Ouajdi Souilem: Impact de la crise Covid-19 sur le bien-être des animaux d’élevage en Tunisie
Ouajdi Souilem. Professeur Hospitalo-universitaire en Médecine Vétérinaire- Le bien-être en élevage est un concept multidimensionnel qui vise à respecter les besoins fondamentaux de l’animal comme un être vivant et sensible tout en garantissant la sécurité alimentaire et sanitaire du citoyen.
Il est composé de trois piliers : le bien-être physique (santé), le bien-être psychologique et le bien-être social (comportements naturels), ce qui nous renseigne sur la qualité de vie des animaux.
La crise inédite liée au coronavirus (Covid-19), qui sévissait sous forme de pandémie, a eu un impact sur tous les secteurs vitaux de notre société.
Les animaux, ainsi que les activités liées à l’animal n’ont pas été épargnés par la pandémie malgré la prise de conscience planétaire et l’empathie qui s’est exprimée envers les animaux et la nature lors du démarrage de l’épidémie.
Avec le confinement général et la diminution des activités humaines et industrielles, la nature a repris temporairement ses droits et certaines espèces, sauvages surtout, ont pu échapper à la « prédation » humaine du moins pour un certain temps.
La situation s’avère plus complexe pour les animaux domestiques avec lesquels l’homme a tissé des liens très rapprochés qu’il s’agisse d’animaux familiers, de rente, de travail ou de loisir…
En réalité, l’alchimie entre l’homme et la bête a été construite tout au long de l’histoire et a toujours oscillé entre fascination et réticence. De ce fait, certaines catégories d’animaux sont devenues complètement dépendantes de l’homme qui va chercher à subvenir à leurs besoins physiologiques et à tirer en contrepartie un profit psycho-affectif, alimentaire ou économique en fonction du statut qu’il a accordé à l’animal.
Le confinement des humains en marge de l’épidémie, a affecté d’une manière ou d’une autre, le lien entre le propriétaire et son animal.
Les animaux d’élevage aussi n’ont pas été épargnés par l’état d’urgence sanitaire.
Des dromadaires affamés et des chevaux de trait (calèche) en état de souffrance ont été signalés à la suite de la paralysie des activités touristiques ; les propriétaires se sont retrouvés sans moyens financiers pour acheter de la nourriture afin de subvenir à leurs besoins, voire même aux besoins des membres de leurs familles (Rapport SPANA, Avril 2020).
L’élevage bovin qui génère des produits stratégiques pour le pays (viande, lait et dérivés) souffre déjà de plusieurs insuffisances structurelles. Très dépendant des marchés internationaux instables (semences, aliments, médicaments vétérinaires…), il se trouve exposé à plusieurs freins qui limitent son développement. Nous citons à titre d’exemple : la multiplicité des intermédiaires informels, les changements climatiques, le déficit hydrique, et la faible intégration entre les productions végétales et les productions animales.
L’augmentation du prix des aliments pour bétail et le manque d’un vrai soutien de l’état à l’éleveur tunisien se sont traduits, sur le marché, par une hausse des prix du lait et surtout de la viande sans pour autant que le l’éleveur en bénéficie.
Comme conséquence directe, la contrebande s’est organisée et on estime en 2019 à plus de 30 000 le nombre de vaches dirigées clandestinement et frauduleusement vers les frontières et vendues en Algérie ; le confinement imposé par la crise n’a fait que pénaliser encore le secteur de l’élevage en raison de la restriction des tâches agricoles, la fermeture des marchés aux bestiaux et la restriction des flux d’animaux et des aliments.
La hausse excessive des prix de la viande rouge durant le mois saint du Ramadan en est une preuve supplémentaire. Le consommateur s’est rabattu sur la viande blanche issue d’un secteur avicole fragilisé mais qui se maintient malgré tout.
L’élevage de mouton dispose de plusieurs atouts, il est mieux adapté aux conditions tunisiennes et résiste plus aux aléas climatiques. Toutefois, la coïncidence de la sortie de la crise avec la saison sèche estivale risque de pénaliser les efforts des éleveurs à l’aube de l’Aïd al Idha.
Quelles sont les leçons à tirer de la crise Covid-19 afin de réduire notre dépendance de l’extérieur et tout en garantissant le minimum requis de bien-être à nos animaux d’élevage ?
Les propositions suivantes peuvent être formulées afin de remédier à une situation fragile de l’élevage dont le bien-être des animaux n’est pas totalement respecté.
• Veiller à une meilleure intégration entre les productions végétales et les productions animales afin de limiter les importations des aliments qui coûtent cher en devises,
• Redynamiser le milieu rural dans l’objectif de créer un véritable tissu agricole producteur capable de résister en temps de crise ; ce qui impulserait une dynamique locale et pourrait absorber le chômage chronique des jeunes grâce à la mise en synergie de plusieurs acteurs locaux de développement dans les zones défavorisées,
• Diversifier les systèmes d’élevage et ne pas se limiter aux élevages intensifs. Par exemple, en encourageant des pratiques modernes de l’agriculture écologique, capables de subvenir aux besoins des communautés locales dans le respect de l’environnement.
Les systèmes traditionnels de l’élevage permettent une meilleure expression des comportements physiologiques du bovin dans la mesure où les animaux ont la liberté de se déplacer, de choisir leur nourriture, de s’abreuver et de se mettre à l’abri. Le bovin est moins exposé aux pathologies, sa longévité augmente avec une productivité optimale.
• Intégrer dans les stratégies agricoles, la notion de bien-être animal, comme facteur de développement et de durabilité de nos élevages. Le bien-être, en effet, ne se limite pas aux conditions d’élevage mais concerne aussi le transport des animaux sans stress, l’abattage dans des conditions décentes et la gestion des risques en élevage. Il illustre ainsi la dimension noble et multifonctionnelle de l’éleveur et de ses partenaires.
Une agriculture durable, viable et solidaire en temps de crise comme en temps normal ne pourra que garantir notre sécurité alimentaire et renforcer la cohésion sociale dans notre pays.
Ouajdi Souilem
Professeur Hospitalo-universitaire en Médecine Vétérinaire