News - 19.10.2019

Lettre Ouverte aux Chefs des Partis : Votre Responsabilité par rapport à la Fiabilité des Elections est Directement Engagée

Lettre Ouverte aux Chefs des Partis : Votre Responsabilité par rapport à la Fiabilité des Elections est Directement Engagée

Mesdames, messieurs,

Je m’adresse à vous, toutes et tous, et en particulier à la direction et aux membres du Parti Destourien Libre, un parti pour lequel j’avais pris parti lors des dernières élections. A travers son discours, j’avais estimé qu’il était le parti le plus engagé dans la lutte contre la descente de la Tunisie dans les abysses de l’histoire, et le plus capable de reprendre le travail de construction d’une Tunisie libre, éduquée, émancipée, et prospère—là où on l’avait abandonné en 2011(1)

J’ai écouté l’interview de Mme Abir Moussi sur Radio Med Tunisie le 16 Octobre et j’ai été consternée en l’entendant jeter un discrédit franc et sans ambiguïté sur l’honnêteté du scrutin.

A elle et aux autres, je dis que l’honnêteté du scrutin le jour du scrutin est, dans une très large mesure, votre responsabilité.

En amont de ce jour, la marge de manœuvre que l’ISIE, ainsi que les autres parties prenantes, avaient pour biaiser les résultats était grande et nul ne peut vous rendre responsables de toutes les malversations/manipulations/manigances qui ont pu avoir lieu—et elles étaient nombreuses aux dires de certains. Mais le jour même du scrutin, votre responsabilité se trouve directement engagée.

Le moins que les électeurs ont le droit de réclamer d’un parti qui demande leur confiance et qui prétend être capable d’assumer la lourde tâche de gouverner est qu’il soit d’abord capable de veiller à l’intégrité du scrutin. Ceci ne demande ni grande expertise technocratique, ni grande vision stratégique. Juste de l’organisation et de la vigilance. Il s’agit de dépêcher un observateur dans chacun des 4567 bureaux de vote(2) et de constituer un quartier général pour suivre le déroulement du scrutin à travers les informations soumises en temps réel par ces observateurs. En fin de journée, et à l’aide d’un simple tableur Excel, les données peuvent être rapidement tabulées afin d’être en mesure de confirmer ou d’infirmer les résultats du scrutin à la minute même où l’ISIE les annonce. Pour avoir participé à un bureau de vote lors des élections de l’assemblée constituante, je sais que ceci est parfaitement faisable et que si ce travail est fait, il devient quasiment impossible à l’ISIE de trafiquer les résultats, si telle était l’intention de certaines de ses équipes.

Quelqu’un pourrait toujours objecter que si on ne peut pas contrôler le travail de l’ISIE avant le jour du scrutin, il ne sert à rien de le contrôler le jour du scrutin. Un tel argument, poussé à sa conclusion logique, nous aurait convaincu qu’il aurait mieux valu rester chez nous le jour des élections !

Garantir des élections libre, honnêtes et transparentes est un minimum absolu en deçà duquel la démocratie serait un leurre. Et même s’il n’est pas possible de nous assurer de l’honnêteté absolue des élections, et qu’il va devenir de plus en plus difficile d’empêcher la manipulation de l’opinion publique par les médias sociaux, il incombe à tous les partis de veiller sur l’intégrité du scrutin. Ceci est une question de principe. La démocratie est d’abord et avant tout un ensemble de règles de civilité basées sur un respect profond de l’autre. La démocratie est en fait une chaîne de respects : respect de la loi, respect des institutions de l’Etat, respect du droit de l’autre à la différence, respect de ses intérêts même s’ils sont en conflit avec les nôtres. Cette chaine de respects commence par le respect de l’électeur, un respect qui commande que vous veilliez à ce que la voix de chaque électeur pèse de son pesant d’or dans la détermination du résultat final. 

Les rouages de la gestion des affaires d’un pays sont extrêmement complexes. Le devoir de contrôle mutuel entre les différentes institutions publiques est un élément primordial. Si des partis outillés, ou disposant de quelques moyens, comme le PDL, n’ont pas jugé nécessaire de surveiller le bon déroulement des élections, comment comptent-ils s’y prendre demain pour contrôler des aspects autrement plus complexes de la gestion des affaires du pays, qu’il s’agisse de l’exécution du budget, de la passation des marchés publics, de l’évaluation des contrats d’exploitation de nos richesses naturelles, ou encore des centaines de clauses dans un éventuel contrat de libre-échange avec l’Europe ?

Rakia Moalla-Fetini

(1) https://www.leaders.com.tn/article/27961-rakia-moalla-fetini-sept-considerations-a-mediter-a-la-veille-des-elections
(2) Si le nombre des bureaux de votes est un défi comparé au nombre des adhérents et des sympathisants d’un parti politique, ceci est une bonne indication que ce parti n’est pas politiquement viable et que sa présence dans le paysage politique détériore la qualité de la vie politique plus qu’elle ne l’améliore.