News - 15.05.2020

Abderrahman Jerraya et Chedly Koubaa: La lutte contre la pauvreté n’est-elle pas une des priorités de l’après Covid-19?

Abderrahman Jerraya et Chedly  Koubaa: La lutte contre la pauvreté n’est-elle pas une des priorités dans l’après Covid-19?

Par Abderrahman Jerraya et Chedly  Koubaa - La pauvreté, la précarité, le dénuement et les moyens d’y remédier auxquels a fait allusion le président de la République le 31 mars devant le Conseil National de Sécurité nous renvoient à une problématique largement débattue dans les années 60. A l’époque, on parlait du sous-développement, caractéristique commune aux pays fraîchement indépendants, qui nourrissaient l’ambition de rattraper ceux qui avaient pris une longueur d’avance, si  appréciable à tout point de vue.

Survol rapide concernant les modèles de développement

En fait, 2 courants de pensée diamétralement opposés s’affrontaient. L’un d’obédience libérale et capitaliste privilégiant l’initiative privée pour produire toujours plus, dans un contexte de libertés individuelles et collectives garanties. Les activités humaines sont boostées par l’appât du gain et l’esprit de compétition entre les divers agents économiques. Il en est résulté une certaine prospérité et un certain confort pour le plus grand nombre comme en témoigne l’émergence d’une société de consommation  gloutonne, insatiable, toujours avide de nouveautés.

L’autre avait pour référent une idéologie marxiste accordant à l’Etat, le monopole de la production des biens et services et leur mise à disposition,  au moins pour les plus essentiels, à des prix abordables. Un tel système assurait  en outre le gîte, le couvert, l’éducation et les soins de santé pour tous. Si les inégalités sociales n’avaient pas pour autant disparu, il n’en est pas moins vrai qu’elles paraissaient moins criardes, moins choquantes, moins humiliantes. En contre- partie, il bannissait l’appât du gain et limitait fortement l’initiative privée et les libertés individuelles et collectives.

Lesdits courants étaient portés par 2 ensembles de pays les plus ou moins industrialisés de la planète : Le 1er groupant les états de l’Ouest avec pour chef de file les USA et le second de l’Est sous la houlette de l’URSS, formant ainsi 2 blocs se séparant par «le mur de Berlin» et selon une ligne virtuelle appelée «rideau de fer» mais se méfiant l’un de l’autre, se regardant continuellement en chiens de faïence, dans le contexte d’une guerre froide, ne renonçant pas toutefois à attiser quelques conflits locaux sanglants. 

Quant aux pays ex-colonisés, pour mieux défendre leur cause et leurs intérêts communs, ils se sont regroupés pour former un 3ème bloc connu sous le nom de «Tiers Monde» appelé encore «Pays non Alignés». Cela ne les a pas empêchés cependant d’avoir des visions divergentes pour ce qui devait être en particulier l’approche économique et sociale à mettre en œuvre. Certains d’entre eux ont opté  pour le modèle en vigueur en Occident. D’autres se sont alignés sur celui adopté dans les pays de l’Est. Enfin d’autres ont procédé à un mixage des 2 modèles. C’est dans ce dernier groupe qu’on peut, avec une certaine hésitation, ranger notre pays.

Mais l’effondrement aussi imprévisible que brutal de  l’URSS à la fin des années quatre-vingts a mis fin au modèle communiste supposé assurer une distribution égalitaire de la richesse nationale entre citoyens du même pays. Alors que le libéralisme semblait avoir le vent en poupe, devenant même  arrogant, suffisant, triomphant, voire sauvage, accentuant par là-même le clivage social : les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres, créditant ainsi la thèse selon laquelle l’égalité sociale n’est décidément pas de ce monde. 

Face à ce dérapage inique, la réaction n’a pas tardé à se manifester sous forme d’un mouvement de protestation quasi planétaire contre l’ordre socioéconomique établi, connu sous le d’alter-mondialisme. Mais pas seulement. Des mesures de mitigation furent proposées, dans le cadre  d’une économie sociale solidaire. L’une d’elles a été adoptée et légitimée par maints pays. Il s’agissait en l’occurrence du microcrédit, un instrument permettant aux petites gens non solvables vis-à-vis des banques classiques, d’emprunter de l’argent, sans conditions de garantie, auprès d’institutions financières créées à cet effet. Nous avons mis à profit cette opportunité, il y a une vingtaine d’années, pour promouvoir à travers une ONG, des projets d’auto-développement en faveur des plus démunis (cf. plus loin).    

Mais bien avant, il y a lieu de rappeler les péripéties qu’a connues notre pays en matière socioéconomique au lendemain de son indépendance. Disons que s’il était relativement aisé de trouver un consensus sur la nécessité de bâtir un Etat moderne visant, entre autres, la libération de la femme, la promotion d’un système d’éducation et de santé pour tous, il en était autrement quand  il s’agissait de tracer la voie à suivre en matière de développement économique et social. Il était évident qu’il ne suffisait pas de mettre en place un Etat Providence distribuant des denrées alimentaires aux plus nécessiteux et donner du travail à une main-d’œuvre précaire et peu qualifiée, dans le cadre d’un programme national d’aménagement du territoire. Encore fallait-il mobiliser le peu de moyens matériels disponibles et les mettre en commun au service de la communauté, en mettant en place, dans la précipitation, en particulier des coopératives agricoles et de services. Mais cela sans compter sur la résistance d’abord passive puis active des concernés. Paysans et commerçants refusaient d’être embrigadés dans un tel système. Pour eux, le mot d’ordre fut «chacun pour soi et Dieu pour tous». Dès le début, le  processus de la collectivisation des moyens de production des biens et services était mal parti et finissait par être abandonné. Et cela pour longtemps. Même aujourd’hui, des associations sans but lucratif tels que les groupements de développement agricole ayant pour rôle de sensibiliser et d’assister les agriculteurs, ou des ONG comme la Croix Rouge nantie d’une mission purement humanitaire, battent de l’aile, ayant à leur tête des élus soupçonnés de s’en servir plutôt que de servir. 

Pour revenir au système coopératif, le gouvernement d’alors a dû faire marche arrière et  les années 70 étaient marquées par l’irruption de l’initiative privée dans la sphère économique. Laquelle n’a pas tardé à impacter positivement le pouvoir d’achat des Tunisiens. Mais pas assez pour la classe ouvrière selon l’UGTT qui, à défaut d’être entendue, a appelé à une grève générale  qui fut réprimée dans le sang. Ce fut un coup dur pour la Centrale syndicale mais plus dur encore, un vrai tsunami politique pour le régime de Bourguiba qui a commencé à perdre pied pour finir comme un fruit mûr prêt à être cueilli. On connaît la suite.

Toutefois, le modèle économique en vigueur a paradoxalement survécu avec ses 2 variantes. Si le secteur privé a même poussé des ailes, le secteur public, quant à lui, a évolué différemment selon les domaines d’activités.  En particulier, le système de l’éducation et celui de la santé ont été délaissés, négligés, nivelés par le bas, alors que d’autres ont connu un certain essor, voire une aisance financière comme Tunis-air ou la STEG. Mais globalement la prospérité et le bien-être tant attendus  étaient loin d’être partagée, loin s’en faut. Des pans entiers de la société ont été laissés pour compte, des régions de l’intérieur marginalisées, des jeunes diplômés par centaines de milliers abandonnés à leur sort, un ras-le-bol quasi généralisé. Une vraie bombe à retardement. Et il a suffi d’une étincelle pour que le peuple se révolte et  emporte dans sa fureur le régime de Ben Ali.

En fait, ce n’est qu’après la Révolution que le modèle économique mettant côte à côte secteur public secteur privé, a été dénaturé, défiguré, malmené, perverti par le laisser-aller et laisser-faire des différents gouvernements qui se sont succédé depuis. Mais celui de la Troïka sous la houlette du parti islamiste Ennahdha était certainement pour beaucoup dans la crise socioéconomique et morale que connaît à l’heure actuelle le pays et qui ne cesse de s’aggraver de jour en jour. C’était lui qui s’est outrageusement servi en indemnités, en compensations, en plaçant ses acolytes aussi bien dans l’Administration que dans les différentes entreprises et sociétés publiques. Et comme si cela ne suffisait pas, il a laissé s’hypertrophier presque à vue d’œil un 3ème secteur dit informel qui était auparavant, peu répandu, limité au 1er cercle du pouvoir et aux ceux qui gravitaient autour de son orbite. Résultats : une administration publique en déshérence, autant pléthorique qu’inefficace et des organismes sous tutelle pour la plupart en faillite financière. Sans parler d’une corruption sans précédent qui a étendu ses tentacules partout et à tous les niveaux, devenant une vraie calamité nationale, un frein à l’investissement et au développement, n’épargnant ni les institutions élues ni les corps constitués. Dans ce climat délétère et tendu, le secteur privé s’en est sorti avec moins de dégâts. C’est dorénavant lui qui assure, selon l’actuel chef du gouvernement, les 2/3 des recettes fiscales de l’Etat.

Expérience portant actions de lutte contre la pauvreté dans la région de Zaghouan

Après ce survol rapide des expériences passées en matière de développement socio- économique, force est de constater qu’on est en panne d’un modèle apte à répondre aux attentes et aux aspirations d’un peuple qui s’est révolté un certain 14 janvier 2011 et qui, jusqu’à présent, ne voyait pas ses revendications se concrétiser, en matière d’emploi et de pouvoir d’achat et de justice sociale. Alors quoi ? Malin celui qui détient une recette miracle à proposer. Toutefois et sans prétention aucune, nous pensons modestement que l’expérience menée durant la décennie 2000-2010, dans la région de Zaghouan, à travers un projet de développement rural intégré et d’inclusion sociale, mérite d’être relatée et méditée.

Pour approcher les petites gens se trouvant en-dessous du seuil de pauvreté, il ne faut pas compter sur les autorités officielles car d’instinct, elles s’en méfient comme de la peste. Il suffit de regarder dans une carte pour localiser la zone éventuelle d’intervention. Celle où se trouvent les terrains  délaissés (sol en forte pente, vallonné, caillouteux, érodé par le ruissellement), le plus souvent en lisière d’une forêt à base de pin d’Alep. C’est là qu’on peut rencontrer les plus démunis ceux qui habitent dans des logements de fortune, qui vivent chichement d’une agriculture de subsistance, souvent sans eau à proximité et parfois sans électricité. Mais pour s’y rendre, il faut prendre son courage à deux mains pour emprunter à pied des sentiers d’accès difficile, lesquels conduisent souvent à quelques communautés humaines composées chacune d’une centaine de familles isolées les unes des autres, installées sur de petits lopins de terre ne dépassant pas l’ha. Ces caractéristiques édaphiques et anthropiques assez homogènes délimitent une étendue géographique (correspondant souvent aux limites de l’Imada) appelée UST (unité socio-territoriale). Elle constitue désormais la zone d’intervention de l’ONG. Un travail d’inventaire et de diagnostic commence : familles avec nombre d’enfants à charge, ressources naturelles exploitables ou susceptibles de l’être (propriété foncière, cultures, élevage), disponibilité ou non de l’eau potable, structure de l’habitat (logement à n pièces 1, 2, 3,… avec ou sans salle d’eau, avec ou sans latrine …),  besoins spécifiques exprimés. C’est à partir de l’étude et l’analyse des données collectées que l’ONG propose aux familles prises individuellement, la nature et le volume de l’aide à leur apporter, répondant si possible à leurs attentes et leurs aspirations. En contrepartie, les bénéficiaires potentiels s’engagent, dans le cadre d’un contrat, outre le remboursement à terme échu du microcrédit contracté, à participer activement à la réalisation d’actions de développement (mise en défens de la propriété, creusage de trous de plantations, préparation du sol pour semis, construction d’abris pour animaux d’élevage, aménagement d’un logement décent, édification de citerne pour le stockage d’eau potable …). Lesquelles sont financées par l’ONG. Certes, toutes les ONG ne sont pas tenues d’octroyer un financement autre que le micro-crédit*.

Mais celles qui peuvent le faire (moyennant des ressources supplémentaires sous forme de dons, au titre de la coopération bilatérale par exemple) auront le privilège de promouvoir une approche réellement participative. Ceci suppose l’instauration d’un dialogue confiant et fructueux avec le bénéficiaire potentiel, portant sur la finalité et le contenu du projet proposé. Ceci signifie aussi qu’il adhère aux actions prévues et participe activement à leur exécution selon un programme de développement rural intégré comprenant notamment les volets suivants i): séances de sensibilisation, information et formation visant à accroître ses capacités opérationnelles ; ii) mise sur pied d’un groupement communautaire associant les bénéficiaires du projet, avec à sa tête un membre élu faisant office de porte-parole ; et iii) travaux ayant trait à l’amélioration du cadre de vie (construction de citerne pour le stockage d’eau, agrandissement du logement, aménagement de latrines et salle d’eau …) et aux activités agricoles (conservation des eaux et des sols, plantations d’arbres fruitiers, préparation d’aliments pour bétail, construction d’abris pour élevage …). L’ONG quant à elle, assure l’octroi du micro-crédit, le financement, l’accompagnement technique et le suivi-évaluation des actions entreprises. Le but ultime étant de faire en sorte que le bénéficiaire puisse un jour se prendre en charge et voler de ses propres ailes.

Au terme d’une dizaine d’années, les résultats sont là : i) un lieu de rencontre a été construit et aménagé jouant le rôle de siège pour le groupement, permettant aux adhérents de s’y réunir, de s’y retrouver, d’échanger leurs expériences, de formuler de nouvelles demandes, de recevoir des visiteurs locaux et étrangers. Il a servi aussi comme abri pour les équipements achetés pour le compte du groupement (extracteur d’huiles essentielles, matériel agricole …) ; réhabilitation de logements avec citernes pour le stockage des eaux pluviales, et possibilité de disposer de l’eau au robinet; iii) changement du paysage avec mise en défens des exploitations et plantation d’arbres fruitiers ; aménagement d’abris pour animaux d’élevage (abeilles volatiles, lapins, …). Et par-dessus tout un changement du comportement des hommes et des femmes. Ils ne sont plus ce qu’ils étaient ; ne sont plus la «bête humaine» d’Emile Zola» ; ont gagné en respectabilité et dignité ;  formulent des projets d’extension ; s’entraident pour l’exécution de certains travaux particulièrement pénibles. Ils sont habillés correctement, proprement. Ils vont au marché pour ce dont ils ont besoin ; leurs enfants vont à l’école ; ils se sentent responsables de leurs conditions de vie et nourrissent l’espoir de voir leur progéniture ne pas  connaître le sort qui était le leur.

Une analyse plus fine de la population cible, basée sur des indicateurs de performance (conditions de vie décentes avec autonomie financière du ménage, scolarisation poussée des enfants, patrimoine agricole procurant un revenu régulier …), révèle cependant qu’on est en présence de 3 catégories de bénéficiaires : i) Il s’agit là du groupe le plus performant. Celui qui est parvenu à se prendre complètement en charge, étant autonome financièrement. Il s’est suffisamment investi pour avoir un revenu régulier conséquent. Ce groupe représente 10% environ de la population ; ii) le groupe qui vient juste après, forme le gros du lot avec un peu plus que 80%. Ce sont de petits paysans qui ont adhéré et participé à toutes les actions du projet. Mais pour une raison ou un autre (âge avancé, propriété foncière de très petite taille, famille nombreuse en bas âge …), ils ont toujours besoin de recourir au prêt pour joindre les deux bouts. Le microcrédit leur paraît une alternative aussi attrayante que satisfaisante, ils restent des clients solvables et fidèles à l’ONG; et iii) Ce sont des gens  représentant 5-6% de la population, qui ont bénéficié de microcrédits et qui n’ont pas honoré leur engagement. Ils se trouvent de ce fait exclus du projet, leurs conditions de vie restent évidemment ce qu’elles étaient, inchangées, dans la pauvreté extrême.

En guise d’explication, on peut avancer que les inégalités sociales entre terriens ont toujours existé, du moins dans les sociétés organisées. C’est comme si elles leur sont consubstantielles, inhérentes à leur nature humaine. Les trois religions monothéistes ne recommandent-elles pas l’aumône, la charité aux pauvres? Mais un mendiant reste toujours un mendiant et le riche aspire toujours à être plus riche. Le Coran n’évoque-il pas souvent, dans maints de ses versets, la propension, la cupidité de l’humain à ramasser toujours plus des richesses dont le plus célèbre n’était autre que Karoun, l’homme le plus riche de l’Egypte des Pharaons? C’était en quelque sorte notre Bill Gates d’aujourd’hui, mais sans la générosité légendaire de ce dernier. Tout près de nous, certains dirigeants dogmatiques, sous l’influence de concepts élaborés au XIXème siècle, ont cherché à imposer un modèle de développement susceptible d’effacer, de laminer, sinon de mitiger ces disparités sociales mais hélas il faut le reconnaître qu’ils ont échoué. Ils n’ont réussi qu’à enfoncer davantage leurs peuples dans la misère et le mal-être.

D’autres, en revanche, ont favorisé et encouragé l’initiative privée. Si la prospérité était au rendez-vous ; elle était loin, à quelques exceptions près, d’être partagée ; des poches de pauvreté subsistent, même ont tendance à pousser ici et là comme des champignons. La solution serait-elle dans l’auto-développement ? Celle qui consiste non à assister en accordant des indemnités ou en offrant quelques produits alimentaires et vestimentaires mais plutôt à aider les plus démunis à se mettre au travail. Ne dit-on pas que le travail éloigne de nous trois grands maux : «l’oisiveté, le vice et le besoin» ? Moins moralisateur mais plus incisif, le dicton chinois ne recommande-t-il pas «ne me donne pas un poisson mais apprends-moi à le pêcher»? Et par-delà, le travail bienfait ne procure-t-il pas un sentiment de satisfaction, fierté et dignité.

A cet égard, l’expérience menée par  l’ONG une dizaine d’années durant, dans une zone marginalisée est très instructive. Elle a montré qu’on pouvait durablement améliorer les conditions de la majorité des gens qui y vivaient mais non éradiquer l’indigence extrême. On pourrait espérer qu’aujourd’hui certains d’entre eux ne seraient pas parmi les neuf cent mille hommes et femmes présents devant les postes de PTT pour toucher une indemnité au titre de l’aide consentie par l’Etat, dans le contexte de la lutte contre le Covid-19.  

Pour concluante qu’elle fût, cette expérience n’a cependant pas eu l’effet d’entrainement escompté. Cela était-il dû sans doute au fait qu’elle n’a pas été suffisamment vulgarisée? Que les autorités d’alors la voyaient d’un mauvais œil, comme marchant sur leurs platebandes ? Même aujourd’hui pourrait-elle reprendre le poil de la bête et connaître un sort meilleur au niveau local ou régional? Là où Dame Nature s’est montrée peu généreuse. Là où les avatars de l’Histoire ont fait que ces laisser pour compte soient les descendants d’hommes et de femmes qui ont été dépossédés de leurs terres et refoulés vers des zones marginales, peu productives. D’autres aussi si démunis ont été acculés à déserter le monde rural et venir en masse s’installer à la lisière des grandes villes. Là, ils vivaient à la petite semaine, de petits boulots où la femme occupait souvent la place centrale. Et avec lesquelles ladite ONG a cherché à prendre contact. Deux points d’ancrage ont été choisis : l’un à la périphérie de Menzel Bourguiba et l‘autre à Kairouan pour leur proposer de développer des activités artisanales, dans le domaine de la confection et du tissage de tapis respectivement. Pour ce faire, des locaux ont été aménagés, des séances de sensibilisation, d’information et de formation organisées, 2  groupements de femmes artisanes constitués, des équipements achetés, des compétences formées, en appliquant toujours la méthode de l’approche participative. Des mesures incitatives ont été également prises en faveur de ces femmes artisanes pour participer à des foires et expositions, afin de faire connaître leurs produits et les mettre sur le marché, l’objectif étant de faire acquérir à ces femmes un savoir-faire, d’avoir un métier leur permettant de gagner leur vie. De ce point de vue, le but peut être considéré comme atteint. Tout cela pour dire que toutes les zones d’ombre qu’elles soient milieu rural, périurbain ou rurbain, peuvent être appréhendées selon la méthode de l’approche participative, en  vue d’améliorer les conditions de vie des plus démunis, en tenant compte bien entendu de leurs particularités tant sociales qu’environnementales.

Décollage économique et rôle de l’Etat dans la lutte contre la pauvreté 

Qu’en est-il au niveau macroéconomique? Notre vision s’est nourrie des tentatives passées qu’a connues notre pays, en matière de développement économique et social et en se référant à quelques pays où les inégalités sociales sont, semble-t-il, quelque peu mitigées, tels ceux de l’Europe du Nord. Pour s’en approcher tant soit peu, la Tunisie a fait certes quelques petits pas en matière de libertés individuelles et collectives, mais le plus dur reste à faire. D’abord venir à bout de trois  travers majeurs : la corruption, l’impunité et le circuit informel, sous peine de voir le pays s’enfoncer davantage dans la crise à la fois morale et économique. Ensuite, il faut impérativement un Etat de droit dont l’autorité sera restaurée et respectée. Qu’il affiche un modèle d’exemplarité en matière de justice, de probité et d’intégrité. Qu’il ait pour vocation de légiférer, d’arbitrer, d’appliquer la loi, d’engager et de concrétiser les réformes nécessaires. Son champ d’action social doit se limiter au domaine de l’utilité commune (éducation, santé, transport, …) et en  rendre compte. Les activités lucratives (production de biens et services) sont, elles, du ressort du secteur privé. Toutefois, celles-ci doivent s’inscrire dans les orientations stratégiques fixées par la Puissance publique. Comme il est de sa responsabilité d‘assurer une bonne gouvernance, de veiller aux équilibres financiers globaux et de tracer la voie à suivre en donnant l’exemple et ce en s’inscrivant dans la ligne du développement durable, autonomisé  et équilibré, respectueux à la fois de la santé de l’homme et de l’environnement.

Pour ce qui est de l’Etat Providence, de la caisse de compensation, des organismes et sociétés sous tutelle, de l’hypertrophie de l’Administration, d’aucuns s’accordent à dire qu’il y a urgence à revoir  en profondeur le système en vigueur. Cependant aucun des gouvernements qui se sont succédé n’a eu l’audace de passer à l’acte. L’actuel prendra-t-il son courage à 2 mains pour s’engager résolument dans la voie des réformes, certes douloureuses, impopulaires mais incontournables. L’investissement, la production de richesse et l’employabilité en dépendent. Il est clair que le recours à l’endettement ne saurait être qu’un pis-aller mais pas la solution. Il faut compter sur ses propres moyens et chercher les fonds là où ils existent. Concernant la caisse de compensation en particulier, son existence n’aurait plus de raison d’être, dans la mesure où l’aide sous forme d’indemnité peut être apportée directement à la population cible qui est désormais connue par les pouvoirs publics avec nom, adresse et nombre d’hommes et de femmes qui la composent.

Pourrait-on suggérer qu’une partie de la somme accordée aux concernés sous forme de dons soit retenue pour être servie ultérieurement, mais cette fois-ci à travers des ONG, concomitant avec le microcrédit. Laquelle serait destinée à les encourager, les inciter, les motiver davantage à développer leurs propres projets. C’est un des enseignements qu’on peut retenir de l’expérience susmentionnée. Les conséquences en seraient des plus salutaires :

i) l’aide ne va plus qu’aux plus démunis ;

ii) l’espoir est permis de les voir un jour financièrement autonomes et aptes à prendre leur destin en main ;

iii) la caisse de compensation serait sinon supprimée, du moins significativement allégée; et

iv) les denrées alimentaires n’étant plus subventionnées, les restes des baguettes de pain en particulier ne finiront plus, à coup sûr, … dans les poubelles.       

S’agit-il là d’un modèle structuré et intégré prenant en considération tous les déterminants d’un développement durable, équilibré et inclusif? Certainement non. On s’est limité ici à esquisser une vision quant au rôle économique et social de l’Etat et à la façon dont il convient d’appréhender les petites gens se trouvant au bas de l’échelle sociale.

Abderrahman Jerraya et Chedly  Koubaa

* La plus célèbre étant l’ONG Enda Tamweel dont le but est de développer et d’accompagner l’entrepreneuriat. Il s’agit d’une institution financière qui accorde des microcrédits sans exiger au préalable une quelconque forme de garantie. Ses succès sont tels que ses emprunteurs qui se comptent par des dizaines de milliers, elle a dû tout récemment recourir à un emprunt auprès d’une société néerlandaise de financement et du développement de l’entreprenariat, d’un montant équivalent à 180 millions de dinars, pour faire face à une demande grandissante de ses clients (Kapitalis, 10 avril, 2020).

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