A la périphérie de l’oasis de Rjim Maatoug, le Sahara nous donne une leçon de changement climatique en relation avec les civilisations vécues…
Dès la fin des années 70, le Comité National chargé du sort du Grand Sud, émettait le diagnostic suivant : on ne peut pas dissocier lutte contre la désertification et actions de développement en zones arides tunisiennes. De ce fait, il faut axer sur une reconnaissance approfondie du milieu saharien, son histoire paléo-morphologique et pédologique et les possibilités de création d’une production végétale adaptée, de périmètres irrigués et d’une nouvelle oasis (grâce à l’irrigation à partir des eaux souterraines - Schéma directeur des eaux du sud -).
Un groupe de scientifiques s’est mobilisé sur plus de 50 ans (historiens, géologues, géomorphologues, phyto-écologues et pédologues) pour la connaissance et la mise en valeur des grandes étendues de sable à l’extrémité Est de l’Erg Oriental, des espaces essentiellement pastoraux : des terres sans arbres, en dehors des oasis (je cite entre-autres R. Coque, G. Castany, A. Gragueb, M. Gueddari, M. Ennabli, A. Mamou, A. Horchani, R. Pontanier, C. Floret, A. Souissi et A. Mtimet).
L’évolution historique et climatique
Le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) actuel Afrique du Nord est une région où se développe la chaine atlasique, qui, au delà du Sahara du Sud, bénéficie à la fois d'un climat méditerranéen contrasté et d'une vie économique plus variée, en relation étroite avec les pays européens. Les régions présahariennes à aridité aigue (H. Dregne 1976) des 3 pays se développent sur presque la moitié des territoires de ces pays.
Au Pléistocène (Quaternaire récent) une alternance de phases climatiques humides et sèches appelées « pluviaux et « inter-pluviaux »correspondant aux glaciations et aux interglaciaires d’Europe et encore pendant une bonne partie de l'Holocène, l'Afrique du Nord groupait des écosystèmes variés, terres fertiles, faune des grandes savanes africaines, avec sa richesse en, antilopes et autres espèces exploitables par la chasse, des fruits de mer (essentiellement les coquillages). On peut citer des exemples de civilisations (gisement de l’oasis d’El Guettar, A. Gragueb, A. Mtimet 1985, J. Chavaillon, 1988), atérienne, iberomaurusienne, capsienne, etc…
Vaste étendue avec une superficie de 8 millions de kilomètres carrés, le Sahara il y a 15 000 ans, a connu une période verdoyante. Les paysages hérités des périodes pluviales sont marqués par l’abondance des tracés du réseau hydrographique datant de la dernière phase humide de l’Holocène du Quaternaire : façonnement de grandes terrasses, paléosols avec horizons humifères et industrie à silex (A. Ruellan 1971, M. Mensching 1974, R. Coque 1979, A. Gragueb & al. 1985, P. Rognon 1989). Le désert actuel montre à certains endroits de nombreuses oasis (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye) avec des cultures étagées autour de points d’eau où le palmier est l’arbre dominant (peut-on parler déjà d’une agriculture désertique florissante à l’image du projet grandiose de Rjim Maatoug ?)
Les axes de recherches et les approches scientifiques
Suite à une aridité croissante, dès le 2ème millénaire BP la civilisation saharienne s'effondre. Pendant le dernier millénaire l'assèchement définitif éloigne à jamais les éleveurs de bovins alors que gagnent les éleveurs de chevaux. (G. Camps 1976). Au milieu d'une vaste étendue de dunes géantes (Erg oriental, Erg occidentale et désert libyque) et climat hyperaride, les montagnes s'y succèdent et montent à plus de 2000 mètres d'altitude.
Récemment et selon les travaux de l’anthropologue et préhistorienne M. Hachid 2001, c'est dans l'actuel Sahara que serait née, il y a dix mille ans, la civilisation mère de celles d'Egypte et d'Afrique. Elle y montre comment, cinquante siècles avant la construction des pyramides, dans un Sahara aux sols profonds, fertiles et verdoyants, une population de chasseurs-cueilleurs-pécheurs a créé l'une des plus anciennes civilisations de la planète. Après eux, d'autres groupes vont y inventer l'agriculture, domestiquer des animaux et tracer, sur des murs de pierre, des scènes de chasse et de sacrifices (art rupestre par examen de gravures au Tassili et autres sites algériens). Quand la sécheresse s'installe au Sahara, il y a 7000 ans, les populations sahariennes quittent les savanes et migrent vers des zones plus prometteuses. Hachid tente, au cours de ses recherches, d’argumenter l'origine géographique des premiers Berbères de l'Afrique du Nord.
Par ailleurs et pour compléter le bilan des recherches passées, S. Kröpelin 2008 et son équipe de chercheurs climatologues et géologues expliquent la disparition des rivières et des savanes entre Soudan et Sénégal par les modifications climatiques selon des stades : très chaud et humide au début du quaternaire, désertique. Les chasseurs-cueilleurs poursuivent, une faune sauvage telle que les antilopes, les girafes et les autruches, ramassent les fruits, les racines et le miel, taillent des outils en silex. Au 6ème millénaire BP, la savane remplace la forêt, et les chasseurs-pécheurs se regroupent près des lacs et des marécages, fabriquent des poteries (apparition des premières céramiques, B. Barich 1989), commencent à domestiquer les bœufs et les chèvres. Tortues, escargots, coquillages constituent des apports appréciables de nourriture. Les paysages arides actuels (accumulations sableuses-Erg- occupant 20 % de sa surface et aussi rocheux modelés par le vent) étaient alors couverts de lacs, et de végétation (L. Schutz et al. 1980). Il y avait des éléphants, des hippopotames, des rhinocéros, des sangliers, des oryx, des crocodiles, des hommes aussi, comme l'attestent les scènes de chasse et la représentation artistique des peintures rupestres (Tassili, Hoggar..). Les investigations de l’équipe Kröpelin (travaux sur le lac Tchad) pour mieux préciser ces phases climatiques, se sont concentrées sur l'identification et le comptage des pollens, des spores, des poussières et des sables dans des carottes de 9 mètres de profondeur. Les chercheurs ont ainsi pu enregistrer le début d'une diminution des pollens d'herbes il y a 4 800 ans. C'est à cette époque qu'apparaissent aussi des pollens de plantes des zones arides. Il y a 2 700 ans, des pollens de plantes méditerranéennes font aussi leur apparition, sans doute transportés par des vents dominants du Nord qui ont dû se mettre en place à cette époque (explication donnée par la thèse de Mtimet sur la sédimentation lœssique -limons rouges et beiges, coupe de sol de plus de 10 m- provenant du Sahara, 1983).
Les récents travaux de Mtimet & al. 1983-1992 qui se réfèrent à une argumentation appuyée par l’analyse en Radiocarbon du matériau, le suivi géo-historique de la végétation. Scharpenseel, Mtimet, Freytag 1995, clarifient les grands changements climatiques au cours du Pléistocène et Holocène en étudiant l’évolution des paysages morpho-pédologiques des accumulations carbonatées au sein des sols sur lœss saharien des Matmata : (cf. Global climate change and pedogenic carbonates R. lal & al. 2000). Les sols profonds d’apport éolien et fluviatile cultivés par les habitants, en majorité berbères, en système de jessours (aménagements de petite hydraulique à l’intérieur des bassins et aux glacis de raccordement de la plaine de la Djeffara, de Ségui et du Dahar) depuis des centaines d’années permettent de développer une agriculture pluviale avec des techniques traditionnelles performantes (oliviers, figuiers, cultures maraichères et légumineuses) qui résiste aux épisodes récents de la sécheresse et les aléas climatiques. Enfin dans cette analyse, on insiste de ne pas dissocier le Sahara du reste du Maghreb dans les stratégies de développement et l’aménagement du territoire et le projet de Rjim Maatoug en est un exemple concret de réalisme et de solidarité, « ..The fields of the desert ».
Amor Mtimet
Ingénieur, Consultant
Membre de l’Union internationale de la Science du Sol