Mohamed El Jazi: Le nattier de Nabeul
Perpétuer une longue tradition familiale de maître nattier à Nabeul est un devoir pour les jeunes, appris dès leur enfance. Pour Mohamed El Jazi, la vingtaine à peine, c’est une vocation, doublée d’une grande passion. Ne porte-t-il pas le prénom de son illustre grand-père, Mohamed El Jazi, proclamé le 25 mars 1958, par le tout naissant Etat indépendant, lauréat du «Diplôme du Meilleur artisan de la République tunisienne, section Sparterie». Portant encore les armoiries beylicales, le diplôme qui lui avait été décerné «sur proposition du jury» est signé par le secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie dans le premier gouvernement Bourguiba (1956-1961), qui n’était autre que feu Ezzedine Abassi…
Chez les El Jazi, on connaît l’illustre pharmacien, Si Radhi, l’éminent juriste et ministre d’exception, feu Si Dali, on découvre le maître-artisan nattier, feu Si Mohamed. Une lignée d’excellence.
Contrairement aux autres nattiers rassemblés dans une rue qui porte leur nom, dans les faubourgs, au cœur du quartier le Rbat, dans des ateliers avoisinant leurs maisons, ou à domicile, le grand-père Mohamed El Jazi préfèrera s’installer en plein centre-ville. Avenue Hédi-Chaker, au croisement de la rue de Marbella (l’inégalable restaurant Bon Kif), il ouvrira son atelier. Lui aussi, non loin de l’appartement qu’habitera la famille.
A son décès, c’est son fils Jamel qui prendra la relève. Passionné, créatif, disponible, il était sans cesse à l’ouvrage courbé sur son métier horizontal de 80 cm de largeur, la longueur moyenne des tiges de jonc.
Perpétuer et innover
Jamel nous a quittés il y a quelques mois. Son fils aîné, Mohamed, est inscrit en formation de mécanique navale à Kélibia. Il fallait rouvrir l’atelier et prendre la suite de son père. Dès les premiers jours de vacances estivales, il s’y mettra, au même endroit où s’asseyaient son grand-père, puis son père. Alors que les jeunes de son âge se ruent vers la merveilleuse plage de Nabeul toute proche et s’abreuvent des plaisirs de la vie au Cap Bon, si bons, Mohamed se consacre à sa mission : perpétuer et innover.
Mohamed El Jazi n’est pas dans les hsorr traditionnels, ces nattes utilisées en couverture de parquet dans les mosquées, les hôtels et les maisons, ou tapissant cafés maures et restaurants traditionnels. Il est surtout dans les couffins rectangulaires en nattes, surmontés de cuir, les sets de table, les cartables et autres articles. A lui de revisiter les anciennes décorations, d’inventer de nouveaux produits et de créer un design moderne attractif.
Un vrai métier créatif
A la base, ce sont les tiges de jonc, smar, cueillies au début de l’été près des oueds et zones humides du Cap Bon. Il faut les calibrer par taille, les répartir par couleur, essentiellement paille, les laisser sécher à l’ombre dans des endroits couverts et humides. Puis intervient la coloration des joncs d’ornement, en noir (olive) vert, rouge ou autres. C’est déjà beaucoup de savoir-faire, un vrai métier.
Le fil de chanvre plus fin de l’alfa servira à établir la trame devant constituer la structure des nattes. Puis intervient le tissage, agrémenté du design choisi, d’inscriptions personnalisées et autres fantaisies. Une fois le métrage nécessaire réalisé, on passe à la confection. Mohamed El Jazi, imprégné de l’art de ses aïeuls, laisse libre cours à son talent et à son imagination. Sous ses mains habiles, chaque pièce est unique en son genre, de sa propre conception. Sauf si on lui demande un modèle bien précis.
Des Mohamed El Jazi, la Tunisie en a besoin
Heureux ! Sans doute ! Au moins il est tranquille, dans ce lieu chargé d’histoire familiale, s’adonnant au métier de ses ancêtres, y ajoutant sa propre empreinte.
Combien de nattiers comme lui restent-ils à Nabeul ? Très peu. Malgré une forte demande en Tunisie, mais aussi de l’étranger, notamment l’Algérie, le métier n’est plus ni attractif ni lucratif. Aucune formation spécifique n’y est réservée, aucun soutien financier particulier et aucune reconnaissance en récompense. Bourguiba l’avait fait il y a plus de soixante ans, en 1958. Ses successeurs et leurs ministres en charge de l’artisanat omettent de le suivre.
Malgré tout, Mohamed El Jazi garde la foi. Lorsqu’il lève les yeux de son métier, installé à même le sol, au milieu des tiges de jonc, son regard affectueux se pose sur le diplôme octroyé à son grand-père. Il y puise un motif d’encouragement. De tant de Mohamed El Jazi, la Tunisie a aujourd’hui grandement besoin.