Haykel Ben Mahfoudh: L’article 80 de la Constitution et «l’état d’exception sanitaire»
La référence récente à l’état d’exception dans un décret présidentiel N° 2020-28 du 22 mars 2020 portant limitation de la circulation et des attroupements en dehors des horaires d’interdiction de la circulation a suscité des interrogations sur les conditions juridiques et les circonstances de sa mise en œuvre. Passant les formalités prévues à cet effet, le Président de la République a pris ce décret sur la base de la Constitution du 27 janvier 2014 et notamment son article 80.
Cet article dispose ce qui suit:
« En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple.
Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le Gouvernement.
Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours.
Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République adresse à ce sujet un message au peuple ».
Certains y ont vu l’annonce de l’état d’exception sans passage par les dispositions et formes constitutionnelles, ni respect des conditions de fond, ni de forme. L’on reproche entre autres au Président de la République de n’avoir pas annoncé ces mesures au peuple. Nous reviendrons plus tard sur la forme des mesures ainsi prises et du message à adresser au peuple, conformément au premier paragraphe de l’article 80.
L’explication de l’état d’exception à la lumière de la crise du Corona virus et la catastrophe sanitaire, mais également le désastre économique que la pandémie risque de provoquer s’impose. Les acteurs institutionnels eux-mêmes ont besoin de comprendre la signification de l’état d’exception, comment le déclencher et qu’elles sont ses implications.
Qu’est-ce que l’état d’exception?
C’est une situation où l’Etat se trouve en présence d’un péril grave et immédiat (imminent) qu’il « ne peut assurer sa sauvegarde qu’en méconnaissant les règles légales qui régissent normalement son activité ». Face à un danger exceptionnel, l’organisation normale de l’Etat et des pouvoirs publics n’est plus possible. L’on songe ainsi aux catastrophes naturelles, aux attaques terroristes de grande ampleur et aux pandémies, tel que le Covid-19. L’état de guerre, entendu comme l’existence d’hostilités prolongées, pourrait exiger, en plus, la déclaration de l’état de siège ou de la loi martiale.
A moins de mettre en péril l’organisation normale de l’Etat, son intégrité ou son indépendance, le pouvoir exécutif est dans l’obligation d’intervenir et de prendre immédiatement des mesures dérogatoires aux lois normales (habituelles) et aux règles de fonctionnement normal des institutions. La finalité des ces mesures doit être tangible : préserver la survie de l’Etat et de la société et assurer aux pouvoirs publics les moyens (juridiques, humains, financiers, logistiques, etc.) nécessaires à l’accomplissement régulier de leur mission Ces mesures sont attentatoires aux libertés (ex. restriction et/ou interdiction de la circulation ou des attroupements, confinement général obligatoire, suspension des services généraux de l’administration, arrêt des activités professionnelles jugées non indispensables, etc.).
L’état d’exception exige la survenance d’événements dont la gravité justifie le caractère exceptionnel des mesures à prendre. Il s’agit de mesures qui renforcent les pouvoirs du Président de la République en même temps qu’elles restreignent les libertés individuelles et collectives. Ces mesures sont prises pour répondre au besoin d’efficacité et de rapidité pour faire face au danger. C’est donc un pouvoir qui confère à son titulaire, en l’occurrence le Président de la République, la capacité de transcender les règles de l’Etat de droit et d’agir de manière principale, voire exclusive.
Quelles sont les conditions de l’état d’exception?
Deux séries de conditions cumulatives sont prévues par l’article 80. Les premières sont des conditions de fond :
• d’une part, un péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays,
• et d’autre part, entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
Les deuxièmes sont des conditions de forme:
• des obligations de consultation avec le Chef du Gouvernement et le Président de l’ARP (leurs avis ne lient pas le Président de la République), ainsi que l’information de la Cour constitutionnelle, formalité pour l’heure impossible à réaliser.
• L’annonce des mesures au peuple.
Sur l’annonce des mesures d’exception dans un message au peuple. La Constitution n’impose pas de forme particulière. Nous avons tous écouté des allocutions télévisées du Président de la République et même des communiqués de la présidence de la république constatant la gravité de la situation, l’évolution préoccupante de la pandémie, annonçant des mesures de prévention sanitaire et de confinement, décidé un couvre-feu, et même l’annonce de certaines mesures et restrictions à caractère dérogatoire, ou la mobilisation de l’armée pour faire respecter le confinement général obligatoire décidé par le Gouvernement.
Toutefois, par souci de transparence, de cohérence et sans doute de vérité à l’égard du peuple en ces circonstances très dures et périlleuses pour leurs vies, il est de droit de s’attendre à ce que l’on tienne compte des conditions de forme dans la communication officielle de la présidence de la république relative à un état d’exception qui semble être imposé de fait. Pour mettre un terme à la polémique, mais surtout par souci de légalité, une annonce du Président de la République – sans plus tarder et si telle est son intention – devrait officialiser et légaliser, une fois pour toute, les mesures prises ou à prendre dans le cas d’un état d’exception.
Comment apprécier la nécessité des mesures à pendre?
Il n’y a pas de règles mathématiques pour apprécier la nécessité. Généralement, les circonstances doivent être particulièrement dramatiques (graves) ce qui nécessite la prise de mesures exceptionnelles pour y faire face Ce qui revient à dire qu’il y a au moins une caractéristique préalable à l’instauration de l’état exceptionnel : c’est l’évidence de l’exception, ou l’évidente exception. « La caractéristique principale de l’évidence est d’apparaître à l’esprit sans qu’il soit besoin de délibérer, d’argumenter, d’administrer des preuves rationnelles de l’existence de cette nécessité ».
Cela revient à dire que l’état d’exception est une situation où l’autorité publique ne peut pas ou ne pouvait pas ne pas agir dans le sens qu’elle l’a fait. Cette évidence doit être ressentie par tous les pouvoirs publics : en premier lieu, par le Président de la République, mais également par le Chef du Gouvernement, par le Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle (une procédure impossible pour le moment). Autrement dit, la situation doit être manifestement grave et immédiate pour tous pour justifier la nécessité du renforcement des pouvoirs de l’exécutif et des restrictions aux droits fondamentaux.
Mais compte tenu de la gravité de la menace et du caractère contextuel des mesures à pendre, la Constitution a laissé au Président de la République le pouvoir de constater la situation et d’apprécier l’adéquation de la réponse à prendre par rapport à l’expansion de la pandémie et à ses conséquences économiques.
En outre, parce que l’intervention de l’exécutif par des mesures dérogatoires a un caractère exceptionnel, la nécessité ne peut se contenter de justifier l’action. Elle doit en être la raison d’être et le motif unique et indubitable. Donner au Président de la République le pouvoir de transgresser les règles de droit commun est soumis à des conditions rigoureuses.
Outre la consultation préalable du Chef du Gouvernement et du Président de l’ARP, consultation qui doit porter sur la situation (l’évidence nécessité) et les mesures à prendre (le caractère exceptionnel), et l’adresse au peuple, l’article 80 de la Constitution indique que les mesures « doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (le caractère et immédiat).
De ce point de vue, le décret présidentiel N° 2020-28 du 22 mars 2020 n’est pas sans équivoque, car en se contenant dans le premier visa de renvoyer à l’article 80 de la Constitution et de mentionner dans le deuxième la consultation du Chef du Gouvernement et du Président de l’ARP, comme l’exige d’ailleurs le même article, il justifie les mesures restrictives portant sur les libertés de circulation et d’attroupement par la nécessité, il ne constate pas la nécessité. Or, comme nous l’avons fait observer : la nécessité ne peut se contenter de justifier l’action.
L’état d’exception est-il un état de fait ou de droit?
Le décret présidentiel N° 2020-28 nous fait découvrir que nous sommes de facto dans une situation d’état d’exception et non de droit. Or, même s’il s’agit de situation de fait découlant d’une pandémie ou d’une autre menace, telle qu’une insurrection ou un conflit armé, l’acte de déclarer l’état d’exception est un acte éminemment juridique dont la légalité est garantie par un double contrôle à la fois juridictionnel et politique.
Par rapport à la situation de fait créée par le décret en question, il apparaît que le Président de la République n’a pas jusque-là formellement annoncé la situation d’exception.
Mise à part les deux visas incidents dans le décret en question, laissant entendre qu’il a suivi une des deux formes requises par l’article 80, à savoir la consultation du Chef du Gouvernement et le Président de l’ARP (l’autre formalité « informer le Président de la Cour constitutionnelle » étant impossible à réaliser), rien ne laisse envisager le déclenchement direct de l’article 80. Pour autant, l’annonce officielle est-elle une condition sine qua non à la prise des mesures exceptionnelles ? Je n’en suis pas persuadé, car le texte même de l’article 80 n’en fait pas une condition substantielle et n’exige aucune forme spécifique. Il n’exige pas, par exemple, la prise d’un décret président et sa publication au Journal Officiel, à l’exception de l’information du peuple.
L’article ne précise aucune chronologie à observer pour « décréter » l’état d’exception. Il y a tout juste un séquençage logique à observer. Pour la situation actuelle, il s’agit d’abord de constater le péril, ensuite, de l’apprécier après avoir consulté Chef du Gouvernement et le Président de l’ARP, par la suite, de prendre les mesures en adéquation du danger et, enfin, d’en informer le peuple.
L’article 80 précise, en revanche, les conditions de cessation de l’état de l’exception. « Les mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République adresse à ce sujet un message au peuple ».
Devant l’urgence qu’impose l’état d’exception, il n’y a pas de décision, mais une constatation d’une situation de danger grave (péril imminent), car il n’y a pas de norme susceptible d’être violée mais des mesures à prendre. D’ailleurs, l’article 80 parle des mesures plurielles et non de décision unique.
L’état d’exception justifie-t-il l’infraction à la règle?
L’état d’exception met en œuvre un régime d’exception. En effet, et au risque de secouer certains esprits, le but de l’état d’exception est de transgresser les règles de droit valables en temps normal. Etant devenues inapplicables et inadaptées aux circonstances exceptionnelles, et par conséquent, inefficaces pour faire face dans l’urgence au péril qui guette la santé de notre population, en l’occurrence la propagation mortelle du Corona, il faut renoncer aux règles et mesures valables en temps normal, pour en adopter de nouvelles plus rapides et plus contraignantes (sur les libertés) afin de sauver des milliers de vies humaines, rétablir les conditions propices au fonctionnement normal des pouvoirs publics et assurer, autant que faire se peut, le retour à la normalité, c’est-à-dire, s’assurer de la fin de la pandémie.
Mais la nécessité ne saurait non plus se substituer à la loi. Deux éléments sont à distinguer ici : comme l’a observé la jurisprudence et la doctrine administrative française, soit que l’état d’exception « déplace le centre de gravité de la légalité », en autorisant le pouvoir exécutif « à agir avec fermeté́ mais légalement », étant précisé que toutes les mesures d’urgence et de caractère exceptionnel devant rigoureusement faire l’objet d’un contrôle de légalité car l’enjeu est l’atteinte portée à des droits fondamentaux ; soit qu’on « renonce à la législation et règles prévues pour la période normale et on adopte de nouvelles règles dérogatoires et attentatoires aux droits et libertés », telle que l’aggravation des amandes en cas de non respect du confinement.
Le but de l’état d’exception n’est pas de remettre en question les principes de séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit, mais au contraire de les protéger, en sauvant le pays, la population et les institutions par un régime dérogatoire limité dans le temps. En bonne logique, il assouplit les règles il ne les rompt pas.
Quelle est l’étendue des pouvoirs exceptionnels du Président de la République?
L’article 80 de la Constitution tunisienne, s’il confère au Président de la République des pouvoirs de crise, il ne lui confie pas pour autant une « dictature constitutionnelle ». Le recours à l’article 80, qui est de la compétence exclusive du chef de l’Etat, autorise le Président de la République (peut !) à prendre les mesures qu’impose l’état d’exception.
En principe, le recours aux pouvoirs exceptionnels lui confère, soit des prérogatives exceptionnelles de puissance publique qui, en temps normal, reviennent au Gouvernement (exemples : pouvoirs de réquisition, pouvoirs d’internements administratifs), soit des pouvoirs qui ressortent de la compétence du pouvoir législatif, c’est-à-dire de prendre des mesures à caractère législatif à la place du Parlement. C’est cette lecture qui a prévalu en France, par exemple, sur la base de l’article 16 de la Constitution de 1958. En effet, le lecture retenue a été de conférer au Président de la République le pouvoir de prendre toutes les mesures exigées par les circonstances, y compris, le cas échéant, «des mesures qui relèvement normalement de la compétence du Parlement ou exercer le pouvoir réglementaire sans solliciter le contreseing du Premier ministre et des ministres».
En France, cette lecture extensive a été à la faveur de deux conditions de fond : que les menaces soient «graves et immédiates», et que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Ce n’est que sous ces deux conditions de fond que le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances. La deuxième condition vise ipso facto la compétence de la représentation nationale. Le Parlement est par excellence un « pouvoir public constitutionnel ». L’interruption de son activité habilite donc le Président de la république à exercer un pouvoir législatif de crise, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
L’article 80 de la Constitution tunisienne n’est qu’une copie « contre-forgée » de l’article 16 français. Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République peuvent, certes, être considérables, ils n’en demeurent pas moins soumis à des conditions de fond et des limites aussi. D’abord, l’article ne vise que les « pouvoirs publics » sans autre précision (par exemple « constitutionnel »). L’expression « pouvoirs publics » désigne, en principe, le gouvernement et l’ensemble des services chargés de l’administration de l’Etat et de ses démembrements. Ces pouvoirs seraient donc toute autorité de décision détenant un pouvoir réglementaire. Cette notion ne s’appliquerait, par conséquent, qu’aux organes créés ou mentionnés par la Constitution de 2014 et dont le statut est établi par des lois organiques, ce qui exclut a priori le parlement du champ d’application de l’article 80.
A la différence de la lecture donnée à l’article 16 de la Constitution française, celle de l’article 80 de la Constitution de 2014, ne retenant qu’un sens organique de l’expression « pouvoirs publics », limiterait rationae materiae l’extension des pouvoirs de crise du Président de la République aux seuls pouvoirs exercés par les autorités publiques exerçant une fonction administrative et réglementaire (administrations nationales ou locales, collectivités territoriales), ce qui reviendrait à lui refuser, par là-même, la possibilité d’exercer un pouvoir de crise de nature législative. En d’autres termes, le Président de la république ne saurait se substituer dans l’exercice des compétences législatives à l’ARP.
Un argument de plus appuierait cette lecture, à savoir que les pouvoirs d’exception ou de crise du Président de la république en cette période sont subordonnés à deux limites formelles : Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente ; et dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple.
On pourrait soutenir donc, que le fait que l’ARP reste en session permanente, présume qu’elle continue à exercer ses pouvoirs et notamment le pouvoir de légiférer. L’autre argument en faveur de la continuité du Parlement est l’impossibilité de dissoudre l’ARP dans la situation d’exception. L’Etat ne peut être donc décapité de son parlement. L’état d’exception ne peut conduire à la contestation des pouvoirs publics constitutionnels et de leur capacité à continuer à exercer leurs prérogatives, mais tend à sauvegarder l’Etat sous l’autorité d’un seul chef.
Cette interprétation de l’article 80, bien qu’elle s’appuie sur des arguments objectifs, ne répond pas aux impératifs de nécessité et de célérité qu’imposent les données médicales et sanitaires laissant envisager un taux de contagion élevé et un risque de mortalité du virus bien plus élevé que les premières estimations.
Aussi, ne faut-il pas perdre de vue que les mesures d’exception sont des pouvoirs de circonstances. En toile de fond reste l’impératif de rompre la crise et de rétablir la normalité. L’intervention du Président de la République et la concentration des pouvoirs entre ses mains trouve sa justification dans le fait que le Gouvernement et le Parlement n’ont pas pu par leurs moyens et outils juridiques habituels gérer la situation qui tend à s’aggraver malgré le renforcement des mesures de prévention collectives et individuelles et les mesures d’accompagnement économiques et sociales, ce que la France vient de prévoir, par exemple, dans une loi sur « l’état d’urgence sanitaire », qui a été adoptée dimanche dernier.
Parmi les moyens à mettre en œuvre et dans l’urgence absolue se trouvent les textes de lois. Si la demande d’habilitation législative requise par le Chef du Gouvernement en vertu de l’article 70, paragraphe ne venait pas à lui être accordée par un vote des trois-cinquièmes des membres de l’ARP (voir dans ce sens notre article : « Il est temps de passer aux Décrets-lois », Leaders, 21.03.2020), il serait plus judicieux et responsable de reconnaître la compétence législative à titre exceptionnel au Président de la République jusqu’à la cessation des motifs de l’exception.
Bien que nous ne favorisions pas cette option et que nous lui privilégions, en revanche, la prise de décrets-lois sur la base de l’article 70, nous l’estimons envisageable dans l’hypothèse d’un blocage institutionnel qui pourrait survenir du côté de l’ARP. Notons au passage que l’article 70 est une possibilité que prévoit la Constitution pour résoudre une crise politique et institutionnelle, et que de ce fait, sa mise en œuvre n’est pas incompatible avec l’article 80.
Quel(s) contrôle(s) sur les mesures d’exception?
Les mesures d’exception sont soumises à deux formes de contrôle:
- Il appartient, d’abord, au juge de déterminer si les mesures prises par nécessité et à titre exceptionnel se justifient au regard des circonstances et des objectifs escomptés ; de considérer comme légal un acte qui eût été illégal en temps normal ou qu’on l’on nie un droit qui eût été protégé sans l’évidente nécessité. Ce contrôle juridictionnel, exercé en principe par le juge administratif, ne peut porter que sur les actes et mesures qui sont intervenus dans le domaine du pouvoir réglementaire. Il y a en outre le contrôle que devrait exercer la Cour constitutionnelle pour statuer sur le maintien de l’état d’exception en application de l’article 80, paragraphe 3 de la Constitution, mais là encore impossibilité de le faire pour défaut d’instauration de la Cour.
- Il y a ensuite le contrôle politique qu’exerce l’ARP sur les actes du Président de la République à travers la Cour constitutionnelle en mettant en œuvre la procédure de la destitution du président en raison d’une violation grave de la Constitution sur la base de l’article 88 de la Constitution. Hypothèse encore théorique pour la même précédente raison.
Qu’attendons-nous des pouvoirs publics en ce temps de crise?
Le scénario de crise sanitaire et économique de la pandémie Covid-19 nous fait prendre conscience qu’un état d’exception est une arme redoutable à ne sortir qu’en cas d’extrême nécessité, mais un fois dégainée, elle doit rassurer sur l’avenir de notre pays, de notre démocratie et de nos institutions. L’article 80 octroie des pouvoirs exorbitants, mais impose aussi des devoirs de vérité et de réactivité, une forme de souplesse, ainsi qu’un devoir de responsabilité et de solidarité entre les institutions.
Haykel Ben Mahfoudh
Professeur de droit constitutionnel