Kaïs Saïed: la symbolique des cent premiers jours
Au cours de sa campagne électorale, le candidat Kaïs Saïed a promis de réformer la Constitution et le mode de scrutin aux législatives. Il pense qu’aucun redressement d’aucune sorte ne peut s’accomplir en Tunisie si ces réformes ne sont pas adoptées. On peut épiloguer à loisir sur l’impact que pourrait avoir la « présidentialisation » accrue du régime politique sur le rendement de l’exécutif et sa capacité à enrayer la très grave dégradation des paramètres socioéconomiques, mais aucun être sensé ne saurait nier que la proportionnelle de listes aux législatives a des conséquences directes sur l’instabilité gouvernementale et la mainmise exorbitante des appareils des partis politiques sur l’exécutif et l’Etat dans son ensemble. Si ce mode n’est pas remplacé par un mode majoritaire uninominal à deux tours et si le nombre de représentants du peuple n’est pas ramené de 217 à un chiffre situé entre 119 et 158, le régime politique tunisien restera aussi absurde et inefficace que par le passé, et ce quelle que soit l’étendue de la présidentialisation envisagée.
Pour l’heure, rien n’indique que le Président élu soit revenu sur ses promesses, mais tout indique qu’il tarde à les tenir. Il a certes en face de lui une ARP récalcitrante, une opinion publique démobilisée et des partis politiques majoritairement hostiles à toute réforme de fond - le mode de scrutin en particulier -, mais cela n’excuse pas ses atermoiements et ses hésitations. Plus de cent jours sont passés depuis son installation à la présidence de la République sans que rien ne bouge. Pire, on assiste à l’éclosion d’une manœuvre concoctée par quelques-uns pour vendre à l’opinion publique l’idée selon laquelle le relèvement à 5% du seuil donnant droit à la représentation nationale suffit à dégager une majorité parlementaire stable et cohérente. Evidemment, rien n’est plus faux, mais cela permet aux opposants déclarés ou putatifs de Kaïs Saïed - et ils sont légion - d’allumer un feu de contre-feu et de contrecarrer ainsi ses projets les plus emblématiques.
Pour autant, la référence aux cent premiers jours sonne comme un artifice médiatique, sans plus. Puisée essentiellement dans l’histoire française, la référence aux «cent jours» rappelle les péripéties de la geste napoléonienne commençant le 1er mars 1815 avec le débarquement de Napoléon 1er à Golfe Juan et finissant le 22 juin avec sa seconde abdication. Ni le contexte général, ni les circonstances ni les acteurs politiques ne sont comparables avec ce qui se passe en Tunisie. Il existe par contre une symbolique forte des cent premiers jours qu’on peut emprunter à l’extraordinaire œuvre législative et politique accomplie par Franklin D. Roosevelt au cours des cent premiers jours de son premier mandat comme Président des États-Unis d’Amérique. En moins de cent jours, le Président Roosevelt a réussi à faire adopter par le Congrès 76 projets de loi qui ont permis aux Etats-Unis de sortir de leur grave crise économique et de retrouver croissance et emploi.
Mais même dans ce cas, la référence aux cent premiers jours ne se justifie pas sauf si on veut souligner par là l’incapacité de Kaïs Saïed à maîtriser le calendrier politique et électoral. Certes Kaïs Saïed peut dissoudre l’ARP, mais si le mode majoritaire uninominal à deux tours n’est pas mis en place entre-temps, les élections législatives qui suivront la dissolution reproduiront la même impasse politique qu’auparavant. Il se trouve que les principaux partis politiques ne veulent pas de ce changement de scrutin et proposent à sa place un aménagement superficiel (seuil) qui renforce leur mainmise sur la représentation nationale. Aussi le temps qui passe travaille-t-il objectivement contre les réformes constitutionnelles prônées par Kaïs Saïed. C’est une loi quasi universelle. Aucune réforme de ce type n’a réussi à voir le jour en temps voulu quand ses propres promoteurs tardent trop à la faire adopter ou se laissent trop gouverner par l’évènementiel et la gestion du quotidien.
Habib Touhami