Arlette Chabot - Béji Caïd Essebsi : ni technocrate ni démagogue...
Journaliste française, Arlette Chabot est l’auteur d’un livre d’entretien avec le président Caïd Essebsi, intitulé «Tunisie : la démocratie en terre d’islam», paru aux éditions Plon, en novembre 2016.
Il faut du temps pour juger un président de la République:l’incarnation de la fonction, l’image qu’il a donnée de son pays. Il faut de la sérénité aussi pour évaluer son action, le respect des engagements ou promesses oubliées entre la force affichée et les faiblesses dissimulées. Nous avons cette expérience en France avec sept présidents de la Ve République dont quatre vivants ont encore une parole qui porte. Les passions apaisées permettent un jugement lucide.
Mais Béji Caïd Essebsi, lui, est déjà entré dans la grande Histoire en devenant le premier président élu démocratiquement par les Tunisiens lors d’un scrutin libre après un parcours personnel et politique si étroitement liéà la Tunisie moderne.Des années Bourguiba dont il fut le fidèle «disciple» comme il le disait lui-même, auquel il voulait tant ressembler, jusqu’à la révolution de 2011 et enfin son élection.
J’ai rencontré BCE quelques semaines après l’attentat du Bardo. Il redoutait plus que tout que le terrorisme menace la démocratie naissante et en appelait à la solidarité de la France et des Français. Après les attaques de Sousse, je lui avais proposé d’écrire un livre sous la forme d’une longue conversation. Un livre qu’il voulait personnel et non celui du Président de la Tunisie, pour exprimer sincèrement son attachement à son pays et à des valeurs que nous partageons : la liberté d’expression, la démocratie, les droits des femmes. J’avoue que, au-delà de l’intérêt professionnel, j’ai beaucoup aimé nos rencontres de travail dans le bureau de sa résidence sous le portrait de Bourguiba. Il répondait volontiers à toutes les questions sans interdits, ponctuant ses réponses d’anecdotes, d’humour, de citations littéraires ou de versets du Coran.
Je ne l’ai jamais vu accablé par le poids de la fonction, ni par sa responsabilité historique, mais toujours préoccupé par l’avenir de la jeunesse tunisienne. BCE appartenait, je le crois, à une espèce d’homme politique en voie de disparition... ni technocrate ni démagogue, c’était un homme tout à la fois, à la diversité des cultures, façonné par l’histoire et conscient des défis de la Tunisie d’aujourd’hui. Il aimait la politique habile, voire rusée, ce n’est pas un défaut, son Président français préféré était François Mitterrand qu’il citait souvent...
Béji Caïd Essebsi aurait mérité de finir son mandat et de voir accéder au pouvoir un successeur issu de la nouvelle génération incarnant cette démocratie qu’il avait largement contribué à conforter.
Arlette Chabot
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