Covid-19 : quelques fortes leçons de politique, d’écologie et d’économie
Jeudi 12 mars 2020, le nombre de personnes contaminées par le coronavirus dans le monde dépassait les 124 000 réparties dans 113 pays et on déplorait 4607 décès, l’Asie restant le continent le plus atteint avec plus de 90 000 cas et 3000 morts. En Europe, on compte 22 000 contaminés- dont plus de la moitié en Italie- les hôpitaux italiens laissent en effet à désirer, pour des raisons financières évidemment. Faisant allusion à la doxa néolibérale (3% de déficit) imposée aux populations de l’UE, Angela Merkel, la chancelière allemande, disait dans sa conférence de presse du mardi 10 mars 2020 : « A un pays comme l’Italie….nous ne lui disons pas qu’il ne peut pas investir dans son système de santé du fait d’une règle sur la dette. » Un peu tard, non ?
Notre monde est en train de changer
La Chine, heureusement, vient au secours de Rome et envoie un précieux et indispensable matériel.
Hier, l’Italie - énivrée de fascisme et de mépris pour « les races inférieures »-partait à la conquête de l’Ethiopie, de la Tunisie et effectuait même le premier bombardement par avion de l’histoire sur le peuple libyen en 1913. Aujourd’hui, l’Empire du Milieu vole à son secours et envoie 1000 appareils respiratoires, 20 000 tenues de protection, 50 000 brosses de nettoyage, 2 millions de masques « classiques » et 100 000 masques de haute protection.
En Europe, ce même jeudi, on dénombrait 930 décès. En France, on recense 48 morts et 2200 personnes touchées. New York compte 95 cas et la célèbre et grandiose parade de Saint Patrick est annulée alors que le virus a conquis 14 Etats de l’Union. Enfin, vendredi 13 mars 2020, M. Trump se décide enfin à déclarer l’état d’urgence alors que le maire de New York avait, depuis quelques jours, mis à l’isolement des personnes contaminées.
Lors de son allocution à la Nation, le Premier Ministre tunisien a affirmé que notre pays comptait, vendredi soir 13 mars « moins de 20 cas ».
Il n’y a donc aucune raison de se ruer sur l’ail dans notre pays ! Il n’y a aucune raison de dévaliser les supermarchés et d’ouvrir un boulevard à tous les malandrins du marché noir de semoule et de farine. « La pandémie est maîtrisable » assure le directeur général de l’OMS qui ajoute : « Pour sauver des vies, nous devons réduire la transmission.
Cela signifie qu’il faut trouver et isoler le plus grand nombre de cas possibles, et mettre en quarantaine leurs contacts les plus proches. »
D’après le Dr Olivier Véran, ministre français de la Santé, « 98% des patients atteints du Covid-19 guérissent et 80 à 85% des formes restent bénignes » même si les personnes âgées (plus de 70 ans), porteuses de comorbidité (diabète, hypertension….) courent plus de risques.
Pour l’OMS, « le virus est bien plus contagieux que le syndrome respiratoire aigu sévère (SARS, 2002-2003), mais son taux de mortalité est nettement plus faible (environ 2%). Si, en deux mois, il a tué 2000 personnes environ, il meurt en Chine 80 000 personnes chaque mois dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants. L’épidémie risque donc d’avoir plus de conséquences économiques, sociales et politiques que d’influence sur le taux de mortalité chinois » écrit Martine Bulard (Le Monde Diplomatique, mars 2020, p. 21)
Gardons alors la tête froide.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’une banale grippe saisonnière ! Mais souvenons-nous que, dans notre pays, 1150 personnes ont perdu la vie sur les routes en 2019. Tragédie nationale qui se répète avec une régularité de métronome, année après année, avec une terrible retombée : 8572 blessés ! Rien ne semble pourtant émouvoir nos décideurs pas même l’horrible accident d’Amdoun et ses 30 victimes fauchées à la fleur de l’âge, accident qui a mis à nu l’indigence de nos structures de soins ! La commission ad hoc de l’ARP rame encore….
La Chine tousse et le monde a la grippe
The Economist, ce « parfait étalon du sentiment des classes dirigeantes » (Serge Halimi, Le Monde Diplomatique, janvier 2019, p. 1) qu’on ne peut raisonnablement soupçonner d’élans de sympathie pour la Chine écrit que cette dernière a donné une leçon au monde en contenant l’épidémie puisque le 4 février, on recensait 3887 nouveaux cas contre 139 le 4 mars. Parce que tout a été fait pour le respect strict du confinement. La mobilisation a été totale. Wuhan avec ses 11 millions d’habitants- presque autant que la population tunisienne- a scrupuleusement observé 5 semaines de quarantaine .(The Economist, 7 mars 2020, p. 17-19). Ce qui n’a pas pu se faire que par la confiance qu’accorde la population à ses dirigeants. Ainsi, en Corée du Sud, pays très atteint, cette confiance est de 86% alors qu’en Italie, elle est juste de 63% et aux Etats Unis de Trump- où 28 millions d’Américains n’ont pas la moindre couverture médicale- elle n’est que de 59%.
La leçon est claire : confinement et suivi à la lettre des instructions des autorités médicales et politiques. A Ajaccio, en Corse, 36 cas ont été répertoriés, ce qui est beaucoup. C’est probablement dû à l’incivisme et à l’impréparation. A Bastia par contre, il n’y a aujourd’hui que 6 cas car la situation a été mieux gérée. (Alexandre Fache, L’Humanité, 12 mars 2020, p. 13).
L’épidémie qui a touché en premier la Chine a mis à nu les faiblesses de la mondialisation néolibérale. « La Chine tousse et le monde a la grippe » écrit le psychanalyste Marie-Jean Seurat. Un secteur hautement stratégique comme l’industrie pharmaceutique- délocalisé depuis des années pour permettre aux géants comme Bayer, Pfizer….de distribuer plus de dividendes aux actionnaires et d’exporter la pollution- permet à l’Europe de réaliser aujourd’hui que les médicaments de base sont en train de manquer parce que les industries de la Chine sont inopérantes. En France par exemple, masques et solutions hydroalcooliques sont devenus fort rares. D’autres industries sont aussi atteintes : informatique, robotique, aéronautique, automobile, batteries pour voitures électriques….
« Quelque chose ne fonctionne plus dans ce capitalisme qui profite de plus en plus à quelques-uns. Je ne veux plus que nous considérions que le sujet d’ajustement économique de la dette prévaut sur les droits sociaux » affirmait le président Macron devant l’Organisation Internationale du Travail à Genève en juin dernier. Jeudi 12 mars 2020, s’adressant aux Français, il disait : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle….» Ainsi sont mises à nu les tares du capitalisme mondialisé…par un président qui a aboli l’impôt sur la fortune à l’heure où les politiques néolibérales chères à M. Trump et au FMI ont fait la démonstration de leur échec. L’éditorialiste du Monde (14 mars 2020, p. 32) relève : « Fortement critiqué pour avoir réduit les droits de certaines catégories de chômeurs », le président fait en sorte que « l’Etat-providence n’est plus en berne. La guerre contre le virus l’a, au contraire, sanctuarisé. »
La pandémie a en outre révélé, grâce aux images de la NASA qui montrent l’avant et l’après de la maladie au-dessus de la Chine, une quasi-absence de la pollution au-dessus de ce pays en très peu de temps. Ainsi est démontrée la possibilité de renverser des situations et des phénomènes problématiques pour peu que la volonté politique le veuille et mette fin à la recherche du gain aux dépens de l’environnement et de la santé des humains et du Vivant.
Espace vital
La pneumonie Covid-19 est fortement liée à la proximité et à la densification des élevages et des marchés d’animaux vivant au sein des populations. En Chine, on compte de nombreux « wet markets » d’animaux qui, normalement ne sont jamais en contact.
L’urbanisation galopante, l’industrialisation et la déforestation ont privé d’espace vital bien des espèces animales qui vivent une destruction accélérée de leurs habitats. Il en résulte une probabilité accrue de « contacts proches et répétés avec les humains d’où un passage de microbes dans nos corps où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers….par « le passage de la barrière d’espèce » » écrit Sonia Shah (Le Monde Diplomatique, mars 2020, p. 1 et 21)**. Dans les banlieues de Londres, on aperçoit maintenant des renards rôder nuitamment autour des poubelles tout comme les ours dans les parcs américains et les éléphants près des villages kényans. Cette biodiversité est indispensable pour les équilibres écologiques : lorsque les pesticides toxiques ont décimé le bétail en Inde, les vautours charognards ont aussi succombé laissant les charognes aux chiens errants. Du coup, les villageois ont enregistré de nombreux cas de rage, les meutes s’étant fortement développé grâce au surplus de nourriture laissée par l’absence des vautours.
Pour la Tunisie confrontée à cette grosse épreuve sanitaire, espérons que la conscience et la responsabilité guident le comportement de nos concitoyens.
Mohamed Larbi Bouguerra
**Lire sur le site de Leaders Le virologue égyptien et le coronavirus saoudien
- Ecrire un commentaire
- Commenter