Habib Touhami: Entre antisémitisme et anti-islamisme
En France, trois cents personnalités ont signé un manifeste «contre le nouvel antisémitisme» marqué, disent-elles, par la «radicalisation islamiste». Elles demandent «que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par (le Concile) Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime».
Tout acte antisémite est évidemment criminel et doit être fermement condamné, d’où qu’il vienne et en toute circonstance, mais que des personnalités aussi éminentes connaissent si mal la religion musulmane au point de demander que certains versets coraniques soient frappés de «caducité par les autorités théologiques musulmanes», cela dépasse l’entendement. Je rappelle qu’il n’existe pas de pape dans la religion musulmane, ni de Concile ni d’Eglise. C’est même strictement interdit. Je rappelle aussi que caducité signifie en bon français « état de ce qui est exposé à disparaître ». Or tous les musulmans, sans exception, croient ce que Dieu dit dans le Coran «En vérité, c’est nous (Dieu) qui avons fait descendre le Coran, et c’est nous qui en sommes le gardien».
S’agissant des relations historiques entre juifs et musulmans et nonobstant une minorité d’illuminés et de dévoyés dont la cible principale reste ses coreligionnaires, il faut le rappeler, aucun musulman sain d’esprit ne peut justifier le meurtre de juifs au nom de la religion musulmane. Depuis quatorze siècles, les versets dont il est question dans le manifeste existent sans que les sociétés arabo-musulmanes n’appellent ou procèdent au meurtre de juifs parce qu’ils sont juifs. Les pogromes et l’holocauste sont le fait de sociétés et de cultures judéo-chrétiennes, pas de sociétés et de cultures arabo-musulmanes. Faire un parallèle pour le moins tendancieux entre l’antisémitisme catholique et l’antisémitisme «islamiste» n’a pas de sens, théologiquement et historiquement parlant, d’autant que les Arabes sont aussi des sémites et que l’hostilité «militante» de certains arabo-musulmans envers les juifs est un phénomène essentiellement politique, né avec la naissance d’Israël.
Qu’une relecture de versets coraniques «appelant au meurtre des juifs» par des théologiens musulmans s’impose, cela est évidemment approprié, tout autant que la relecture de certains versets traitant de la tolérance religieuse ou de l’organisation sociale et économique. Mais que cela soit «exigé» par des courants de pensée et des organisations qui font constamment l’amalgame entre musulmans et «islamistes» et qui assimilent l’antisionisme à l’antisémitisme, tient plus de la provocation que du combat légitime contre tout crime raciste et toute forme de discrimination. Les juifs de toute obédience ont parfaitement le droit de défendre Israël, mais ils devraient assumer, eux aussi, les crimes des dirigeants israéliens les plus radicaux, ceux-là mêmes qui, enivrés par leur puissance militaire et l’indéfectible soutien américain, spolient, asservissent et humilient des millions d’Arabes et vont jusqu’à leur refuser la constitution d’un Etat palestinien indépendant.
Il me revient en mémoire le climat anti-arabe et anti-palestinien prévalant dans le milieu étudiant en France dans les années soixante-dix. Parmi les groupuscules qui entretenaient ce climat avec violence, figure le «Betar», mouvement de jeunesse de la droite sioniste. Le président actuel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) est issu de ce mouvement. Il s’agit de Francis Kalifat, séfarade né en Algérie et rapatrié en France en 1962. Francis Kalifat, élevé dans la haine des Algériens et plus généralement des Arabes, a réussi à faire passer l’assouvissement de ses rancœurs personnelles avant toute autre considération. Qu’un extrémiste notoire comme lui profite de crimes odieux commis par des dépravés et usurpateurs pour mettre sournoisement à l’index le Coran et les musulmans, cela est affligeant mais dans l’ordre des choses. Que la communauté juive le laisse faire, cela est incompréhensible à moins de tomber dans l’absurde ou le «complotisme».
Habib Touhami