Ammar Mahjoubi: Augustin et la quête de la sagesse
A la suite d’André Mandouze, rappelons que tout comme le penseur Ibn Khaldoun, qui naquit dans un Maghreb islamisé et arabisé, vers la fin des temps féconds de la civilisation musulmane, Saint Augustin fut pleinement un homme de son temps, un penseur de la fin du monde antique, dans un Maghreb qui était alors latinisé et christianisé. En lui, plus peut-être qu’en d’autres représentants de la littérature africaine d’expression latine, confluaient les trois éléments constitutifs de la culture maghrébine de l’époque : le substrat libyque, l’empreinte punique et la culture gréco-romaine. Triple ascendance, donc, que celle d’Augustin : libyque, comme la racine Monn présente dans le nom de sa mère Monnica; punique, comme le nom théophore de son fils Adeodatus, traduction latine des noms puniques Iatanbaal ou Muthunbaal, romaine enfin, comme son gentilice Aurelius et son cognomen Augustinus. C’est dans la petite cité de Thagaste, aujourd’hui Souk Ahras, dans la partie occidentale de la province de Zeugitane, qu’il naquit un 13 novembre de l’année 354. Rappelons que la province d’Afrique (la Provincia Africa Proconsularis), dont la capitale était Carthage, avait été morcelée à la fin du IIIe siècle en trois provinces : Byzacène au centre, Tripolitaine au Sud-Est, et Proconsulaire ou Zeugitane au Nord, avec pour capitale Carthage. Et c’est dans cette même province septentrionale, où on parlait toujours le punique dans les campagnes du Nord-Ouest, et où abondent encore les inscriptions libyques, qu’il mourut le 28 août 430 à Hippone, alors que cette cité de Annaba, siège de son épiscopat, était assiégée par les Vandales.
La vague des invasions barbares, qui avaient déjà submergé les provinces européennes de l’empire, atteignait ainsi le dernier havre de paix et de prospérité de l’Occident romain. Car durant les premiers lustres du Ve siècle, plusieurs années encore après 410 et le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric, l’agriculture et les ateliers de l’Afrique proconsulaire, ses cultures céréalières et ses oliviers, les activités de ses huileries, celles du bâtiment et des ateliers de céramique n’étaient encore qu’à peine affectées. Dans ce pays urbanisé et largement ouvert depuis plus d’un millénaire aux influences méditerranéennes, les notables des villes réunis dans des sénats locaux avaient, des siècles durant, géré les affaires de leurs innombrables cités. Leurs descendants avaient souvent accédé aux catégories supérieures de la société romaine ; et nombreux parmi eux étaient les sénateurs richissimes installés dans leurs somptueuses villas domaniales. En cette fin du IVe siècle, marquée par le triomphe du christianisme, l’autorité des évêques, issus eux aussi de ces classes moyennes, commençait à prendre le pas, dans la cité, sur celle du sénat municipal. Le poids de l’église cathédrale et du tribunal épiscopal l’emportait déjà sur celui du forum et des magistrats municipaux. La religion chrétienne n’avait pas seulement pénétré les couches populaires, mais aussi une société cultivée, qui appréciait les lettres et les arts. L’Afrique des écoles, des rhéteurs, des écrivains et des avocats ouvrit même tout naturellement la voie aux autres provinces de l’Occident latin, Italie comprise, lorsqu’elle donna naissance à une littérature chrétienne d’expression latine. Déjà vers la fin du IIe siècle, Tertullien et Minucius Félix reprenaient en latin, avec force et dans leur style propre, les thèmes abordés par les apologistes chrétiens de l’Orient grec ; puis Cyprien, Lactance et Arnobe annoncèrent Augustin. C’est à Thagaste, dont il évoquera les paysages lumineux, les champs étendus et les pentes boisées, dominées par les montagnes de Numidie, que se passa son enfance. Et c’est là qu’il fit ses premières classes, sous la férule du litterator puis du grammaticus qui lui firent apprendre les textes de Virgile et Cicéron, de Salluste et Térence et lui «inculquèrent l’art des mots, pour lui permettre d’acquérir l’éloquence indispensable à qui se propose, écrivait-il, de persuader et développer ses pensées.»
Mais à l’âge de quinze ans, il fallut partir pour Madauros (aujourd’hui M’daourouch, à proximité de la frontière tunisienne), la ville universitaire de la région, pour y suivre les enseignements du rhéteur. Si les acquis de langue et de littérature latine, dans cette vieille patrie d’Apulée comme dans sa ville natale, furent fort appréciables, il faut cependant croire que l’enseignement du grec avait beaucoup baissé par rapport à ce qu’il était au IIe siècle ; car Augustin fut loin d’y égaler la maîtrise de son illustre devancier et ne tardera pas à mesurer, en Italie, l’importance d’un handicap qu’il ne saura combler.
Il dut cependant interrompre ses études et passer l’année 369-370 dans l’oisiveté, car son père Patricius ne pouvait consentir d’autres efforts financiers que ceux qui avaient permis à son fils d’aller à Madaure. Pour l’envoyer à Carthage, voire à l’étranger, il aurait fallu la fortune des parents d’Apulée, car bien qu’appartenant tous deux à la catégorie sociale des classes moyennes, les revenus d’un notable de la bourgade de Thagaste ne pouvaient égaler ceux d’un décurion, sénateur d’une ville moyenne comme Madaure. Ce fut aussi à cette date qu’Augustin connut une crise d’adolescence un peu tardive, accentuée par un sentiment de culpabilité inculqué par une mère possessive, dont le zèle chrétien confinait à la bigoterie. Parce que les liens qui l’unissaient à sa mère furent toujours très étroits, ses passions corporelles comme ses escapades en bande, qui n’étaient pourtant que des espiègleries de jeunes gens le rendaient très sombre. Quant à son père, Augustin était loin d’avoir pour lui le même attachement. Pourtant Patricius, qui était resté un païen toujours fidèle à des valeurs et à un mode de vie traditionnels, dut consentir de grands sacrifices pour économiser l’argent nécessaire à la poursuite, à Carthage, des études de son fils, aidé il est vrai par les générosités d’un riche sénateur de Thagaste, Romanianus.
Dès son arrivée dans la grande métropole de l’Afrique antique, il fut ébloui par la splendeur des monuments, émerveillé et transporté par le rythme de vie. Il découvrit le théâtre et les jeux sanglants de l’amphithéâtre, le pari sur les courses du cirque (circus désignant en latin l’hippodrome), les processions des cultes païens et les dévergondages violents des chahuts d’étudiants. Les appels de la sensualité comme ceux des sentiments furent si pressants que le vieil évêque s’accusera, plus tard, de s’être adonné à cette époque à toutes les turpitudes, assimilant Carthago à Sartago, la chaudière des amours honteuses. Amare amabam (j’aimais aimer), écrivit-il au soir de sa vie. Il se rangea pourtant bien vite de sa prétendue débauche, et «se mit en ménage» avec une femme dont il ne consentit même pas à nous laisser le nom, dans les Confessions, alors qu’il vécut avec elle quinze ans, et qu’elle lui donna son seul enfant, Adeodatus, qui naquit en 372.
Quoi qu’il en ait dit plus tard, les trois années de sa vie d’étudiant passées à Carthage furent aussi très studieuses ; car c’est alors, en lisant l’Hortensius de Cicéron, qu’il fut tout autant séduit par la découverte de la philosophie, que par la vie dans la capitale -que les collègues et amis des plus vieilles promotions de Sadikiens se rappellent nos discussions et nos enthousiasmes, lors de la découverte de Camus et de Sartre, de Hegel et du marxisme, en classe de philosophie. Le rationalisme et le spiritualisme des textes antiques qui, se souviendra le vieil évêque, offrent à l’âme divine qui habite l’homme l’occasion de dépasser sa vie matérielle, le bouleversèrent ; et «l’amour de la philosophie» se doubla chez lui d’une quête permanente de la sagesse. Mais cette quête ne pouvait écarter, pour un Africain du IVe siècle finissant, la confrontation entre les philosophes et le Christ. Celui-ci n’était d’ailleurs pas considéré, en ces temps-là, comme le Sauveur crucifié ; et la croix, certes répandue, n’était pas encore devenue omniprésente. Pour les chrétiens cultivés de l’époque, le Christ était essentiellement la grandeur du Verbe, le symbole de la puissance divine. On le représentait enseignant la sagesse à ses apôtres, à l’instar de ces philosophes que l’on figurait sur les stèles, entourés de leurs disciples. Augustin ne pouvait donc se contenter de la seule philosophie, et tout en refusant la bigoterie de sa mère, il se tourna aussi vers la Bible. Mais à la lecture de maints épisodes relatés de façon crue, brutale et frisant l’obscénité par l’Ancien Testament, il connut une amère déception ; la forme de ces textes religieux, traduits de l’hébreu au grec puis au latin, était tout aussi rebutante. Augustin ne tarda pas à s’en détourner, surtout lorsqu’il connut le manichéisme qui allait lui permettre de fonder des certitudes religieuses sur des bases rationnelles.
De plus en plus séduit par cette théodicée venue d’Orient, il participa aux réunions secrètes au cours desquelles des «Elus» austères de cette religion lisaient la grande «Epître du Fondement de Mani», qui le «remplissait de lumière». Le manichéisme se présentait alors comme une religion universelle et enseignait une sagesse qui se proposait de combiner, en les transcendant, les intuitions partielles et imparfaites de toutes les religions précédentes : celles de Bouddha en Asie Centrale, de Zoroastre en Perse et des Evangélistes chrétiens. Le jeune Augustin trouva dans le manichéisme - bien qu’il suscitât alors la haine des chrétiens, autant que celle que leur inspirait leur aversion pour les païens - réponse à la question qui le hantait et qui était rendue plus impérieuse encore par son sentiment de culpabilité: pourquoi l’homme faisait-il le mal ? L’«illumination» de la «Grande Epître» lui fournissait en effet l’explication rationnelle : l’«âme bonne», le «Royaume de Lumière» était aux prises, aussi bien au dedans de l’homme que dans son environnement, avec le «Principe du Mal», le «Royaume des Ténèbres». Sensualité, passions et phantasmes d’une part, société et nature ambiante de l’autre faisaient de l’homme une « créature misérable »; à tel point qu’Arnobe de Sicca (Sicca Veneria, à l’époque médiévale, aujourd’hui Le Kef), qui avait vécu un siècle avant Augustin, considérait, tout chrétien qu’il était, que cet être exécrable n’a pu être créé par Dieu, qui est bon par essence!
En auditeur manichéen très zélé, Augustin se conforma alors à une vie austère, recherchant la pureté. Mais le doute ne tarda pas à le reprendre, et la venue à Carthage du célèbre évêque manichéen Faustus de Milev (aujourd’hui la ville d’«El-Mila» (الملية) dans le Constantinois) lui fournit la preuve que le manichéisme n’était pas une véritable «science religieuse». Les agissements de cet évêque, qui n’avait aucune «culture libérale», indiquaient clairement que le manichéisme, comme le christianisme de sa mère, «obligeait» à croire beaucoup plus qu’il ne «donnait de raison» de croire. Il finit donc par s’en éloigner peu à peu à la fin de son séjour à Carthage où, lauréat depuis 375, il enseignait la rhétorique après l’avoir professée une première année, lors d’un court séjour à Thagaste, au cours duquel sa mère fut horrifiée par la nouvelle de son adhésion au manichéisme. Plus tard, l’évêque Augustin trouvera la faille du système rationnel manichéen : le «Royaume de Lumière» ne pouvait être que passif et faible face à un «Royaume des Ténèbres» actif et envahissant, car s’il l’attaquait à son tour, il transformerait radicalement la bonté synonyme de son être. Le christ manichéen n’était donc qu’un être souffrant, faible et sans défense, sauveur et lui-même sauvé.
Une dizaine d’années après son arrivée à Carthage, et à l’exemple de beaucoup parmi les amis dont il était entouré, il gagna en 382 Rome, il centro del potere selon l’expression de l’érudit italien Bianchi Bandinelli. Les cours y étaient mieux rétribués et il était habité par l’espoir d’accéder à quelque honneur, grâce aux relations qu’il pourrait y établir. Espoir qui ne fut point déçu, puisqu’un protecteur manichéen proposa au tout puissant préfet de Rome, Symmaque, sa candidature à un poste de professeur de rhétorique auprès de la cour impériale, qui résidait alors à Milan. Le poste lui fut accordé, et dès 384 Augustin se trouva installé parmi les poètes, philosophes et hommes de lettres attirés par la cour. Alors que l’abandon du manichéisme le plongeait de nouveau dans ses incertitudes, et qu’il consacrait son temps libre à l’étude des écrits de Cicéron sur le scepticisme de la Nouvelle Académie du logicien grec Carnéade, il écouta un jour un sermon du savant évêque de Milan, Ambroise. Celui-ci avait abandonné une prestigieuse carrière sénatoriale, pour servir l’Eglise; sa dignité ecclésiastique lui permettait cependant d’allier la célébrité de son ascendance, à la toute puissance du catholicisme. Conquis par l’érudition de ses sermons, qui puisaient directement dans les écrits de Platon - car, à l’instar de beaucoup d’aristocrates romains, Ambroise maîtrisait parfaitement le grec-Augustin céda aux instances de sa mère, qui l’avait rejoint à Milan et qui passait le plus clair de son temps à l’église ; il se fit donc catéchumène.
Cette situation d’auditeur des enseignements chrétiens, dispensés par l’évêque lui-même, lui permettait d’approcher Ambroise de près : grande était, en effet, la distance entre le curiale d’une ville de province (membre de son sénat municipal) et le représentant d’une vieille souche romaine. Etre catéchumène de l’église d’Ambroise pouvait aussi constituer un atout important à la cour impériale et une référence, au moment où sa mère lui arrangeait un mariage avec une riche héritière catholique. Les enseignements de l’évêque ne laissaient cependant pas Augustin indifférent, puisqu’ils soumettaient le texte de l’Ancien Testament, qui lui avait paru si rebutant, à une exégèse spirituelle savante, et parvenait à établir un lien entre le discours païen, nourri de pensée néo-platonicienne, et le discours chrétien. Assurément, ce christianisme était très différent de celui professé par la communauté chrétienne de Thagaste. Monique fut elle aussi enthousiasmée par les sermons d’Ambroise, mais certains usages des clercs milanais la choquèrent profondément, notamment lorsqu’elle constata qu’ils ne jeûnaient pas le samedi. Elle pressa son fils de consulter l’évêque qui lui répondit : «Quand je vais à Rome, j’y jeûne le samedi ; et lorsque je suis ici je ne jeûne pas. Fais de même toi aussi, quelle que soit l’église où tu te trouves ; suis l’usage local si tu veux ni scandaliser, ni être scandalisé.»
Peu de temps après, Monique demanda à son fils de se séparer de sa concubine avant son mariage. Il s’exécuta, et sa fidèle et discrète compagne rentra en Afrique, faisant vœu en bonne catholique de ne plus jamais connaître un autre homme. Tout en fréquentant l’église, Augustin tirait pleinement profit du milieu culturel et spirituel milanais ; il se plongeait, entouré de ses amis africains, dans les livres platoniciens, ou plutôt dans l’interprétation qui en avait été faite au IIIe siècle par Plotinet Porphyre, eux-mêmes traduits en latin et commentés par Marius Victorinus. Il fut tout particulièrement intéressé par les Ennéades; dans ce traité difficile, important pour comprendre les philosophies médiévales, autant occidentales qu’arabo-islamiques, Plotin expliquait, à l’encontre de beaucoup de penseurs «matérialistes», que le divin n’était pas un «élément» de l’univers, mais constituait une puissance à part dans un monde spirituel distinct, une puissance du Bien qui était le fondement de l’Univers, de l’Espace et du Temps. Et ce divin était l’«Un» et avait toujours l’initiative, contrairement aux affirmations du manichéisme (en ceci Plotin rejoint, avec l’unicité du divin, l’unicité d’Allah, principe fondamental prôné et célébré dans le Coran). L’ « Un » donnait ainsi un sens à la matière passive et le Mal était de s’en séparer et, partant, de perdre vitalité et grandeur. Cet «Un», ce Dieu transcendant modèle ainsi un univers immense et différencié, dont l’homme n’est qu’un aspect minuscule, et ses desseins sont mystérieux, hermétiques à l’entendement humain.
En même temps, et grâce à l’influence d’Ambroise, Augustin commençait à s’intéresser aux Ecritures saintes de l’Eglise chrétienne, notamment à celles de Saint Paul. Mais ces courants de pensée philosophique et religieuse, qui accaparaient de plus en plus son esprit, finissaient par le troubler ; ce fut alors qu’advint l’épisode du jardin de Milan, raconté dans les Confessions. Alors qu’il avait reçu la visite d’un compatriote africain qui lui avait parlé de l’idéal monastique et des exigences de la vie ascétique, achevant de le bouleverser et de le plonger dans une méditation agitée, il entendit une voix d’enfant qui psalmodiait le passage de Saint Paul :tolle, lege (prends et lis); il y vit un signe divin et se précipitant sur le livre de l’Apôtre, il l’ouvrit au hasard et lut : «Non, point de ripailles ni de saouleries; non, pas de coucheries ni d’impudicité ; non, pas de disputes ni de jalousies, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ...» Cette agitation extrême ne tarda pas, cependant, à provoquer ce qui fut probablement ce qu’on appelle communément une dépression nerveuse, car il tomba malade et décida, toujours entouré de sa mère et de ses parents et amis africains, de passer l’automne 386 à Cassiciacum, sur les contreforts des Alpes.
Il put alors s’y adonner à l’otium liberale, la «retraite culturelle» chère aux aristocrates cultivés et aux intellectuels. Il songea même à former avec ses compagnons une sorte de phalanstère, et partagea le temps entre les commentaires de Virgile et la philosophie, les prières et la lecture des Psaumes ; une partie de son activité intellectuelle fut consacrée aussi à l’écriture de plusieurs «dialogues» et traités «sur les académiciens», «le bonheur», «l’ordre», et il dédia le premier à Romanianus, le puissant et riche personnage de Thagaste qui n’avait cessé de l’aider matériellement depuis son départ pour Carthage. Puis il rédigea les Soliloques, où il procédait à une recherche intérieure très pessimiste autour d’une discussion entre sa raison et son âme; tous les écrits de Cassiciacum procédaient cependant, malgré leur diversité apparente, d’une même réflexion qui précéda immédiatement sa «conversion». En effet, dès son retour à Milan, le philosophe de vocation s’inscrivit parmi les competentes qu’Ambroise instruisait dans son baptistère; puis il reçut avec son fils Adeodatus et son ami Alypius le baptême des mains de l’évêque.
Augustin était désormais confronté à un christianisme à deux niveaux : celui des reliques et des évêques au savoir dogmatique; et celui d’Ambroise et des chrétiens lettrés. Mais solidement armé à la suite de ses nombreuses expériences philosophiques et religieuses, il conçut alors, grâce à sa prodigieuse faculté de synthèse, à sa puissance d’intellection, la conception qui entraîna son adhésion à «la vraie religion», comme il intitulera un peu plus tard l’un de ses nombreux traités. En fait, ce qui fut réalisé grâce à cette puissance de synthèse exceptionnelle, ce ne fut pas seulement son adhésion individuelle, mais surtout celle du christianisme à l’ensemble de la culture antique ; car c’est, en particulier, grâce à la lecture qu’en fit Augustin que les pensées des néo-platoniciens furent utilisées dans un sens chrétien, et que le christianisme occidental eut désormais un arrière-fonds de pensée grecque, latine et aussi — gardons-nous, nous autres Maghrébins de l’oublier, et d’entériner ainsi l’exclusive prononcée à notre encontre par les Occidentaux — d’un arrière-fonds d’idées, de pensée et de culture africaines, de culture maghrébine de l’époque. Oui maghrébine car, écrit A.Mandouze, seul de tous les savants occidentaux à le rappeler, «ce serait tout de même un comble de tenir précisément pour négligeable l’origine même de celui qui a rédigé — qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore— une synthèse d’une telle profondeur».
Ammar Mahjoubi