Inspirons-nous du Maroc ! Les décrets-lois sur l’état d’urgence sanitaire publiés au Bulletin Officiel
Par Hatem Kotrane, Professeur en droit. Dans notre article publié par Leaders, le 22 mars dernier (« Conflit de leadership au sommet de l’Etat ? A la recherche d’une bonne gouvernance pour faire barrage à l’épidémie de Covid-19 »), j’avais entre autres insisté sur le fait que le Président de la République, comme le Chef du Gouvernement, ne pouvait faire l’économie d’un cadre juridique de référence permettant de réglementer l’état d’urgence, étant rappelé que l’article 62 de la Constitution lui confère l’initiative des lois, qu’il aurait gagné à utiliser pour présenter une proposition de loi inspirée du projet de loi organique n° 2018/91 relatif à l'organisation de l'état d'urgence, précité, en y incluant l’état d’urgence sanitaire et les mesures de confinement général y aménagées.
Une telle voie aurait permis, en même temps, de suppléer aux limites des dispositions du décret n°78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence de manière à l’adapter aux dispositions de la Constitution de 2014.
Mais une telle voie aurait pu surtout faire l’économie d’un recours à l’article 80 de la Constitution, qui me paraissait quelque peu inadapté aux objectifs de sécurité poursuivis par les pouvoirs publics, et ce, d’autant plus que le Chef de l’Etat, tant par le décret n°2020-25 du 20 mars 2020 ordonnant un « confinement général sanitaire », comme le décret présidentiel n°2020-24 du 18 mars 2020 qui l’a précédé, établissant le « couvre-feu », est resté dans une logique de plein respect des institutions constitutionnelles et ne semble pas vouloir s’arroger des pouvoirs exceptionnels, de nature réglementaire ou législative. Les pouvoirs publics sont encore en état de « fonctionnement régulier », avec apparemment le même partage du pouvoir exécutif entre le Président de la République et le Chef du Gouvernement.
Pour appuyer ma position, j’avais fait référence à l’initiative d’autres pays qui y sont parvenus, comme en France, où l'Assemblée nationale, en comité restreint, a adopté, aujourd’hui même, dimanche 22 mars, le projet de loi permettant l'instauration d'un état d'urgence sanitaire face à l'épidémie de Covid-19, qui prévoit notamment un alourdissement des sanctions en cas de non-respect du confinement en récidive.
Or, ne voilà-t-il pas que le Royaume du Maroc vient offrir un autre exemple de référence : deux-décrets-lois viennent d’être publiés au -Bulletin Officiel n°6867 bis du 24 mars 2020 donnant une assise légale à l’état d’urgence sanitaire.
1-Décret-loi n°2-20-292 du 23 mars 2020 édictant des dispositions spéciales à l’état d’urgence sanitaire et les modalités de son annonce
Ce décret-loi donne une assise légale à l’annonce de l’état d’urgence sanitaire. Il permet au Chef de gouvernement sur proposition de l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur et de la santé, de décréter l'état d'urgence sanitaire dans une ou plusieurs régions, préfectures, provinces ou communes, ou sur l'ensemble du territoire national, dès qu’une épidémie ou une maladie contagieuse menace la sécurité et la santé des personnes.
Le décret portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire, annonce l’étendue, les modalités d’application et la durée de cet état d’urgence qui est indéfiniment renouvelable.
Il permet aussi aux autorités de prendre pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, toutes les mesures adéquates pour lutter contre l’épidémie ou la maladie contagieuse.
Ces mesures seront prises par le biais des décrets, des décisions administratives, des circulaires ou des communiqués officiels.
Le non-respect des dispositions du décret-loi n°2-20-293 et des directives annoncées par l’état d’urgence sanitaire, expose les contrevenants à une peine d'un à trois mois d'emprisonnement et/ou d'une amende allant de 300 DH à 1.300 ou de l'une des deux peines; sans préjudice de la peine pénale plus lourde.
L’article 6 du présent décret-loi suspend le cours de tous les délais prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur pendant toute la durée de l’état d’urgence. Les dits délais reprennent le lendemain au lendemain de l’annonce de la levée de l’état d’urgence.
En revanche, échappent à cette suspension, les délais de recours en appel des jugements rendus contre les prévenus poursuivis en état de détention et le décompte des durées de la détention provisoire et des gardes à vue.
2-Décret n°2-20-293 du 24 mars 2020 relatif à l’annonce de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national pour lutter contre le coronavirus-covid19
Ce décret, outre la déclaration de l'état d'urgence sanitaire du vendredi 20 mars à 18H et jusqu'au 20 avril 2020 à 18H00, impose les mesures suivantes:
• Interdiction aux personnes de quitter leurs lieux de résidence ;
• Le déplacement de toute personne en dehors de son lieu de résidence ne pourrait avoir lieu que dans le cas d’extrême nécessité, en l’occurrence: le déplacement au travail, le déplacement pour l’achat des produits de première nécessité, pour les soins de santé et le déplacement pour des raisons familiales pour venir en aide à des personnes dans une situation difficile);
• Interdiction de tout rassemblement, attroupement ou réunion d'un ensemble de personnes ;
• Fermeture des centres commerciaux et tout établissement destiné à recevoir le public durant la période de l'état d'urgence sanitaire.
Hatem Kotrane