News - 29.05.2020

Mohamed Larbi Bouguerra: Après l'intoxication au méthanol à Kairouan...Quand l'éducation scientifique fait défaut

Mohamed Larbi Bouguerra: Après l'intoxication au méthanol à Kairouan...Quand l'éducation scientifique fait défaut

«La jeunesse est la fleur de toute une nation, c’est dans la fleur qu’il faut préparer les fruits.» Fénelon

Des drames épouvantables secouent le pays. Des tragédies terribles endeuillent les familles et jettent une lumière crue sur le vécu des jeunes dans certaines régions du pays.

Des breuvages frelatés suppléent à des boissons plus chères pour fêter l’aïd entre copains ou pour sacrifier à la dive bouteille devenue indispensable pour les «accrocs», les alcooliques.

Résultat: sept décès, plus de soixante intoxiqués et la signature nette du méthanol: trois cas de cécité, probablement chronique. Sous nos cieux, ce type d’empoisonnement était fort rare mais là où règnent le froid et la vodka, le méthanol - utilisé comme antigel - accompagne les boissons de contrebande et provoque, outre la perte de la vue, de nombreux empoisonnements.

De l’eau contaminée sème hépatite et fièvre typhoïde parce que l’eau potable, la SONEDE, l’ONAS et les ministères concernés sont hors de portée.
La classe politique devrait peut-être cesser ses florentines manœuvres et ses guéguerres risibles pour marquer son terrain comme le font certains félins dans la jungle, et enfin s’atteler à éviter ces tragédies qui interpellent tant le social que le psychologique, et qui révèlent la misère et le mal vivre dans ces régions pourtant chères à nos cœurs comme le Kairouannais, la cité de Sidi Boulbaba et les ksours.

L’ARP a enquêté sur le drame d’Amdoun et il semble que bientôt on va prendre connaissance de ses conclusions. Il est urgent aussi qu’elle enquête sur les drames de Kébili, de Hajeb Layoun et de Gabès pour éclairer l’opinion et alerter les responsables.

Rappelons à tout ce petit monde que l’article 38 de la Constitution du 27 janvier 2014 dispose : « La santé est un droit pour chaque être humain.

L’Etat garantit la prévention et les soins sanitaires à tout citoyen et fournit les moyens nécessaires pour garantir la sécurité et la qualité des services de santé. … »

Il est temps de donner sens à la prévention : eau potable et assainissement en sont les deux mamelles car les questions de santé sont constitutives des enjeux économiques et socio-politiques.                                         

Eveil scientifique et medias

On veut d’abord parler ici éducation et « éveil scientifique »

On explique en principe à l’école, en éveil scientifique, les dangers de l’alcool et la nécessité de se laver toujours les mains à la sortie des toilettes, de ne pas manger dans le même plat avec d’autres personnes… et de se faire vacciner.

Distinguer le méthanol (jadis appelé alcool ou esprit du bois) de l’alcool éthylique (celui du vin) est relativement facile : le premier a une odeur repoussante et âcre alors que le second a l’odeur caractéristique des alcools. Du reste, c’est la raison pour laquelle il sert à « dénaturer » l’alcool éthylique à usage pharmaceutique et ainsi empêcher qu’on ne le boive. Le méthanol est toxique non seulement par voie orale mais son inhalation aussi est dangereuse. La dose mortelle de méthanol se situe entre 100 et 250 ml mais l’ingestion de seulement 30 ml peut tuer certains individus. C’est donc un produit très toxique.

L’absorption de méthanol provoque des maux de tête, de la fatigue, des nausées, des troubles visuels, des convulsions, des difficultés respiratoires et un collapsus circulatoire (chute de pression artérielle, par exemple). Si on n’en meurt pas, on devient aveugle car le méthanol est toxique pour le nerf optique.
Pour cacher l’odeur repoussante du méthanol, les trafiquants criminels qui vendent cette « Eau de Cologne » empoisonnée ajoutent des essences synthétiques de citron et d’agrumes (kouariss).

La fièvre typhoïde quant à elle, est transmise par les salmonelles dans l’eau et par l’être humain. Aucun animal ne peut être incriminé.
Un manuel de médecine américain bien connu, le Harrison, écrivait déjà à propos de la fièvre typhoïde en 1995 : «L’expérience mondiale a montré que l’amélioration des conditions sanitaires, en particulier la mise en place du tout à l’égout et de réservoirs d’eau, pouvait diminuer considérablement l’incidence de la fièvre typhoïde.»

En Tunisie, il nous reste beaucoup à faire dans ce domaine notamment en matière de réservoirs d’eau comme l’a montré une récente émission sur une chaîne privée. ONAS, SONEDE et groupements d’irrigants doivent faire face à leurs responsabilités.

Quant au virus de l'hépatite A, il se transmet par les mains sales, l'eau souillée  de matières fécales et les aliments contaminés tels les légumes et les fruits crus non lavés, non épluchés par exemple.

Toutes ces données de prévention pourraient facilement être reprises et popularisées par les médias. Jeux, entretiens avec les préposés à la santé, concours entre les jeunes et les établissements scolaires. Ainsi, en Egypte et au Soudan, à tous les niveaux de l’école primaire, on parle de la bilharziose- déjà présente du temps des pharaons- transmise par l’eau du Nil quand on y marche pieds nus ou qu’on y urine. Des tableaux explicatifs ornent les murs des classes. Des progrès sensibles ont été enregistrés.

L’hygiène doit retrouver sa place dans notre enseignement. Il faut l’insérer dans la culture générale. Et ici, les institutrices et les instituteurs ont un rôle capital. Elles et eux sont les vaillants soldats qui ont la noble charge de répandre la culture et notamment celle du Savoir et de la Science. L’Etat doit leur en donner les moyens.

Un expert affirme : «Il faut hygiéniser comme on a scolarisé.» et conclut : «L’idéal philosophique individuel fixé par Isocrate (436 avant J.C- 338 avant J.C) de gérer sa vie a été transposé dans le social pour aménager les conditions de la santé. De gérer la santé, on est passé à gérer l’existence, et des conditions du bonheur au bonheur. Le programme de l’hygiène devait se confondre avec celui de la civilisation et du bonheur social. » (Dictionnaire de la pensée médicale sous la direction de Dominique Lecourt, PUF, Paris, 2004).

Mohamed Larbi Bouguerra