Opinions - 15.01.2020

Azza Filali - Islamistes : ces retardataires de l’Histoire

Azza Filali - Islamistes : ces retardataires de l’Histoire

Nos islamistes accumulent les déboires : une victoire médiocre aux élections législatives, une claque avec le gouvernement, proposé par le mouvement Ennahdha. A chaque défaite, leur chef crie à la « fête démocratique. » En somme, la démocratie est, pour Ennahdha, la roue de secours à brandir quand rien ne va plus : curieuse idée qu’ils ont de la démocratie !

En vérité, qu’il s’agisse d’ici ou d’ailleurs, les mouvements islamistes ont vécu. En dépit du bruit et des effets de manche dont ils peuvent faire preuve, tout cela ne représente que les soubresauts de la fin.
L’histoire a ceci de bien qu’en nous renseignant sur la genèse des phénomènes sociaux, elle présage aussi de leur devenir. La naissance des mouvements islamistes se situe au tout début du siècle dernier, alors que des pays musulmans, tels Irak, Syrie, Soudan, Yémen, Indonésie, possédaient d’importants partis communistes. Le parti communiste indonésien était ainsi le troisième, en nombre d’adhérents, après ceux de la Chine et de l’URSS. Avec ces partis communistes, le paysage socio-politiques’enrichissait d’une importante composante laïque, mêlant descroyants de confessions diverses et des athées, en une même conviction marxiste.

C’est avec les deux guerres mondiales que tout bascula. Bien avant 1918, les accords Sykes-Picot, conclus entre la France et la Grande-Bretagne, (avec l’aval des russes et des italiens)avaient décidé de découper le Moyen-Orient en tranches, à la fin de laguerre.La France reçut mandat sur le Liban et la Syrie, alors que Mésopotamie, Transjordanie et Palestine revinrent à la Grande Bretagne. En 1928, le désir de libérer l’Egypte du joug britannique conféra à Hassen El Benna un prétexte légitime pour créer la confrérie des frères musulmans, et instaurer l’idée de Jihad comme lutte armée offensive.

C’est aussi aux années 1920 à qu’on peut approximativement faire remonter l’éveil des nationalismes arabes qui couvaient sous la cendre, depuis la colonisation du Proche-Orient et du Maghreb par l’Europe. Ces nationalismes ont longtemps représenté un credo unificateur, credo dans lequel le président égyptien Jamal Abdennasser a abondamment puisé pour assoir sa puissance et sa popularité.

Mais, voici que deux autres accidents surgissent et font basculer le cours de l’histoire : le premier est la création de l’état d’Israël en 1948 et le renvoi des palestiniens hors de leurs villages et de leurs propriétés. Second accident: la guerre des six jours. Défaite cuisante, humiliation au-delà de l’imaginable, qui sonna le glas du nationalisme arabe. Dès lors, les frustrés dece nationalisme s’engouffrèrent dans l’islamisme politique, seul credo mobilisateur, seule échappatoire à la honte qui submergeait un Proche-Orient, foulé aux pieds par les occidentaux, humilié par la présence imposée des sionistes, en plein cœur de ses territoires.

Mais, l’occident, prompt à tout récupérer, vit dans cet islamisme naissant, une aubaine pour contrecarrer les mouvements communistes, encore prégnants dans le monde arabe. Ainsi, l’année 1979 condense, en un raccourci saisissant, une série d’événements fondateurs de l’islamisme radical : en février 1979, naissance de la république islamique d’Iran, en lieu et place du régime moderniste et dépensier du Shah. En avril, exécution au Pakistan de Zulficar Ali Bhutto, jugé trop laïque. En décembre 1979, invasion de l’Afghanistan par les soviétiques, pour lutter contre des djihadistes, secrètement armés par les américains. Durant la même année, le choc pétrolier et l’envolée du prix du pétrole, modifia l’équilibre au sein du monde arabe, hissant au-devant de la scène, des pays tels l’Arabie Saoudite, le Yémen, le Qatar… Avec eux, un islamisme radicalse propagea dans le monde arabe, financé par les richesses, émanant de la manne pétrolière.Au même moment, l’Iran de Khomeiny contribuait à l’émergence de mouvements armés dans les pays de la région : Hezbollah au Liban, Hamas à Gaza, Houthistes au Yémen. Dès lors, entre les groupes Djihadistes, une guerre de pouvoir s’alluma, chacun redoublant de violence et de massacres pour assoir sa supériorité. Qu’on se souvienne des atrocités commises par l’organisation dite « état islamique », pour avoir le dessus sur « El Quaida »…

Mais, l’histoire a continué d’avancer. En 1989, la chute du mur de Berlin vit partir en poussière un siècle de communisme.Dès lors, la guerre froide se mua en un conflit larvé pour dominer le Proche et le Moyen-Orient, avec leurs immenses réserves de pétrole et de gaz.Or, quoi de mieux, pour faire plier cette région, que de la détruire, et de la morceler en parcelles, si possible antagonistes, non seulement soumises à la guerre, mais se faisant la guerre entre elles ? Après le 11 septembre 2001, l’Amérique avait un prétexte, moralement irréprochable, pour envahir la région, sous prétexte de punir Saddam Hussein d’avoir envahi le Koweït et de détenir une arme chimique qui n’existait pas. C’est ainsi que les USA et leurs alliés Européens, démolirent l’Irak, la Syrie, le Yémen, confortèrent une guerre civile qui dure encore en Libye, occidentaux aidés par des islamistes dûment armés par eux, (voire entraînés sur les porte-avions américains).

Mais, la roue du temps a continué de tourner, inexorable. Aujourd’hui, bien des indicateurs attestent du déclin de l’islamisme, sous les diverses formes qu’il a revêtues, au cours du temps. L’indicateur le plus sûr est la quasi-extinction de l’islamisme guerrier, à l’exception des « loups solitaires » qui, malheureusement, continuent leurs attentats, aussi meurtriers qu’incohérents, à travers le monde. Mais, l’extinction de l’islamisme guerrier est bel et bien advenue : liée d’abord à la défaite militaire d’Al-Qaeda puis à celle de l’effroyable état islamique. Elle relève aussi de la pression, exercée par les occidentaux (américains en premier), sur les pays du golfe et surtout le Qatar, pour suspendre leur soutien matériel aux djihadistes. De la même façon, les USA ne sont pas étrangers au revirement politique survenu en Arabie Saoudite, sous la houlette du prince héritier Mohamed Ben Salman,lequel a entrepris une lutte, mesurée mais effective, contre le wahhâbisme.

Pour l’islamisme politique, le déclin est aussi avéré. Les islamistes ont compté sans la capacité des appareils d’Etat à résister au changement. Pour revenir au mouvement Ennahdha, le dernier événement, à savoir le rejet, par le parlement, du gouvernement (nahdhaoui pur jus) de Habib Jomli, a procédé d’un sursaut national où l’on a vu s’unir des partis laïques et modernistes, jusque-là opposés par des querelles idéologiques et des rivalités personnelles qu’on croyait inexpugnables. Pareil événement rejoint l’été 2013 où des manifestations populaires de grande ampleur, jointes au refus des grandes organisations du pays, ont empêché le passage d’un projet de constitution, émanant de la Chariaa et fait tomber le gouvernement d’Ennahdha.

Mais, le déclin de l’islam politique est également perceptible ailleurs qu’en Tunisie. En Iran, pays-berceau de l’islam politique, et qui vient de fêter 40 ans de république islamique, l’ambiance est au marasme. Le retour des sanctions économiques américaines (après le retrait de Washington de l’accord sur le nucléaire), l’absence d’investissements étrangers, ont considérablement affaibli le pays. Nombre d’iraniens de la classe moyenne ont basculé vers une pauvreté, durement ressentie et décriée à travers tout le pays, via grèves et manifestations. Quant à l’islamisation de la vie publique, elle est plus théorique que véritable. Depuis des années, l’Iran a amorcé une libéralisation des mœurs, lente mais irrévocable. En cela, iraniennes et iraniens sont en avance sur leur législation, tout comme sur l’image stéréotypée que leurs dirigeants s’acharnent à maintenir.

Plus proche du cœur d’Ennahdha, la Turquie de Rejeb Taieb Erdogan, et son fameux parti « l’AKP », présumé défenseur d’une démocratie bâtie sur l’islam, mais alliant modernisme, et économie néo-libérale a longtemps représenté pour nos nahdhaoui l’exemple en or de succès de l’islam politique. Toutefois, Mr Erdogan, au pouvoir depuis 2002, a durci sa position à partir de2012 : retour des écoles coraniques, contrôle de la mixité dans les cités universitaires, réduction drastique de la vente d’alcool. Après le coup d’état avorté de 2015 et les milliers d’arrestations qui l’ont suivi (50.000 détenus), Erdogan aaccrula dimension extrémiste de son régime : création d’une université islamique, affirmation de la vocation première de la femme à la maternité, autorisation du retour des confréries soufi, hostilité active à l’égard des Kurdes… Mais, surtout, le président turc, fragilisé par une popularité en berne, a ajouté à la panoplie islamique de son parti une fibre nationaliste, référence historique à la grandeur de l’empire ottoman, brandissant au passagele spectre d’un impérialisme économique occidental qu’il veut aller affronter dans les eaux territoriales Libyennes, pour les beaux yeux du gaz naturel, question de renflouer les caisses de l’état turc.Ces rafistolages qui fleurent bon l’opportunisme politique, ne rassurent que partiellement un électorat dont près de 50% se disent opposés à la politique d’Erdogan. Tous ces déboires sont loin d’être le témoin d’un pays victorieux, affermi dans ses convictions, gouverné par un président ayant le vent en poupe. Quelles leçons Mr Erdogan pouvait-il encore dispenser à Mr Ghanouchi, parti lui rendre visite, au lendemain d’une cuisante défaite parlementaire ? Certainement pas des messages de force, ou d’optimisme. La Turquie, politiquement affaiblie, socialement divisée, offre le piteux visage d’un islam politique austère et stérile, de plus en plus fermé sur lui-même. Portrait amer d’une défaite annoncée. Comme bien d’autres phénomènes de société, l’islam politique a jailli, soutenu par des hommes et des événements ; il a joué sa partition durant quelques décennies, puis s’est lentement éteint. Aujourd’hui, le voici qui entreprend, comme d’autres avant lui, de quitter le terrain…

Azza Filali