News - 03.09.2019
Il y a 50 ans, Kadhafi prenait le pouvoir en Libye... pour finir en 2011, déboussolé, au fond d’un trou
Comment un idéal révolutionnaire déclencheur d’espoir et promettant démocratie dans le monde arabe de la fin des années 1960, se transforme en tyrannie ? Et comment le jeune leader flamboyant finit quatre années après de dictature en monstre honni et pourchassé, complètement déboussolé au fond d’un trou. Il y a cinquante ans, le 1er septembre 1969, renversant le Roi Idriss Snoussi, un jeune lieutenant de 27 ans, annonçait une grande révolution à même de redorer le blason arabe après la nakba (défaite) de la guerre de juin 1967. S’inscrivant dans le droit fil du président Jamel Abennaceur, adepte zélé du nationalisme arabe, avec un brin de socialisme, il incarnait l’ambition d’une nouvelle génération arabe. L’euphorie des premières années s’estompera rapidement. Dans l’excellent ouvrage « Le siècle des dictateurs », publié fin août dernier aux éditions Perrin Le Point, sous la direction d’olivier Guez, Vincent Hugeux, raconte avec talent et précision « le naufrage du Bédouin ». Le récit de la prise du pouvoir est très instructif. Extraits.
1969, année héroïque. Le jour J approche. Les insurgés comptent profiter de la longue cure annuelle de thalasso de Sa Majesté entre Grèce et Turquie. Las ! Il faudra différer l’opération « al-Qods » (le nom arabe de Jérusalem). Le soir dit, Oum Kalsoum, cantatrice égyptienne idolâtrée, donne à Tripoli un concert en l’honneur du peuple palestinien. Mais il faut agir avant d’éveiller les soupçons des services de renseignements et de leurs mentors british. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, le régime tombe comme un fruit mûr, sans effusion de sang. À l’aube, la radio diffuse le credo grandiloquent d’un officier anonyme, déclamé d’une voix hésitante.
Celle du lieutenant Muammar Kadhafi, vingt-sept ans, cerveau d’un putsch indolore et populaire, bientôt figure de proue du Conseil de commandement de la Révolution (CCR). À ses côtés, une poignée de hors-castes à son image : à peine trentenaires, idéalistes en diable, fils de nomades et de paysans, issus pour la plupart de tribus de second rang. D’emblée, le CCR, adepte d’un socialisme puritain, impose un train de mesures à haute teneur symbolique : on ampute de moitié les traitements des ministres, on double les salaires des humbles, on bloque loyers et prix des denrées de base. Sans omettre de fermer les casinos ni de prohiber l’alcool. Trois ans plus tard, celui qu’on appelle désormais Seyed al-Akid – Monsieur le Colonel – cumule une demi-douzaine de fonctions officielles : chef de l’État, du gouvernement et des armées, ministre de la Défense, président du Conseil national de sécurité et du Comité suprême du Plan. Un timonier incontesté ?
N’exagérons rien. Très vite, querelles d’ego, divergences doctrinales et complots réels ou imaginaires sèment la discorde au sein de la bande des pionniers, décimée au fil des ans. La junte survivra à une vingtaine de conspirations. Quant à Kadhafi, diva jupitérienne et virtuose du chantage à la démission, il mettra en scène six fausses sorties entre janvier 1971 et septembre 1973. Retenez-moi ou je fais votre malheur…
Le récit est passionnant. Vincent Hugeux tient le lecteur en haleine et livre tant de révélations inédites. Bien agencées l’une après l’autre, chaque scène de ces quatre décennies Kadhafi mettent au grand jour des facettes peu connues et une personnalité atypique de dictateur.
Les derniers jours de Muammar Kadhafi sont pathétiques. Comment finit un dictateur ? Tragiquement ! L’auteur nous dresse les détails. Extraits.
« Pourquoi donc le Guide perd-il pied à l’instant où se lèvent, en Tunisie puis en Égypte, les bourrasques du « printemps arabe » ?
Parce qu’il est pour lui inconcevable, au sens étymologique du terme, que ses sujets le désavouent. «Le peuple libyen me connaît, m’aime et me suit là où je l’emmène », assène-t‑il via la chaîne qatarie al-Jazeera alors que la l'orage gronde. Il se dressera donc comme un seul homme pour écraser les traîtres, les suppôts de l’Occident comme les sicaires du jihad global. Le vieil autocrate voit ses pairs, tels Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, chavirer puis sombrer. Il les devine happés par le néant, acculés à l’exil, à la prison ou à la potence. Il entend, fussent-elles couvertes par les odes que lui ânonnent ses courtisans, les clameurs rageuses de la foule. Parfois, une sourde angoisse l’étreint. Et si… Mais non ! Jamais ici, jamais sur mes terres. Ces raïs déchus ont été trop faibles, trop indécis ou trop aveugles pour déjouer le complot. Mais moi, je ne suis pas fait de ce bois-là. J’y vois clair et je ne transige ni ne tremble à l’instant de frapper. Le « bouillant colonel » bout-il alors encore ? De rage sans doute. »
Le siècle des dictateurs
Sous la direction de Olivier Guez
Perrin Le Point, août 2019, 460 p. 22 €
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