypte qui a sacrifié dans ses guerres avec Israël la fine fleur de ses enfants pour la libération de la Palestine et hypothéqué gravement son développement, ensuite, parce que cette normalisation avec Israël si décriée en public n'est que la consécration d'un état de fait qui est devenu un secret de Polichinelle.

Ce qu'il faut incriminer surtout c'est la gestion catastrophique du conflit arabo-isaélien par les dirigeants arabes. En rejetant en 1947 le plan de partage de l'ONU, puis en 1967, peu après la déroute des armées arabes, lorsque les israéliens avaient proposé aux chefs d’Etat réunis à Khartoum de restituer les territoires arabes occupés pendant la guerre des Six-Jours en contrepartie de sa reconnaissance par les pays arabes. Leur réponse fut les fameux 3 «non» : pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance  d’Israël, pas de négociations avec Israël.

On dit que la colère est mauvaise conseillère. Dans son fameux discours dAriha deux ans avant la guerre des six jours avait mis en garde ses pairs contre une éventuelle aventure militaire   :"Je méprise la colère parce que chez les Arabes, elle  empêche toute action lucide. C'est un alibi à l'inaction. On crie, on injurie, on lance des imprécations et on a ensuite l'impression de s'être délivré d'avoir accompli sa tâche". Il a été traité de défaitiste et de suppôt de l'impérialisme y compris par Hassanein Heykal.

Cette impulsivité, cette persévérance dans l’erreur ont fait plus de mal au monde arabe que les guerres avec l’Etat hébreu. Au lieu de confronter la réalité, les dirigeants arabes ont fait preuve d’un orgueil déplacé se réfugiant dans la démagogie et l’irréalisme, tout en en invoquant ce que l'orientaliste français et fin connaisseur du monde arabe, Maxime Rodinson a appelé  dans son livre "Israël et le refus arabe, «ce monstre indéfinissable, le marxisme ultra schématique qu’ils appellent impérialisme et dont ils ont un coupable idéal de tous les malheurs arabes».

L'erreur est humaine, persévérer dans l'erreur est diabolique". Il est temps de rompre avec la logique de guerre, et revenir à la solution des deux Etats. Israël est le plus fort aujourd'hui. mais il doit savoir que la logique de la démographie qui n'est pas en sa faveur. Le nombre d'arabes résidant en Israël aujourd'hui a atteint celui de la population juive. Quant aux arabes, ils doivent faire des efforts pour comprendre les craintes des juifs après toutes les injustices qu'ils ont subies tout au long de leur histoire. Ils ont certainement entendu parler du complexe de Massada, cette tendance d'Israël de se voir perpétuellement dans une forteresse assiégée. Il faut le rasséréner, sortir de cette logique de guerre dans laquelle les deux parties se sont enfermées. Car un nouveau conflit serait suicidaire pour les Arabes dans l'état actuel des choses tout comme la perpétuation de l'état ni guerre, ni paix reviendraient à enterrer la cause palestinienne. Avec ses victoires sur les armées arabes, Israël s'est habitué à vivre dangereusement. Autant, il se sent à l'aise dans les guerres, autant,il appréhende les périodes de paix. Par son bellicisme qui en a fait "un récédiviste des agressions"contre ses vioisins, Israël nous rappelle la Sparte de la Grèce antique. Ce qu'il craint par dessus tout, ce sont les périodes calmes parce qu'elles démobilisent la population israélienne.

Rodinson a déploré «la propension des Arabes à être toujours en retard d’une guerre en réclamant le statu quo ante après chaque défaite".Ils seraient mieux inspirés de renoncer au recours aux armes qui a montré son inanité et penser à une solution pacifique : mettre Israël en danger de paix, l'encourager à se penser en Etat normal et à s'intégrer dans son environnement.

Hédi Béhi