Opinions - 01.04.2020

Mohamed Kasdallah - Entre le politique et le militaire : Respect mutuel ou incompréhension définitive ?

Mohamed  Kasdallah - Entre le politique et le militaire : Respect mutuel ou  incompréhension définitive ?

Décrypter à chaud  l’actualité en évitant, autant que faire se peut, de dire de contre- vérité nécessite de disposer de relais bien informés. La contribution qui suit, relevant d’un aspect plutôt militaire, n’a aucun support médiatique. L’avènement de la pandémie du Coronavirus   a fini par éclipser le reste des évènements  même s’il s’agit d’un fait qui touche la Sécurité et la Défense du pays au plus haut niveau de la hiérarchie. Un sujet particulièrement complexe et subjectif car il peut être abordé de multiples manières et vu de plusieurs angles. Cet article s’essaiera d’arpenter  prudemment un vrai champ de mines puisqu’il traite l’entente entre le politique et le militaire qui est, en général, peu cordiale.

Ce que l’on rapporte des confrontations entre l’actuel Président US et ses chefs militaires ou la mésentente du  Président Macron, qui eut lieu tout au début de son  mandat, avec son chef d’état-major des armées, le Général De Villiers, à propos d’une imputation budgétaire  concernant l’armée, sont deux exemples typiques  qui  confirment cette impression.

Doit-on s’étonner que les relations soient souvent tendues entre haut responsable politique et grand chef militaire? Sûrement pas. Il est dans leur nature même d’être délicates. Des écueils   inévitables ne manquent pas de se dresser sur la route pouvant mettre en péril ces rapports.

La première difficulté provient de divergence naturelle dans la définition des objectifs. Ceux-ci  ne répondent pas aux mêmes critères:

Le politique, souvent adepte de l’opacité, cultive l’ambiguïté dans la définition des finalités

Le militaire, à l’inverse, privilégie les objectifs clairs, nets, concrets et indispensables à la planification comme à la conduite opérationnelle.

Divergences ensuite dans les voies à suivre et les moyens à mettre en œuvre. La logistique militaire pousse à  tirer  le meilleur parti des moyens mis à la disposition tandis que le politique  cherche à restreindre la panoplie des moyens utilisables.

Pas d’ambigüité,  en  revanches, sur le sens de la subordination. Il est dans la nature des choses que le militaire s’y subordonne au politique; légitimé oblige.

Toutefois, le risque de l’ingérence et de la dérive est élevé car la frontière politico-militaire perd parfois de sa netteté et de sa juste appréciation.

Pour cela, il faut beaucoup d’intelligence, de souplesse, et parfois des concessions réciproques Avec des logiques politiques et militaires naturellement divergentes, il y a lieu de trouver un équilibre entre ingérence et laxisme, aussi préjudiciable l’une que l’autre aux intérêts  supérieurs de la Nation.

Le politique doit avoir la sagesse de borner ses interventions là où commence son incapacité technique. Au militaire, de rendre tactiquement possible ce qui est stratégiquement souhaitable et politiquement recherché.

Il y aura donc toujours  tension entre responsables politiques et militaires et des rapports compliqués avec une succession de crises ne se résolvant que dans la compréhension des logiques de l’autre et la perception partagée du bien commun.

Une chose est sûre, du côté  du militaire: l’expérience acquise dans les domaines du commandement au sens large (exercice de l’autorité, relations humaines, culture de l’organisation), la générosité, le sens de l’intérêt général  et du bien commun, les qualités  professionnelles et non partisanes, le don de l’anticipation et de la planification sont autant de valeurs lui permettant  d’être au-dessus des querelles.

Maintenant la question qui s’impose est la suivante:

Qu’en est-il de la nature des liens entre l’autorité politique et le militaire en Tunisie? Les deux cas cités ci-dessus (aux USA et en France) sont-ils transposables chez nous  particulièrement à un  très haut niveau  de la pyramide de gouvernance?

Quand on a servi pendant de longues années le pays sous l’uniforme, pourquoi ne pas se mettre à la disposition de l’autorité civile, une fois la retraite venue, non pas en vue d’une deuxième carrière mais pour une meilleure exploitation des compétences  acquises?

Certains hauts  gradés militaires n’hésitent pas à agir tout à fait dans ce sens  mais ils sont vite désemparés, désabusés  et déçus des aléas d’un environnement qui n’est pas le leur.

À quoi bon de bénéficier d’une aura enviable  et  d’être  intègre et fidèle à un idéal  puis se retrouver  marginalisé dans le processus décisionnel et dans la réflexion stratégique du pays?  That ‘s  the question..!

Mohamed  Kasdallah
Officier (r) de l’Armée Nationale