News - 13.09.2019

Rakia Moalla-Fetini : Sept considérations à méditer à la veille des élections

1. Le bilan économique et social sous le régime politique instauré depuis janvier 2011 est très négatif, pour ne pas dire catastrophique.

Que l’on nous permette une esquisse rapide des principaux éléments :

une corruption mafieuse qui a gangrené tous les secteurs de l’économie sans exception et qui est en train d’asphyxier, durablement et sournoisement, l’ensemble du tissu économique ;
une gestion macroéconomique désastreuse qui a mené le pays au bord de la faillite : stagnation économique, recrudescence du chômage, inflation rampante, chute de la valeur du dinar, et endettement excessif.
un pouvoir d’achat en chute libre pour une grande majorité de personnes, avec une lente mais sûre paupérisation de ceux qui étaient déjà démunis ;
des bergers égorgés, des soldats massacrés ;
l’école publique en état de délabrement avancé ;
les hôpitaux publics tellement démunis que les médecins formés à l’école de la République, avec tout l’investissement que cela représente, les désertent en masse ;
la saleté et les odeurs nauséabondes à chaque coin de rue, constituant une insulte quotidienne à la dignité du citoyen ;
la catastrophe écologique tout le long d’un littoral transformé en zone d’habitat spontané anarchique ;
le joug d’un seul clan mafieux sous l’ancien régime a été remplacé par celui de 6 à 7 nouveaux clans, tout aussi mafieux ;
ce sont, au final, toutes les institutions de l’Etat moderne, bâties de haute lutte, qui subissent des coups de boutoir systématiques et destructeurs.

Et c’est bien grâce à des financements, complaisants car politiquement motivés, de certains bailleurs de fonds que le pays donne encore l’illusion de tenir debout.

2. Le seul acquis sous ce nouveau régime est la liberté d’expression, mais faisons gaffe!

Beaucoup de cette liberté n’est qu’une apparence de liberté. En fait, ce nouveau régime est plus sournoisement répressif que l’ancien puisqu’il ne se contente pas d’emprisonner et de torturer ses opposants. Nous avons tous vu comment dans les cas de Chokri Belaïd et Mohamed brahmi, c’est l’assassinat de sang-froid qui attend les vrais opposants.

3. Coupables et responsables

Tous ceux qui ont fait partie des gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 sont responsables de cette déroute. Les plus honnêtes sont aussi responsables que les malhonnêtes, car ils ont cautionné par leur participation à ces gouvernements, les politiques qui ont mené le pays à la ruine. Qu’ont fait ceux qui étaient ministres de la Défense pour protéger nos soldats et nos bergers, et empêcher des milliers de nos citoyens d’attenter à la sécurité d’un autre pays ? Qu’ont fait ceux qui étaient ministres des Finances pour protéger la stabilité financière du pays et le pouvoir d’achat de ses citoyens ? Qu’ont fait ceux qui étaient ministres de l’Education pour protéger l’école publique, et ceux qui étaient ministres de la santé pour protéger la santé publique ? Et les complicités débordent largement pour inclure tous les gouvernants passifs que nous ne jugeons pas utile de citer.

4. Les deux chefs de gouvernement, l’actuel et un ancien, qui ont osé cacher leur double nationalité, sont-ils dignes de notre confiance ?

L’interrogation est légitime, car l’intégrité est une et indivisible. Lorsqu’elle s’en va, plus rien ne reste. A lui seul, ce manquement moral devrait les disqualifier aux yeux de leurs concitoyens. Pour tout dire, je n’en voudrais pas comme instituteurs pour mes petits-enfants. Quelle leçon allons-nous donner à nos enfants s’ils nous voient élire des menteurs et des tricheurs ? Qu’adviendra-t-il d’un peuple qui perd toute boussole morale. Quand on accepte de tuer Dieu dans nos cœurs tout sera permis.

وان هم فسدت اخلاقهم فسدو

5. On ne s’improvise pas candidat à la présidence du jour au lendemain

C’est un manque de sérieux flagrant que de se présenter aux élections à peine quelques semaines avant. Quelqu’un qui est poussé à Carthage presque malgré lui ne peut être qu’une marionnette tirée par des ficelles invisibles et des pouvoirs occultes qu’il est le premier à être d’autant plus incapable de voir qu’il est honnête et intègre.

Être prêt à concourir pour Carthage demande une inspiration profonde, un imaginaire politique, et un travail de préparation préalable colossal pour traduire une vision stratégique en plans d’action concrets dans tous les domaines.

6. N’est-il pas grand temps de fermer ce chapitre de démocratie infantile qui a détruit les institutions de l’Etat et paupériser le peuple ?

Depuis la chute de l’ancien régime le pays s’est ouvert à des vents et des courants pas toujours propices. Des consultants dépêchés par des think-tanks de tous bords ont créé tellement de brume qu’il nous a été impossible de comprendre ce qui se passe, d’où l’on vient et vers où on va.
Une nouvelle constitution a été écrite dans la précipitation, au milieu de cette brume, sans même que l’on s’interroge sereinement si c’était la première urgence. Des apprentis sorciers se sont mis à importer des idées et des modèles qui ont été conçus sous d’autres cieux pour d’autres contextes historiques et sociaux, comme le régime parlementaire ou la stratégie monétaire de ciblage de l’inflation.
Personne n’a pris le temps de lire l’histoire pour comprendre que la démocratie, pas plus que les usines, ne peuvent être importées clefs en mains. Elle est le fruit d’un travail de longue haleine sur plusieurs siècles pour construire les institutions de l’état et pour élever le niveau de conscience civique du citoyen de sorte qu’il puisse participer de façon effective à un gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple. Qu’est-ce qu’on en est loin !

7. Plutôt que de continuer à vouloir construire des chimères ayant l’apparence des châteaux, revenons à notre ancienne demeure.

Nous l’avions désertée par dégoût pour les mille et une puanteurs qu’elle dégageait, pour l’essoufflement du sentiment patriotique qui avait animé sa construction, pour les mille et une manifestations d’abus de pouvoirs auxquelles nous étions confrontés au quotidien, pour la corruption et le népotisme qui nous donnaient la nausée. Mais nous avions largement sous-estimé ce que cette bâtisse nous procurerait: la sécurité de nos personnes physiques et de nos propriétés, la sécurité de notre pouvoir d’achat pendant notre vie active et pendant notre retraite, une croissance économique certes modeste mais capable tant bien que mal d’élever notre niveau de vie progressivement, une école publique qui a été le moteur d’une mobilité sociale certaine, et un code du statut personnel qui a redonné à la femme ses droits naturels et sa dignité. Cette vieille bâtisse est la demeure qui nous a vu grandir, qui a offert à beaucoup parmi nous la chance de nous éduquer et de nous ouvrir sur les beautés du monde, et au peuple tout entier de relever l’humiliation du colonialisme.

Armés par les enseignements de l’expérience gagnée durant ces 9 dernières années, il n’y a pas de raisons pour qu’on ne sache pas la rénover pour en faire une demeure où il fera bon vivre à nouveau. Le référentiel historique qu’elle représente est une richesse qu’on ne doit pas gaspiller.

Rakia Moalla-Fetini