News - 06.04.2020

Coronavirus: du bon usage du confinement

Coronavirus: du bon usage du confinement

L’éducation comme l’enseignement, bouleversés, mais innovants; Les concours nationaux auront-t-ils bien lieu ? Baccalauréat, neuvième et sixième, c’est la main sur le coeur que les parents s’interrogent sur ce qui va advenir. Pour l’instant, même dans les scénarios les plus pessimistes, il est dit que le Bac se déroulera bien, que ce soit en juillet ou en août. Les établissements d’éducation, qui ont très tôt annoncé leur fermeture au public, ont du mal à se projeter et s’inquiètent de leurs affaires. Avec la crise sanitaire, les écoles et les universités utilisent de plus en plus les sites et connexions en ligne destinées à la consultation, pour communiquer. Procurent-ils une expérience satisfaisante ? Ils sont indispensables, mais ne remplacent en aucun cas la rencontre des enseignants avec l’élève et/ou l’étudiant. Ils servent surtout à ce que les usagers se documentent avant de venir en présence, lorsque cela sera possible. Les effets à court et à long termes sur le niveau sont incertains.

Il est très difficile d’avoir des réponses… Il semblerait que ces “viewing rooms” donnent de bons résultats préliminaires pour les grandes institutions, mais, comme toute la société mondiale, le marché de l’éducation sera ralenti. Après cette période très difficile à traverser, nous pensons qu’il y aura un très grand plaisir à se retrouver autour de la culture qui nous unit. Dans l’immédiat, les institutions se conforment, aux mesures d’éloignement et en même temps cherchent à prolonger leur rôle de lien social. Mais la sidération prend le pas. Tout a basculé en quelques minutes avec la prise de parole univoque des dirigeants de ce monde, demandant la fermeture des écoles et universités, et que tous restent chez eux, une première dans l’histoire. En quelques heures, nous avons dû mettre en oeuvre la fermeture de milliers d’établissements d’éducation.

Aujourd’hui, entre établissements fermés et programmes arrêtés, impossible de savoir combien de temps le black-out va se poursuivre, ni même la somme des pertes occasionnées dans le secteur. Seule évidence, une baisse possible et probable de la fréquentation, le temps de remettre la machine en route et de réagencer un calendrier aujourd’hui en lambeaux. Mais, surtout, il faudra quelques symboles forts pour faire revenir rapidement les gens à de bonnes dispositions, une fois la crise passée. Sera-t-elle immédiate ou progressive ? On ne le sait pas et c’est le coeur des réflexions actuellement. Ce serait en quelque sorte le symbole du premier jour du reste de notre vie. Les institutions de l’Etat sont plongées dans un flou impressionniste duquel elles ont du mal à émerger.

De ce point de vue, il est notable et évident que le Chef de l’Etat a manqué l’occasion de se rapprocher réellement de la population d’un point de vue moral. Dans ces temps d’adversité, il aurait été de bon aloi qu’il apparaisse aux Tunisiens lors d’une intervention télévisée pour les encourager à faire front avec détermination contre la pandémie meurtrière de coronavirus, pour les rassurer et leur assurer qu’ils finiraient par vaincre ; témoigner de sa conscience de la gravité de la crise et de sa réelle solidarité et non celle officielle et politique. S’adresser directement à la population pour les stimuler et les inciter à faire preuve de résilience face à la maladie, qui a déjà beaucoup tué dans le pays, comme dans le monde. Un moment de temps qui est de plus en plus difficile, une période de chamboulement dans la vie de la Tunisie, un bouleversement qui a causé du chagrin à certains, entraîné des difficultés sociales, familiales et financières pour beaucoup, et d’énormes changements dans la vie quotidienne de tous.

Il aurait dû descendre de la Tour d’Ivoire et se pencher sur le peuple, lui communiquer de la chaleur humaine; remercier personnellement et en toute humilité, tous ceux de la société qui se trouvent en première ligne, ainsi que les travailleurs sociaux et les personnes qui jouent un rôle essentiel, qui poursuivent, dénués de tout égoïsme, leurs tâches quotidiennes, hors de leur foyer, pour nous soutenir tous. Faire preuve de ce paternalisme indispensable à tout gouvernant. Se joindre à la Nation pour leur garantir que ce qu’ils font est apprécié, et que chaque heure de leur dur labeur nous rapproche d’un retour à des temps plus normaux.

Remercier également ceux qui restent à la maison, contribuant ainsi à protéger les personnes vulnérables, et épargnant à de nombreuses familles la douleur déjà ressentie par ceux qui ont perdu des proches. Il aurait pu témoigner de sa fierté de ce que nous sommes ; que ces attributs ne font pas partie de notre passé, mais définissent notre présent et notre avenir. Le moment où la Nation s’est réunie pour applaudir ses soignants et ses travailleurs essentiels, moment qui restera dans les mémoires comme une expression de notre esprit civique supérieur. Au lieu de cela, nous n’avons eu droit qu’à des ordres martiaux, des menaces de sanctions pénales et surtout un sentiment de bipartition de la Tunisie, avec deux mondes, celui de l’Etat avec son Chef et son gouvernement dirigé par un premier ministre qui fait bien attention de se distancer de la population et qui commande, et le monde du commun en masse non individualisé qui est géré en bloc.

Si l’isolement peut parfois être une souffrance, nombreux sont ceux, de toutes les confessions, de toutes les croyances et de toutes les religions, qui découvrent qu’il offre aussi une occasion de ralentir, de s’arrêter et de réfléchir sur le futur. Aujourd’hui certes, beaucoup ressentiront un douloureux sentiment de séparation d’avec leurs proches. Mais nous savons, au fond de nous, que c’est la bonne chose à faire, pas parce que cela a été commandé, mais parce que c’est dicté par le bon sens. Si nous avons déjà été confrontés à des défis par le passé, celui-ci est notablement différent, car nous nous joignons à toutes les nations du monde dans une entreprise commune, en utilisant les moyens de notre science, de notre technologie et notre compassion instinctive pour aider ceux qui ont besoin de nous. Nous devons et allons réussir et ce succès appartiendra à chacun d’entre nous, même s’il nous reste encore beaucoup à endurer. Des jours meilleurs reviendront et nous serons à nouveau avec nos amis, nous serons à nouveau avec nos familles, nous nous retrouverons, dans un monde amélioré.

On s’y reprend à deux fois avec les technologies. Ça ne veut pas parfois. D’abord, ce confinement qui empêche de se voir, en vrai, en personne. Qu’importe, on s’appelle, simplement. Remettre à plus tard les yeux dans les yeux et se concentrer sur les voix. Parler assez longtemps pour conjurer le sort. On est ou n’est pas interrompus ; on est bien, c’est bien. Mais il faut raccrocher. Et puis rien, sinon un grand silence. La technologie, cette fausse amie parfois traîtresse, qui nous abandonne en cours de route, pâles victimes d’incidents de connexion. Troisième semaine de confinement national pour cause d’état d’urgence sanitaire, ce n’est pas l’idéal pour les rapports humains. Et pourtant… Seuls, isolés, enfermés avec soi-même, ne pas se donner d’autre choix que de se regarder en face, devoir laisser faire, laisser venir l’inspiration, et les mots, parfois maladroits, parfois dérangeants, souvent cathartiques.

Cette histoire serait un hasard ? Beaucoup n’y croient pas et ne peuvent s’empêcher d’y voir un signe. Sans vraiment l’expliquer, sans chercher à comprendre à tout prix. Ils nous racontent que depuis le début, les obstacles s’enchaînent à cause des grèves puis l’épidémie. Certains diront que c’était écrit, que c’était le destin, un chemin parallèle, solitaire, inédit. Outre le sens de l’humour un peu particulier de ce calendrier, ce qui nous frappe évidemment, c’est, quelque part, notre complémentarité avec les autres, d’ici et d’ailleurs ; nous pouvons être plus contemplatifs peut-être, plus éparpillés parfois, et l’autre est un ancrage. La vie nous dit que le Yin sans le Yang, ça n’existe pas, qu’on est tous à la recherche de cet équilibre. Cette situation éveille cette pulsion, jamais oubliée, cet instinct, ce besoin de n’être que soi, sans personne qui polisse les angles, qui arrange, qui remette d’équerre.

Des sensations ne pouvant naître que la nuit, tant elles sont intimes, profondes, tant elles appellent autour d’elles silence et introspection. Plus tard, des voix pour s’harmoniser et apporter ce petit quelque chose qui touche au sacré, cette résonance, cette spiritualité transcendante. Bien au-delà du religieux, cette situation nous fait croire à ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas, mais se manifeste, limpide, incontournable. Elle nous raconte le lâcher-prise, l’abandon, des évènements sans filet, tous nus, tous crus, sincères, brutes, presque plus acceptés que choisis. Si la période est sombre, nous ne devons pas céder à cette impression et y entendre de la lumière, lorsque l’on ne peut la voir, et même si cela ne se dit pas, tant pis. Évidemment, chaque réaction sera différente, selon la personne, selon le moment, l’endroit, l’humeur. L’une réclame des paroles tristes, l’autre ne les supporte pas et impose le silence, tout de suite. Mais tous mettent leur âme dans des textes, dans des discours, dans des musiques, dans des personnes et si le but n’est pas particulièrement de provoquer la mélancolie, nous savons que peut-être, ce sera le cas. Aujourd’hui les mots ne nous appartiennent plus. L’interprétation, le ressenti, l’impalpable, l’insondable, sont aux commandes maintenant. Nous, on ne perçoit pas de noirceur dans ce qui nous frappe, pas de pessimisme, bien au contraire. On écoute, attentifs aux textes et à la voix cristalline qui leur donne corps, et on entend plus de froideur, de menaces et des annonces morbides, qu’autre chose. On aurait aimé plus de douceur, des invites à la bienveillance, envers soi-même et les autres, avant tout, plus que jamais. A ne pas nous juger trop sévèrement, à croire en nous, que nous pouvons endurer, que l’on peut se relever, à s’arrêter sur le beau, sur ce qu’on a plutôt que ce que l’on n’a pas, sur ce que l’on a eu la chance d’apprendre, de comprendre, sur toutes les petites aventures qui nous attendent.

Dans ces temps difficiles, la maternité côtoie le deuil, les ruptures et les déceptions cheminent doucement vers l’acceptation, et se racontent comme on chuchoterait des secrets. Ces histoires, notre histoire, aussi personnelles qu’elles soient, sont aussi celles de tous et les mots résonnent loin, profond, comme cette impression, que d’autres disaient des mots que nous n’avions pas, ou pas encore. Cela semble un peu plus compliqué de se dire qu’aujourd’hui nous sommes la voix. Mais encore une fois, nous devons insuffler de l’espoir dans notre discours. Ce tableau sombre, nous comptons sur la plus jeune génération pour l’éclairer. Nous constatons avec satisfaction un refus de se contenter de l’ordre établi, une volonté de changement pour un mieux. Et lorsque nous discutons de façon informelle, de notre sortie de confinement, de ce que nous allons en faire, de cette expérience inédite, nous espérons aussi un changement. Il est à craindre qu’il soit violent, mais c’est inévitable, et à l’arrivée, cela pourrait aller mieux. De renaissance, de recommencement, il en est question, comme un fil rouge ; de continuer d’avancer et d’apprendre, au ralenti, dans nos appartements et nos maisons, dont on finira par sortir, plus riches et débutant•e•s à la fois. Ces circonstances, cette étrangeté, ces ratées, c’est peut-être juste la vie qui nous rappelle qu’on ne l’a jamais aussi peu maîtrisée.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.

 

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