News - 13.03.2020

Corona: le virus révélateur

Corona: le virus révélateur

Partie de Chine, l’infection à coronavirus aborde son troisième mois. Trois mois durant lesquels des milliers de malades sont morts, quatre-vingt-dix pays ont été contaminés, conférant à l’infection le statut de pandémie. Tout cela dans l’ignorance la plus totale, de la part des autorités sanitaires, quant au profil évolutif de ce nouveau virus et à la période nécessaire pour le voir régresser.

Le coronavirus a débarqué en Tunisie le 2 mars dernier. Pour l’instant il s’agit de sept cas « importés », en dehors d’une patiente résidant dans le pays et contaminée par son mari. En exceptant deux patients, l’un qui a guéri, l’autre qui a quitté le territoire, il ne reste pour l’instant que cinqpersonnes infectées.

Mais, cette infection qui progresse lentement mais sûrement pointe du doigt les défaillances humaines et matérielles de notre pays. Des manques connus de tous, soigneusement occultés et qui deviennent aujourd’hui dangereux et inacceptables.

Les défaillances humaines sont, sans doute, les plus douloureuses car elles confirment (une fois encore) le profond incivisme des tunisiens. Qu’un patient contaminé par le virus, prenne sur lui de quitter la quarantaine imposée, d’aller au hammam, de s’offrir une chicha au café, en regardant le match avec les copains, sans se préoccuper une seule seconde du nombre de personnes qu’il est susceptible de contaminer, voilà qui est criminel ! Qu’un autre malade, de 83 ans, décide de quitter son domicile à Bizerte, pour se rendre à l’aéroport de Tunis Carthage et embarquer, tranquillement, à bord d’un vol pour Strasbourg, et cela sans qu’aucun contrôle ne l’ait détecté et sans qu’il n’ait été dérangé d’aucune manière. Il semble qu’à l’aéroport on ne contrôle que ceux qui arrivent, pas ceux qui partent et risquent de contaminer un avion entier. En définitive, ce malade, se fiche comme d’une guigne de ses concitoyens ! Est-ce de l’ignorance ou de l’indifférence ? Le résultat est le même.Quant aux autorités de l’aéroport, elles ont une vision très topographique de la contamination, toujours dans le hall « arrivée », jamais du côté départs… A partir de là, seules des sanctions musclées seraient à même de remédier à tout cela : généraliser les contrôles à tous les voyageurs, arrivés ou partants, refréner les agissements des patients peu respectueux des mesures d’isolement Mais, si nous avons actuellement 1400 personnes soumises à la quarantaine préventive, comment imaginer qu’on puisse mettre un agent devant chacune des portes ou surveiller quotidiennement l’obéissance de ces citoyens au confinement imposé ?

Mais il n’y a pas que les citoyens infectés ou soumis au confinement.  Nos honorables députés font preuve d’un désintérêt manifeste à l’égard de la situation sanitaire du pays. La commission parlementaire qui devait statuer sur la loi concernant la responsabilité médicale et la situation liée à l’infection par le virus« corona » n’a pas pu se réunir à l’heure prévue, par manque de…députés : ces messieurs n’ont pas jugé utile d’être présents. Quelle grande preuve de civisme ! Quel patriotisme exemplaire ! En somme, un comportement aussi déplorable de la part des citoyens que de leurs élus.

Autre chose : la faiblesse des infrastructures, jusque-là connue de tous et occultée dans l’attente d’améliorations prévues dans un avenir lointain… voilà que notre dénuement nous rattrape de plein fouet. On exige l’isolement du patient à domicile, seul dans une chambre. Mais, combien de familles tunisiennes sont en mesure d’assurer une chambre autonome à un de leurs membres, de manière à garantir un isolement adéquat ? D’autre part, si vous exigez de certains citoyens de garder la maison pendant quatorze jours, ils vous rétorqueront que s’ils ne travaillent pas, leurs familles n’auront pas de quoi manger. Tous ceux qui gagnent leur vie au jour le jour (ouvriers du bâtiment, ou du secteur agricole) sont dans l’incapacité matérielle de respecter le confinement. Dans d’autres pays, cette catégorie de personnes est fournie en denrées de base par les autorités, une prestation dont notre pays est incapable.

Venons-en aux conseils, matraqués par les autorités et les médias, et consistant essentiellement dans le lavage des mains et le port de masques. Commençons par le lavage des mains, exigé de tous. Comment se laver les mains lorsqu’il n’y a pas d’eau ? Allons voir des écoles à l’intérieur du pays, pas forcément en rase campagne : à Nabeul, tout comme à Bizerte, certaines écoles n’ont pas d’eau potable : eau coupée ou non disponible… Pas non plus de produits détergents permettant de désinfecter les salles de classes. Bien plus, une institutrice, interviewée, a déploré le fait que ses élèves buvaient tous à la même bouteille, une bouteille qui passait de main en main. Que l’institutrice déplore l’usage collectif d’une bouteille d’eau est très curieux : dans l’absolu, c’est à elle, comme aux parents, d’inculquer aux enfants la nécessité de ne pas partager la même bouteille. Si elle ne l’a pas fait, elle a manqué à son devoir d’éducatrice ; il ne lui reste plus que la solution de facilité : dénoncer le fâcheux comportement qu’elle n’a rien fait pour interdire.

Venons-en au port de gants et de masques, souhaitables mais moins impératifs que le lavage des mains. Les masques sont nécessaires au personnel de santé. Il semble que cela soit loin d’être garanti dans les hôpitaux périphériques, et encore moins dans les centres de santé de base. Il y a quarante-huit heures, l’hôpital de Kairouan a connu une explosion de colère, justifiée, de la part du personnel, exigeant de disposer de moyens de protection, en particulier de masques.

Les mesures préventives devraient aussi concerner les lieux de regroupement : aéroports, centres commerciaux, moyens de transport. Le ministère de la Santé a-t-il mis en place des mesures préventives dans ces lieux ? Y a-t-il des gels désinfectants, un port de masques obligatoire pour le personnel travaillant dans ces structures ? Pas à notre connaissance et c’est regrettable. Quelques tentatives pour installer des gels désinfectants dans les endroits de grand passage, se seraient soldées par le vol pur et simple des flacons de gel… Sans commentaires !

Pour l’instant, le nombre de cas d’infection enregistrés dans notre pays demeure limité, et n’atteint pas le niveau de l’épidémie. Croisons les doigts pour que cette situation ne s’aggrave pas. C’est que les efforts à déployer en cas d’infection plus étendue, risquent de nécessiter des moyens matériels et humains dont notre pays est dépourvu. Si, malheureusement, l’infection se propage, il faudra débourser plusieurs dizaines de millions de dinars pour assurer la réalisation des tests diagnostiques, tout comme pour fournir aux patients et au personnel soignant les moyens adéquats de prévention. Bien plus, la pénurie de nos hôpitaux en lits de réanimation, rendrait difficile la prise en charge des malades compliqués, sans compter les mesures d’isolement que nos hôpitaux ne sont pas en mesure de fournir : faut-il rappeler que dans la majorité de nos hôpitaux, y compris à Tunis, les chambres individuelles demeurent rares et les malades sont, au mieux, à deux dans une chambre, voire à plusieurs…

Il est toujours navrant qu’une situation critique, telle celle que nous vivons, projette un éclairage cru et sans concessions sur les manques humains et matériels qui grèvent le comportement des tunisiens et les infrastructures du pays. Ces carences sont un fait et exigeraient de longues années pour être réparées. Actuellement, nous ne pouvons que les constater et « faire avec ». C’est avec nos carences que nous allons affronterune infection qui a ébranlé des pays riches et autrement mieux outillés que nous. Il ne reste plus qu’à espérer que la chance soit de notre côté et que l’infection à Corona soit légère et brève à traverser. Après quoi, nous pourrons nous rendormir,oublier l’incivisme de nos concitoyens, tout comme la faiblesse de nos infrastructures et retourner à nos petites affaires… Amen!

Azza Filali
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
oueslati ridha - 13-03-2020 13:26

Oui , c'est un type d'infection lié à notre temps , mode de vie .. Il est sage actuellement de calmer les esprits et travailler le civisme et la responsabilité de tous , les cas que vous avancez ne représente pas le vrais visage du Tunisien . espérons que l'orage ne laisse pas des traces graves .

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