Kamel Jendoubi, Khadija Cherif, Lilia Rebaï et Ramy Salhi au Danemark et en Suède, après Bruxelles, pour un nouveau partenariat tuniso-européen
Des militants irréductibles du dialogue entre la société civile, les autorités tunisiennes et l’Europe ne désarment. Kamel Jendoubi, Khadija Cherif, Lilia Rebaï et Ramy Salhi, d’EuroMed Droits, viennent d’entreprendre du 5 au 11 février courant une mission de plaidoyer au Danemark et en Suède. Elle vient en prolongement d’une démarche similaire entreprise du 21 au 23 janvier 2020 à Bruxelles et à laquelle ont participé Kamel Jendoubi, Ouided Bouchamaoui et Lilia Rebaï. Eclairages.
Du 5 au 11 février 2020, dans le cadre du Dialogue tripartite entre la société civile, les autorités tunisiennes, les institutions européennes et ses États membres, que mène EuroMed Droits en Tunisie depuis 2014 dans l’objectif de mobiliser la société civile tunisienne autour des relations entre la Tunisie et l’UE, une délégation de la société civile s’est rendue à Copenhague et à Stockholm pour présenter les conclusions d’un Policy Paper intitulé «Pour une vision stratégique tunisienne du Partenariat avec l’Union européenne ».
Ce document publié par EuroMed Droits en juin 2019, a été coordonné par M. Kamel Jendoubi, ancien ministre tunisien chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l'Homme, président d'honneur d'EuroMed Droits, premier président de l’ISIE et président du groupe d'experts des Nations unies sur la situation au Yémen et piloté par un groupe d’experts composé de M. Bessem Karray, professeur de droit à la Faculté de Droit de Sfax, M. Mohamed Limem, maitre-assistant en Sciences politiques à la faculté de Jendouba et M. Sélim Hammemi, ancien ambassadeur de Tunisie à Prague.
Ces travaux de réflexion ont associé les représentants des acteurs clefs de la société civile tunisienne notamment l’UGTT, l’UTICA, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, l’Ordre national des avocats, l’Association des magistrats tunisiens (AMT), le FTDES, l’ATFD , l’AFTURD et l’Association de défense des droits de l’enfant (voir liste complète dans le rapport disponible ici.
Des personnalités de renom ont également contribué à ce document parmi lesquelles Mme Ouided Bouchamaoui, ancienne présidente de l’UTICA et co-lauréate du prix Nobel de la paix octroyé au quartet tunisien en 2015, M. Mohammed Salah Ben Aïssa, ancien ministre de la Justice, M. Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances, Mme Naïma Hemmami, secrétaire générale adjointe de l’UGTT, Mme Sana Ben Achour, présidente de Beity, M. Sofiane Ben Farhat, journaliste et Mme Salsabil Klibi, universitaire.
Outre M. Kamel Jendoubi, ont pris part à la mission menée au Danemark et en Suède, Mme Khadija Cherif, universitaire, militante des droits humains et des droits des femmes, notamment au sein de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et de l'Association tunisienne des femmes démocrates, Mme Lilia Rebaï, directrice à EuroMed Droits chargée du dialogue avec la société civile sur la région EuroMed et M. Ramy Salhi, directeur du bureau Maghreb d’EuroMed Droits.
Lors de cette mission la délégation a rencontré le ministère des Affaires étrangères danois, le ministère des affaires étrangères suédois, l’Institut suédois pour le dialogue sur la région MENA, le Swedish International Development Cooperation (SIDA), la Commission parlementaire des affaires européennes, les présidents et représentants des groupes parlementaires suédois, dont le président du groupe des sociaux-démocrates et des verts (partis au pouvoir) et le parti modéré (dans l’opposition). Les membres de la délégation ont également été reçus par l’ambassadeur de Tunisie en Suède et au Danemark, M. Moez Mehdi Mahmoudi qui a soutenu cette mission et M. Wissem Boudriga Premier-Secrétaire auprès de l'Ambassade a été présent à plusieurs réunions, en parfaite harmonie avec la méthodologie du Dialogue tripartite.
Cette mission de plaidoyer fait suite à une précédente mission organisée par EuroMed Droits, du 21 au 23 Janvier 2020 à Bruxelles et à laquelle ont participé M. Kamel Jendoubi, Mme Ouided Bouchamaoui et Mme Lilia Rebaï. Lors de cette autre mission de plaidoyer, la délégation de représentants de la société civile tunisienne a été reçue par l’ambassadeur de Tunisie à Bruxelles, M. Ridha Ben Mosbah et a eu plusieurs rencontres, notamment avec le ministère des Affaires étrangères belge, le cabinet du président du Parlement européen et du commissaire européen à l’Elargissement et à la Politique européenne de voisinage, des parlementaires européens, les représentations des États membres (France, Danemark, Italie, Espagne, Portugal), des représentants du Service européen de l’action extérieure et du Conseil économique et social européen. Lors de la mission à Bruxelles, Monsieur Kamel Jendoubi et Mme Bouchamaoui ont eu une audition publique à la sous-commission parlementaire des Droits de l’Homme au cours de laquelle ils ont présenté les conclusions et principales recommandations du rapport sur le partenariat entre la Tunisie et l’UE.
Ces recommandations sont la résultante d’une analyse du cadre global des relations entre la Tunisie et l’UE. L’Accord d’association (1995) issu du Processus de Barcelone ainsi que les différentes initiatives proposant de nouveaux cadres de coopération avec l’Union européenne (plans d’actions à partir de 2003 et politique européenne de voisinage/PEV puis PEV rénovée par la suite) ont montré leurs limites. Il est devenu nécessaire d’engager une réelle réflexion prospective sur les attentes des citoyens et citoyennes tunisiens concernant le partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne ainsi qu’avec ses États membres.
A partir de 2011, le « Partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée », le « Partenariat privilégié » (19 novembre 2012), son Plan d’Action (2013-2017) ainsi que les différents instruments financiers destinés à aider la Tunisie -notamment l’Instrument européen de voisinage- devaient déboucher, selon un long et complexe processus d’appropriation et de convergence globale, sur une nouvelle stratégie fondée sur un attachement conjoint à des valeurs communes, un alignement progressif sur l’acquis communautaire européen et une approche aussi différenciée que possible prenant en considération les spécificités tunisiennes. Cependant, force est de constater que la croissance et le développement économique durable et inclusif font passablement défaut. De même, les déclarations du Conseil de l’UE de 2016 et celles, conjointes, du Conseil d’Association (mai 2018) visant à un renforcement de ce partenariat, ainsi que les Priorités stratégiques 2018-2020 ne répondent pas pleinement aux aspirations légitimes du peuple tunisien qui a exprimé sa volonté de bâtir un Etat de droit démocratique, respectueux des droits humains, égalitaire et économiquement prospère. La faible référence au respect de droits humains, une vision de la mobilité abordée sous l’angle sécuritaire et une aide au développement conditionnée par une approche de gestion concertée des frontières et par la conclusion d’un ALECA, dont certaines dispositions, en l’absence d’une évaluation de l’accord d’association de 1995, risquent d’aggraver la situation économique tunisienne, déjà fortement fragilisée.
En effet, l’offre européenne s’articule autour d’un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) et d’une déclaration politique relative au Partenariat pour la mobilité, assortie de deux accords (réadmission et facilitation de visas) ;cette démarche obéit à deux impératifs contextuels de l’UE, à savoir : répondre à la pression migratoire et «sécuriser» les frontières de l’Europe, d’une part, et libéraliser les marchés de ses voisins, d’autre part. Au-delà du fait qu’une réflexion profonde s’impose, coté tunisien, sur la vision stratégique du pays quant à l’orientation à donner à ses relations avec l’UE pour mettre en place un réel partenariat pour un développement et une prospérité partagée, une autre réflexion est également à mener côté européen pour adapter tant la méthodologie que les instruments de mise en œuvre de sa «politique européenne de voisinage» y compris «rénovée» qui sont directement inspirés de ceux mis en place à l’égard des voisins de l’Est de l’UE (candidats à d’élargissement), et alors que le voisinage sud est privé de toute perspective d’adhésion même après « ’alignement sur l’acquis communautaire».
En outre, l’approche différenciée à la base de ce cadre de partenariat n’a pas vraiment pris en compte non seulement les spécificités des pays de la région du sud de la Méditerranée mais surtout les exigences particulières de la Tunisie, au regard des défis et enjeux posés par la transition tunisienne.
Le nouveau cadre juridique proposé (accords de nouvelle génération) qui tend à uniformiser la politique extérieure de l’UE vis-à-vis de ses voisins du Sud, pourrait constituer un risque de voir la Tunisie assujettie à un alignement plus exigeant à caractère multilatéral (rapprochement de l’acquis communautaire, établissement des règles d’origine du Protocole pan-euro-med, réadmissions des nationaux et des ressortissants des pays tiers, …), alors que des accords bilatéraux en vigueur avec les principaux partenaires européens répondent déjà, dans une certaine mesure, aux intérêts mutuels des parties.
Une vue de court et de moyen terme sous-tend cette démarche. Elle se vérifie sur la manière des deux parties d’aborder les enjeux. D’une part, l’UE, avec les accords de libre-échange et de mobilité, déficients en matière de réel développement humain et durable, d’égalité des chances et de liberté de circulation. D’autre part, la Tunisie, qui a endossé la logique européenne, se contente d’entrer en négociation sur des chapitres qui ne tiennent compte que peu ou prou des besoins inhérents à sa conjoncture actuelle, escomptant des enveloppes financières (appui budgétaire, aide macro-financière …). Ce mode de gestion timoré, n’envisage pas une remise en question plus générale des cadres de partenariat et, en même temps, reflète un manque de vision interne que l’instabilité politique récurrente pourrait expliquer.
L’instabilité politique du pays, celle de la région et les failles au niveau économique, social, culturel et environnemental semblent ne pas avoir été prises à leur juste mesure de la part de l’UE et de ses Etats membres. Sans remettre en question l’ancrage de la Tunisie dans son environnement Maghrébin, africain, arabe et euro-méditerranéen, et état de fait représente la cause majeure de la frustration de la société civile vis-à-vis de la politique extérieure de l’UE et des autorités tunisiennes.
Tel est le cadre d’analyse présenté aux différents interlocuteurs rencontrés lors des deux missions de plaidoyer. Les membres des délégations ont plaidé pour un vrai partenariat stratégique et pour un traitement spécifique et adapté à la Tunisie en prenant en compte sa spécificité «démocratique». Les représentants de la Société civile tunisienne ont également plaidé pour la conclusion d’accords respectueux des droits humains et à même de remédier d’une manière durable aux maux du pays, notamment à travers le développement inclusif du pays, la réduction des disparités régionales et sociales et la baisse du chômage afin de réaliser enfin les aspirations légitimes du peuple tunisien de voir le pays parachever sa transition pacifique et démocratique et devenir un Etat de droit, prospère, ouvert et respectueux des droits humains.
Les missions de plaidoyer ont atteint leurs objectifs. L’ensemble des interlocuteurs rencontrés a déclaré que la Tunisie est un partenaire clef, que le modèle tunisien est particulier et qu’il représente une source d’inspiration pour l’ensemble de la région. Enfin, les divers interlocuteurs scandinaves se sont montrés également très sensibles aux questions des droits humains et des droits des femmes. Certaines pistes de collaboration future seront creusées dans les prochaines semaines et d’autres missions de plaidoyer seront organisées prochainement auprès d’autres Etats membres de l’UE, tels que la France, l’Italie et l’Espagne.
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