Hédi Chenchabi: Protéger notre patrimoine, une urgence et une nécessité
Ces derniers jours l’annonce d’une vente privée à Drouot de pièces majeures de l’époque beylicale a suscité l’indignation publique et l’intervention des autorités tunisiennes. La vente a été suspendue grâce à ces interventions en grande partie menées à l’initiative individuelle de Faouzi Mahfoudh, le directeur de l'Institut national du patrimoine. Cet épisode est l’occasion de relancer une réflexion sur le patrimoine.Trois questions sont posées au gouvernement tunisien:
Première question
Pourquoi le gouvernement ne s’est-il pas intéressé à ce patrimoine depuis 2011, date du décès du propriétaire si Ahmed Jellouli ? Nous ne pensons pas qu’il s’agit d’un oubli ou d’une négligence mais d’une ignorance volontaire pour ne pas dire une indifférence manifeste pour la conservation et la valorisation de notre patrimoine commun touché lui aussi par la corruption et le trafic d’objet du patrimoine, comme partout à travers le monde.
Deuxième question
Comment ces biens sont-ils arrivés à l’étranger sans autorisation de sortie ? Quelle impunité a pu conduire leur propriétaire et les ayants droit à se permettre une vente publique sans passer par les services et les ministères concernés par la question des œuvres et du patrimoine. Nous pensons qu’il s’agit d’une opération menée avec l’utilisation de complicités et de la corruption d’agents de l’Etat.
Pour ces deux raisons nous demandons qu’une commission d’enquête indépendante soit nommée, sans délais, composée de représentants de institutions de l’Etat, de magistrats indépendants, d’experts du patrimoine et de citoyens représentatifs pour :
• Faire la lumière sur cette affaire
• Proposer une mise à plat des instruments juridiques de protection du patrimoine
• Organiser une conférence de citoyens sur la question des héritages culturels en Tunisie, de leur conservation et transmission
• Proposer une convention bilatérale entre la Tunisie et la France pour régir l'importation l'exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels.
Compte-tenu des liens historiques entre la Tunisie et la France dans ce cadre, la question des restitutions muséales pourra être abordée sans nécessairement conduire à des restitutions d’objets mais sous l’angle d’échanges et d’initiatives fortes en matière de réappropriation de ses héritages culturels tunisiens présents en France par les jeunes en Tunisie et en France. Cela sera une contribution importante au renforcement des liens entre les deux pays.
Troisième question
Que va faire l’Etat tunisien avec cette collection? La protéger, l’acheter, la préempter? Nous attendons une réponse claire à ce sujet.
La mise en oeuvre d’une politique d’acquisition d’une page ou de plusieurs pages du patrimoine tunisien est une obligation universelle de toutes les sociétés. Elle est soulignée dans les déclarations multiples de l’UNESCO auxquelles la Tunisie a souscrit.
De même, il nous semble pertinent, à cette occasion, de poser la question du rôle et de la place des artistes vivants créateurs du patrimoine futur?
Le printemps culturel tunisien qui œuvre depuis 2011 pour la valorisation des patrimoines culturels et artistiques de Tunisie rappelle que la défense du patrimoine ne se limite pas aux œuvres issues du passé, mais également aux œuvres des artistes vivants qui contribuent en permanence à la constitution et à la continuité de ce patrimoine. Avec l’Appel de Carthage lancé en 2018 et relayé par nous et de nombreux acteurs culturels tunisiens demande ce respect et la création d’un fonds alimenté par des ressources nationales et internationales publiques et privées pour venir en aide aux artistes sous la forme de dotation ou de soutien à la création.
Le peuple tunisien a toujours manifesté un véritable engouement pour les objets du patrimoine, pour les expositions historiques qui valorisent ce patrimoine commun. Nnous lançons un appel en direction des mécènes et des entreprises publiques et privées pour contribuer à la sauvegarde de ces biens culturels communs d’hier et d’aujourd’hui.
Cet épisode de vigilance et d’alerte pour le sauvetage du patrimoine tunisien est l’occasion de relancer une réflexion collective, citoyenne, pédagogique et médiatique sur la mise en place d’une politique globale vis à vis du patrimoine, sa conservation et sa valorisation en Tunisie et à travers les institutions muséales qui s’intéressent à nos apports pour le patrimoine commun de l’humanité.
Hédi Chenchabi
Acteur culturel, Paris
Co- fondateur du Printemps culturel tunisien à Paris
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