News - 22.06.2010

Pierre Ménat : le rêve pour le Maghreb, les modèles pour l'Europe

«Je fais un rêve : …et si le Maghreb pesait au moins autant que la Pologne, en aide européenne. Cela lui ferait 15 milliards d’euros par an. ». Pierre Ménat, l’ambassadeur de France à Tunis, et spécialiste de l’Europe, se laisse aller, à titre personnel évidemment, à ce vœu pieux. Invité avec ses homologues britannique et allemand, ainsi que le chef de la délégation de l’Union Européenne, au déjeuner-débat organisé par l’Atuge, à l’occasion du 60ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, texte fondateur de l’Europe, le diplomate français se livre à une analyse pertinente sur l’évolution du processus, pouvant fournir des enseignements à la construction maghrébine, comme souhaité par les organisateurs.

Les enjeux de la Turquie

Depuis 1985, le débat sur l’Europe, rappelle-t-il a porté durant les vingt cinq dernières années sur trois questions à savoir les frontières (qui ont éclaté), les compétences et attributions communes qui sont passées de l’économique aux pouvoirs élargis et les pouvoirs institutionnels qui, eux, sont restés les mêmes. A présent, la question du voisinage et de l’élargissement se pose avec acuité, sur la perspective 2030, avec différentes alternatives : un élargissement limité aux seuls pays Balkans, intégrer la Turquie et/ou accueillir l’Ukraine, la Moldavie et les autres pays voisins?

La question de la Turquie évoque en fait un double enjeu : d’abord le volume des aides européennes à lui consentir et ensuite le poids de vote. Sur les 100 milliards d’euros de budget de l’Europe (pour un total de budgets publics nationaux des 27 pays membres s’élevant à 4600 milliards d’euros), la Pologne en reçoit 15 et la Turquie devra en obtenir 25. Deuxième aspect, avec le nouveau système de vote équivalent à la population institué par le traité de Lisbonne et entrant en vigueur dès 2014, la Turquie, avec 90 millions d’habitants, sera le premier votant (avant l’Allemagne), ce qui est à prendre en considération en terme d’influence.

Quatre scénarios pour l’Europe 2030

Quels sont les modèles possibles d’évolution institutionnelle pour l’Europe ? L’Ambassadeur Ménat qui a été en charge des affaires européennes au Quai d’Orsay, mais aussi ambassadeur en Roumanie alors candidate à l’Europe, puis en Pologne dès son accession, et a contribué à la rédaction du traité de Lisbonne, esquisse quatre hypothèses. La première est celle du rêve fédéral (faut-il l’écarter ?). La deuxième est l’application stricto-sensu du traité de Lisbonne avec son système de président du Conseil, de président de la commission et de vice-président pour les affaires étrangères, etc. La troisième ne peut être que celle de la non-application de ce traité, pour différentes raisons, et sous différentes formes. Mais, c’est la quatrième, et la plus favorable peut-être aux pays du Maghreb, celle des coopérations renforcées, comme l’a été l’accord Airbus, en industrie, Schengen pour la circulation, et d’autres initiatives.

«Si la Tunisie fait le choix de l’Europe, nous la soutiendrons »
 
Pour ce qui est de la Tunisie, l’Ambassadeur de France en est convaincu : neuf mois, jour pour jour depuis son arrivée en poste, il estime que « ce pays, le plus ouvert de la région, n’a qu’à faire son choix de société. Si vous faites le choix de l’Europe, nous vous soutiendrons !» Ce soutien explique-t-il doit s’exprimer, aussi, par l’augmentation de l’effort financier et la libre circulation des personnes à organiser de manière plus ouverte».

En modérateur avisé du débat, Hassen Zargouni ne laisse pas échapper le rêve des 15 milliards d’aide annuelle au Maghreb, en équivalence avec la Pologne, calcule rapidement la part de la Tunisie qui y sera de 3 milliards d’euros… de quoi faire briller nombre d’yeux.

Les diplomates européens avaient évoqué le concept de paix mondiale, fondateur de l’Europe, alors que la prospérité économique n’en est qu’un facteur, rappelé l’ampleur des programmes déployés en Tunisie tant par l’Union Européenne que la BEI et les pays membres, souligné les impératifs de sécurité et les bonnes intentions de bon voisinage, d’association, de statut avancé, et d’euromed, sans pourtant être totalement convaincants. Plusieurs intervenants ont en effet insisté sur une plus forte attractivité de l’Europe et de meilleures synergies avec les pays du Maghreb, notamment la Tunisie qui mérite beaucoup plus.

Si le débat de l’Atuge a été surtout centré sur l’expérience de l’Europe au détriment des enseignements utiles de la construction maghrébine, il a eu le mérite de fournir des éclairages utiles et de poser de grandes questions sur les nouveaux ensembles régionaux tout en rappelant  les attentes des Tunisiens.