Abdennaceur Karoui: Que faut-il faire de plus pour maintenir l’épidémie du Corona sous contrôle et relancer l’économie?
L’épidémie du Corona virus risque d’être compliquée, mais il est certain qu’elle passera par plusieurs phases. Au meilleur cas, le taux de contamination par jour atteindra un maximum, à partir duquel il commencera à décroitre. L’idéal serait de dominer totalement les facteurs de propagation du virus le plus rapidement possible pour débloquer l’économie. Ainsi, la nation doit maintenir ses efforts pour que la décroissance du taux soit rapide; ceci dépendra essentiellement de l’efficacité des procédures adoptées et de la rigueur avec laquelle elles sont appliquées. Certains pays, comme l’Espagne et l’Italie n’ont pas pu atteindre ce pic, et continuent à retarder l’espoir de l’atteindre. Il faut noter que les deux phases mentionnées sont relatives au control de l’épidémie uniquement. La guérison en est une autre, elle dépendra du développement des méthodes thérapeutiques et du vaccin développé. Plusieurs solutions semblent apparaitre à l’horizon, mais des conflits d’intérêt internationaux semblent retarder le déploiement de l’antidote.
En dépit de cet aspect révélateur, le problème de l’heure c’est le maintien du control de l’épidémie chez nous. La phase de décroissance du taux de contamination passera par des oscillations qui seraient causées, éventuellement, par des foyers désappris ou se trouvant en dehors des zones de control, ou des contaminations dues à des voyageurs mal examinés aux frontières,… C’est cet aspect qui présentera un challenge pour la nation. Donc le control des facteurs de propagation doit se faire de plus en plus méthodiquement, et en s’adaptant avec la crise. Pour vaincre ce challenge, les citoyens doivent aider les autorités en appliquant rigoureusement les consignes. La phase de relance de l’économie, dans une ambiance focalisant sur le control de l’épidémie, sera très difficile. De nouveaux problèmes sociaux-économiques apparaitront à cause des nouvelles méthodes de travail, dont plusieurs seront ralenties ou même abrégées par les contraintes d’hygiène.
Il faut noter que pendant ces phases, les décisions tardives ne pardonneront pas. A chaque instance, une course contre la montre se déclenchera. Il est devenu évident que la propagation de ce virus particulier est exponentielle due aux échanges, les voyages, et l’absence de discipline, car les règles devraient être inventées au cours de la propagation même de l’épidémie. Dans ces circonstances de «vie ou de mort», tous les Tunisiens, et surtout les compétences doivent s’impliquer, développer des initiatives, innover, travailler beaucoup et ne pas attendre d’être servies. Le gouvernement, seul, ne peut pas résoudre tous les problèmes. Il faut que tout le monde s’y impliquent; ceci veut dire que:
• Les autorités doivent, comme indiqué précédemment, aider le peuple à développer de nouvelles méthodes de travail y inclus l’initiative et le volontariat, et des outils et des routines pour se prémunir du virus.
• Les universitaires et l’élite doivent jouer un rôle primordial, et bien supérieur à la norme, dans cette guerre contre un ennemi invisible. Tous les chercheurs scientifiques, les médecins et les épidémiologistes seraient amenés à travailler 24/7 pour générer le savoir sur cet ennemie invisible. Ils doivent aller sur terrain prendre des échantillons, les encapsuler, et les analyser dans les laboratoires (utilisant les méthodes de caractérisation appropriées, comme la microscopie électronique) ; établir des statistiques et des analyses factorielles basées sur les données locales, i.e. Tunisiennes ; et produire des conclusions véridiques et concrètes; analyser en détail tous les articles scientifiques et moins-scientifiques publiés de par le monde;… et produire des conclusions et des projections robustes qui guideront le gouvernement à prendre des décisions sur des bases scientifiques. Pour s’y faire, tout le monde, professeurs, étudiants, administration (logistique et support) doivent contribuer à traquer ce monstre dévastateur.
• Les professeurs spécialistes doivent contribuer dans l’éducation rapide du peuple sur la façon de combattre l’épidémie. Actuellement, la majorité utilise, faute du savoir sur le comportement de ce nouveau virus, des méthodes de décontamination non-prouvées et donc probablement peu efficaces.
• Les ingénieurs doivent développer des technologies pour contrôler la propagation du virus, y inclus l’intelligence artificielle, le traçage des malades suspectés d’avoir le virus et les individus potentiellement exposés à ce malade. Le suivi de cet ensemble d’individus renseigne beaucoup sur la maladie. Il faut donc garder l’œil sur le 1er, 2nd, et 3eme cercle d’individus exposés. Des corrélations peuvent déceler les personnes devenus à haut risque.
• Les ingénieurs et leurs patrons doivent produire les produits et appareils de hautes nécessités. Beaucoup de produits peuvent être faits avec les moyens existants, y inclus les machines de respiration artificielle (des plans «open sources» sont valables), masques, combinaisons médicales, micro-filtres, systèmes de nettoyage chimique, vaporisateurs d’eau chaude savonneuse, appareils de stérilisation UV des outils médicaux et des salles d’opérations, produits de nettoyage, incinérateurs, robots de nettoyage des rues et des murs (pour diminuer les aérosols qui peuvent porter le virus et contaminer les passants), etc…
• Les riches (et les banques) pourraient organiser des compétitions pour motiver les jeunes à être créatifs et conçoivent des solutions pour infléchir l’épidémie. Les meilleurs seront couronnés avec des prix, et leurs projets financés et mis immédiatement en production.
• Les chaines de télévision doivent éduquer la population sur «le pourquoi», «le comment», et pas mal de sujets de gestion de crise, pour pouvoir réduire la propagation de l’épidémie.
• Les citoyens doivent coopérer avec leurs leaders. Ils doivent observer un distancement social stricte, un confinement total des vieux, une mobilité réduite au minimum pour les jeunes pour allouer la production et la distribution de nourriture et du matériel médical et sanitaire. Les citoyens doivent soutenir le système médical pour maximiser son efficacité.
A noter, les voyages de par le monde étaient la cause de la pandémie. Une coopération internationale réelle aurait pu limité les dégâts, et aurait servi les pays dans cette cause commune. Dans le même contexte, vu la sévérité de cette épidémie, il est souhaitable que la Tunisie recrute des experts de Chine, Corée, et Japon, qui ont développé une expérience sur terrain dans le combat de l’épidémie. Ces experts peuvent travailler à distance avec nos experts, entrainer le corps médical, paramédical, les infirmiers et les administrations des hôpitaux, ainsi que les agents de l’ordre et de la surveillance des patients,… Ceci dit, la Tunisie dispose de diverses compétences, qui peuvent travailler et coopérer entre eux et internationalement, seulement il faudra qu’ils s’organisent pour stopper l’aggravation de l’épidémie sur le territoire Tunisien et chez nos voisins.
Cette crise pourrait devenir une opportunité pour transitionner la société vers la créativité et la productivité maximale. A travers cette crise, la population apprendra à produire et consommer Tunisien. J’ai entendu un médecin jeune blâmer les autorités pour ne pas avoir mis à la disposition de l’hôpital le matériel de travail. Cette façon de travailler n’est pas adapté aux temps modernes. Le jeune médecin aurait dû chercher lui-même les fournisseurs privés; son superviseur aurait dû travailler pour avoir un budget, le supérieur de ce dernier aurait dû appuyer de telles initiatives,… et ainsi de suite. Bien sûr, si la législation et les structures ne supportent pas l’initiative personnelle, le jeune médecin n’ira pas très loin. Coté fournisseur, s’il est privé, il ferait tout pour honorer les commandes dans les plus brefs délais. Il se trouve que ce même médecin a changé après quelques jours, et a développé des solutions modestes aux manques dont il déplorait.
Il est certain que l’établissement du travail à distance, et sa conduite sur la base d’agrégats de projets, résulteront en une transformation radicale du travail qui sera bénéfique pour la société et ramènera des gains énormes à l’économie. On observera un assouplissement de l’administration et une augmentation de son efficacité. Les moyens de production seront mieux gérés. Les déplacements seront réduits, et donc le transport sera minimisé, et par conséquent, le besoin de voiture diminué; du coup, il y’aura réduction de l’importation de voitures, la congestion du trafic routier sera éliminée, et il y aura une large économie de l’énergie. Le niveau d’utilisation des technologies de l’ordinateur sera augmentée. Le nouveau mode de travail filtrera les travailleurs sérieux, les initiateurs, les producteurs,… du reste; ça sera bénéfique et rentable pour l’économie du pays, mais pourrait poser des problèmes sociaux, si une cure n’est pas conçue. Il y aura bien d’autres bénéfices, et surtout la création de nouvelles petites entreprises.
Enfin, quelques recommandations importantes sont suggérées. Il faudra que les ministères commencent à préparer la population à l’après-épidémie, afin de remettre rapidement l’économie sur les rails. Il faudra aussi prendre des leçons de cette crise pour rajeunir les forces productives, rénover notre infrastructure et nos moyens de production, appuyer plus l’entreprise privée, augmenter l’initiative personnelle, augmenter l’innovation et la production locale, augmenter l’autosuffisance, et diminuer l’importation au strict minimum.
Abdennaceur Karoui
Professeur de Physique et des Sciences de Matériaux à l’Université de la Caroline du Nord aux USA.
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