Mustapha Mezghani - L’Industrie 4.0: une vraie menace pour l’économie Tunisienne
L’Industrie 4.0 constitue une vraie menace pour l’Industrie tunisienne, certes, mais aussi pour l’économie entière, car contrairement aux apparences, l’Industrie 4.0 n’est pas uniquement plus d’intelligence dans les produits et les processus de fabrication, mais il y a derrière toute une philosophie qui dépasse largement cette partie apparente de l’iceberg.
L’Industrie 4.0 s'inscrit dans l'évolution logique de l'histoire industrielle et est porteuse non seulement d'avancées technologiques mais également de progrès en termes d'organisation du travail:
1. La première révolution industrielle fait référence à l’introduction de machines entrainées par la vapeur ou la force hydraulique
2. La deuxième révolution industrielle fait référence à l’introduction de la division du travail, de la production de masse et de l’énergie électrique
3. La troisième révolution industrielle fait référence à l’introduction de l’électronique et des technologies de l’information, IT, pour automatiser plus avant la production
4. La quatrième révolution industrielle fait référence à l’interconnexion entre les machines via l’intégration de systèmes cyber-physiques, SCP dont l’introduction vise la production de séries de taille 1 dans des délais raccourcis et à des coûts identiques à ceux d’une production en grande série.
L’Industrie 4.0: Un concept qui va au-delà de l’intelligence des composants et des équipements
C’est en 2011 que, suite à une étude, le gouvernement fédéral allemand a lancé un projet industriel très ambitieux baptisé Industrie 4.0 pour signifier que le système productif allemand devait passer à l'offensive concernant la révolution digitale et maintenir son leadership mondial. Cette décision est justifiée par La menace de voir les géants de l’internet capter toute la valeur ajoutée de l’industrie à l’instar de ce qui s’est passé dans l’édition ou l’hôtellerie, et de voir ces géants de l’internet imposer une relation exclusive avec le client final ; Détenant l’accès aux données d’usage et des interfaces guidant le choix des consommateurs. Cette décision est aussi justifiée par la peur des menaces susceptibles de faire vaciller le leadership de l’industrie allemande ainsi que le ralentissement de la croissance de l’investissement dans les BRIC et parallèlement le positionnement de la Chine ou de la Corée du Sud comme producteurs matures de machines-outils.
Dès l’origine, Industrie 4.0 se présente comme un rêve technologique : l’application de l’internet des objets au monde des biens d’équipement. Le projet Industrie 4.0 consiste ni plus ni moins à dessiner les contours d’une quatrième révolution industrielle portée par la vision d’une mise en réseau de tous les éléments du processus de production pour construire l’usine ultra-connectée du futur, baptisée integrated industry, smart factory ou encore digital factory.
L’Industrie 4.0 s'inscrit donc dans l'évolution logique de l'histoire industrielle et est porteuse non seulement d'avancées technologiques mais également de progrès en termes d'organisation du travail. Le concept de l’Industrie 4.0 est partagé par l’ensemble des parties prenantes : Industrie, Etat, syndicats, recherche et partis politiques et a été confirmé lors de la signature du contrat de coalition de gouvernement fin 2013.
Ainsi, l’intégration de systèmes cyber-physiques, SCP, permet aux systèmes qui communiquent les uns avec les autres de s’autoréguler sans commande centrale. Ainsi, l’usine est configurable en fonction des besoins, avec des modules qui peuvent être ajoutés ou retirés grâce à des fonctions de « plug & work ». L’Industrie 4.0 permet le franchissement d’un nouveau pallier dans l’organisation de la production et vient renforcer les bénéfices classiques de l’automatisation : gains de productivité, amélioration de la qualité, de la maintenance, fiabilisation des machines et économies d’énergie. Elle permet aussi de répondre plus rapidement aux besoins du client final. Dans le cadre du projet « Speed Factory », Adidas a entreprise de réaliser une usine de chaussures au format d’un camion de 38 tonnes permettant de relocaliser la production de chaussures, voire de vêtements textiles au plus près de la demande, soit à proximité des agglomérations urbaines. Ainsi, il sera possible aux clients de fabriquer directement leurs chaussures personnalisées en magasin.
Place de la Tunisie dans l’Industrie 4.0
Ces nouvelles usines dont la conception est guidée par la réactivité à la demande et la déclinaison individuelle des produits, induisent une reconfiguration des flux logistiques et une nouvelle localisation des sites de production. Ceci entrainera un flux de relocalisation (par opposition à délocalisation) des industries à proximité et au sein des espaces industriels et urbains européens et américains. Des industries qui ne chercheront plus les sites à faibles coûts de main d’œuvre vu que l’unité aura le même coût que la série. Plus besoin de fabriquer de grandes séries et plus besoin d’immobiliser d’important moyens en raisons des délais d’acheminement de la matière première ou des produits finaux à partir de sites éloignés. Les usines seront des «stores factory».
A terme, il est possible d’imaginer que la commande du client sera automatiquement prise en charge que ce soit en termes de logistique d’approvisionnement, de processus de fabrication ou de services logistiques, et que cette commande déclenchera la réalisation d’un ensemble de fabrication et de logistique qui s’autoréguleront.
Ainsi, avec l’Industrie 4.0, tous les avantages du site Tunisie tel que promu aujourd’hui tombent à l’eau.
• Les sites à faibles coûts de main d’œuvre n’ont plus de sens avec une robotisation à outrance, ou même avec une co-botisation où robots et humains cohabitent.
• L’avantage des ressources humaines qualifiées tombe aussi progressivement à l’eau vu que les ressources humaines sont de plus en plus mobiles et que de nombreux pays, considérés comme «concurrents» à la Tunisie, investissent de plus en plus dans la main d’œuvre.
Au contraire, la Tunisie devient désavantagée par ses points faibles, et le plus critique est la logistique. En effet, rapprocher des unités de fabrication de la demande a pour objectif premier de répondre rapidement à la demande d’un client qui est de plus en plus pressé et qui exige de plus en plus des articles personnalisés. Comment pourrait-on y répondre avec notre logistique actuelle ?
Sommes-nous conscients de ces menaces et de ces insuffisances ?
Envisageons-nous réellement des solutions aux problèmes du futur ? Si oui, est-ce que nous le faisons avec les données et paramètres du passé ou du futur ? Car si les données sont erronées, la solution envisagées ne peut être bonne.
Mustapha Mezghani
Expert en économie numérique, facilitation du commerce et politiques publiques