Tunisie : dégradation de la santé publique, la santé mentale en exemple
Tous les intervenants en matière de santé publique tirent la sonnette d’alarme quant à la dégradation flagrante qui touche tous les domaines. Cependant, la santé mentale reste le maillon faible, la mal aimée qui suscite le moins d’intérêt de la part des décideurs politiques. Pourtant ce domaine représente actuellement un enjeu important de santé publique dans le monde. Il existe des plans de l’OMS pour la promotion de la santé mentale dans les pays émergents, dont certains sont en train de voir le jour en Tunisie et d’autres ont été oubliés dans les tiroirs des bureaux. Actuellement, le système public repose sur la bonne volonté de ceux qui y travaillent et qui se battent quotidiennement contre vents et marées pour essayer d’offrir les meilleurs soins possibles. Cet article n’a pas la prétention d’analyser de façon exhaustive les différents facteurs intervenants mais plutôt de donner un témoignage à partir de ma position de médecin travaillant à l’hôpital psychiatrique Razi. Certaines difficultés sont générales d’autres sont spécifiques à la santé mentale.
Parmi les maux ubiquitaires dans les institutions publiques on retrouve entre autres : La surcharge de travail, la manque de moyens humains et matériels et la pénurie des médicaments.
Concernant, la surcharge de travail à l’hôpital Razi, elle peut être expliquée par la défaillance des structures de 1ère et de 2ème ligne (à savoir les dispensaires et les hôpitaux régionaux) d’où les patients se retrouvent centralisés à l’hôpital psychiatrique qui est un hôpital universitaire de 3 ème ligne et est supposé drainer seulement les patients les plus lourds. Une solution possible serait de fournir les médicaments et de recruter des médecins spécialistes ou de former des généralistes dans les structures périphériques.
Concernant le recrutement, il existe une politique d’assèchement puisque les départs ne sont plus remplacés. Ceci touche toutes les professions (médicales, para-médicales, administratives) et aboutit à un sous effectif flagrant.
La pénurie de médicaments, le manque de matériel et le manque d’entretien sont expliqués par certains par la corruption et les vols ou par un manque de bonne gouvernance.
A part, ces problèmes généralisés, la psychiatrie souffre de problèmes spécifiques tels que la stigmatisation, les modalités d’hospitalisation et la sectorisation.
La psychiatrie et l’hôpital Razi en particulier souffrent de stigmatisation de la part du public et même de certains soignants et sont associée pour beaucoup à la « folie ». Par exemple, lorsque nos patients consultent aux hôpitaux généraux, les soignants sont parfois récalcitrants à leur égard et leurs plaintes ne sont pas prises au sérieux.
Concernant les modalités d’hospitalisation, il existe des particularités en psychiatrie. En effet, certains patients en rechute de leur maladie peuvent être inconscients de leurs troubles et nécessitent une hospitalisation sans leur consentement. La loi précise que ce type d’hospitalisation doit être fait à l’hôpital public dans des services fermés ce qui contribue à la surcharge de ces services. Il existe un vide juridique concernant le secteur privé et la loi ne mentionne pas l’existence de cliniques psychiatriques privées. Cette loi est ancienne et caduque et une révision des textes juridiques est nécessaire pour protéger les droits des patients et des médecins.
Une autre spécificité de la psychiatrie est représentée par la politique de sectorisation selon laquelle la répartition des patients dans les différents services d’hospitalisation est faite selon le secteur d’habitation du patient. Ce système était sensé à la base améliorer et personnaliser les soins de la population de chaque secteur mais il n’a pas rempli ses objectifs. Outre le fait que la répartition des secteurs n’est pas équitable, cette politique représente également un obstacle à l’évolution et l’individualisation des différents services de psychiatrie générale de Razi.
Toutes ces insuffisances, et bien d’autres, représentent un frein à la promotion de la santé mentale et la bonne volonté des prestataires de service ne suffit plus. Une volonté politique sincère est nécessaire pour dépister et s’attaquer aux maux qui rongent ce domaine.
Wafa Abdelghaffar
Assistante Hospitalo-universitaire
en psychiatrie à l’hôpital Razi