Opinions - 05.05.2018

Sofiane Zribi: L’enfant est un projet d’homme! Les droits que la Tunisie ne doit jamais oublier!

Sofiane Zribi: L’enfant est un projet d’homme! Les droits que la Tunisie ne doit jamais oublier!

L’enfant, un projet d’homme ! Le projet que nous ne devons jamais perdre de vue ! Telle nous semble être en tout cas l’une des meilleures définitions que l’on puisse donner à l’enfance. En ces jours difficiles en Tunisie et dans beaucoup de pays du monde, force est de constater que seuls les pays qui ont su investir et s’investir dans la protection de leurs enfants et œuvrent pour leur assurer le meilleur avenir possible échappent aux tragédies de ces temps modernes, que sont la pauvreté, les maladies, les famines et les guerres.

Précisément, en faisant de l’enfant un projet et de son avenir un objectif, les sociétés humaines fondent leurs actions sur le développement, la culture et la pacification de leurs espaces. Elles entrent dans une dynamique constructrice et évitent les tourbillons destructeurs du fanatisme, des conflits, du terrorisme et de la corruption.

Il suffit de jeter un regard évaluateur sur la situation des enfants du monde pays par pays pour constater qu’elle représente le meilleur indicateur de développement et de construction sociale.

La notion de droits de l’enfant peut paraître pour certains évidente. Pourtant, c’est le socle idéologique, éthique et moral préalable à toute action politique, sociale et civilisatrice qui se propose de faire des droits de l’homme en général un fondement et de la démocratie une règle de conduite.

C’est assurément dans ce contexte que doit se situer le travail de tout gouvernement pour ancrer ces valeurs dans les mentalités des citoyens. Un travail qui, du fait même de son aspect civilisateur, transcende les aléas et les règles de la vie politique classique, et doit s’inscrire dans une durée suffisante à même d’assurer la continuité et la pérennité de l’œuvre.

Il nous appartient à nous, la grande communauté des travailleurs dans le domaine de la santé mentale, d’expliquer, du moins du point de vue de notre discipline, la psychiatrie et la psychologie, les fondements scientifiques d’une telle entreprise en faveur de l’enfance.

Nous le savons tous, l’Homme est d’abord et reste un grand enfant. De la naissance à l’âge adulte, il est en perpétuelle évolution et maturation. Ce développement ne se fait pas en vase clos, mais au contraire en résonance et en réaction aux stimuli qui lui parviennent de son milieu.

La psychologie comportementale sait combien l’enfant est sensible aux variations dans son espace affectif et cognitif et comment il y répond constamment par des adaptations comportementales qui progressivement deviennent des traits marquants de sa personnalité.

Nous savons que les hommes de demain sont l’œuvre de la qualité du développement que nous offrons à l’enfant d’aujourd’hui. Il suffit pour cela de se référer à l’œuvre fondamentale du psychiatre canadien Albert Bandura sur l’apprentissage social.

Quel homme fera un enfant affamé, exclu de l’éducation, soumis aux exploitations de toutes sortes, vivant dans un espace ou règnent la délinquance et la non-loi, privé d’amour et d’affection ? En termes de probabilité, la réponse n’est certes pas difficile !

Certains, motivés par des considérations élitistes et/ou pédagogiques, ont pu reprocher au gouvernement son action en faveur de sa lutte contre l’exclusion scolaire précoce et son action pour permettre au maximum d’enfants de profiter aussi longtemps que possible de la protection éducatrice de l’école. Mais le droit à la culture et à l’éducation fait désormais partie des droits inviolables de l’enfant comme le rappelle l’Unicef. La Tunisie, qui depuis l’aube de l’indépendance a misé sur l’éducation, n’a pas le droit aujourd’hui de tourner le dos à de tels choix.

L’enfant, maintenu à l’école, échappe de facto à l’exploitation économique, au travail précoce qui n’est pas un apprentissage de métier, encore faut-il que cette école fasse son travail.

La loi oblige aujourd’hui les médecins à déclarer les sévices sur les enfants —physiques, moraux ou sexuels— et à se départir de la sacro-sainte loi du secret médical. La famille, cellule éducative par excellence, est d’année en année, depuis la révolution, de plus en plus en errance malgré l’armature des mesures législatives et sociales. L’enfant du divorce, l’enfant orphelin voit sa souffrance atténuée et son développement préservé malgré le choix qu’ont pu faire ses parents quand il trouve des structures à l’écoute de son droit fondamental, à vivre dans un foyer stable qui subvient à ses besoins d’éducation, de culture et de santé, des juges et des assistants sociaux s’appuyant sur des textes clairs et sans ambiguïté faisant réellement leur travail sans autre forme de souci que l’intérêt de l’enfant.

La mère, premier soutien de l’enfant, irremplaçable Eden d’affectivité et de tendresse, faite de sacrifice et de don de soi, devrait encore et encore aussi être protégée, soutenue, éduquée pour ne jamais faillir à son rôle, surtout que de partout sonnent les sirènes du retour en arrière et que certains ne s’offusquent plus de demander une plus grande permissivité face au divorce par caprice.

Ce sont bien sûr les fractures et les insuffisances dans le rôle éducatif des parents qui sont souvent générateurs de troubles caractériels et de la personnalité à l’âge adulte. En effet, c’est en offrant toujours aux parents l’avantage de continuer à jouer ce rôle, dans son aspect le plus positif, qu’on préserve le plus l’enfant, tout en gardant la possibilité de le soustraire à l’influence négative de l’un d’eux, sinon des deux, si le tort s’avère évident.

La multiplication des structures, innombrables, destinées à l’enfance, gouvernementales ou non, offrant à l’enfant des espaces à même d’aider à l’épanouissement de sa personnalité, sont une fierté de la Tunisie postcoloniale, le risque est de voir aujourd’hui cet acquis fragile menacé par la pullulation des jardins d’enfants non contrôlés à la merci des dérives sectaires et dogmatiques.

L’enfant handicapé, physique ou mental, ne doit pas non plus voir ses droits à l’éducation et à l’assistance négligés. Bien au contraire, il est de notre devoir de l’entourer de toutes les sollicitudes qui atténueront le poids de l’incapacité et aideront à sa socialisation et son insertion. Mais cela ne saurait suffire, car le droit à la santé est un droit fondamental de l’enfant et la Tunisie n’a pas hésité (les USA ne l’ont pas encore fait) à signer la Convention internationale des droits de l’enfant* (20 novembre 1989).

Combien d’enfants du monde sont réduits aujourd’hui  à l’état de débiles mentaux définitifs par les méningites mal soignées et non diagnostiquées, par les conditions d’accouchement archaïques, par un programme vaccinal non suivi, par l’indisponibilité de certains médicaments essentiels, par l’absence tout simplement de médecins et de cadres de santé ? C’est en cela que cet article est avant tout un message à porter à qui de droit, afin que jamais la Tunisie ne manque de l’essentiel en matière de santé infanto-juvénile.

Cependant, ce qu’attend toujours l’enfant, c’est le don de soi, la considération pour son état de personne en construction, la prise en charge de ses exigences et le soutien infaillible qu’on lui apporte dans des situations de détresse, le sentiment qu’il évolue au sein d’une société cohérente et solidaire, l’assurance qu’il ne sera jamais abandonné, rejeté, incompris. Un sentiment de sécurité très fort et une sollicitude sans interruption. Bien que très avancée par rapport à d’autres Etats africains, l’action étatique restera toujours insuffisante et se fait attendre : continuer à construire de vraies écoles et des clubs de jeunes, là où il n’y a que des masures et de la désolation, les raccorder à l’électricité, à l’eau courante et à l’Internet. Donner à ces enfants très jeunes issus des zones défavorisées le sentiment que leur pays les aime et  se préoccupe d’eux, qu’ils font partie d’une nation au sens noble du terme, qui tient compte de leurs problèmes et de leurs souffrances. Ce qui a ipso facto pour conséquence de raffermir leur identité nationale et leur attachement à leur pays.

Dans d’autres secteurs de la vie moderne, l’enfant d’aujourd’hui n’est plus à l’abri de nuisances qui paraissaient hier très lointaines, en premier lieu la drogue et l’usage des stupéfiants qui, malgré bien des efforts, est en train de prendre de l’ampleur et de toucher des enfants de plus en plus jeunes. Les enfants les plus défavorisés se rabattent sur l’usage de produits chimiques extrêmement toxiques, voire tout simplement, comme on le voit dans certains pays d’Amérique latine, au reniflement des pots d’échappement des voitures et à la consommation de la suie qui s’y dépose.  La protection de l’enfant contre ces fléaux est aussi considérée comme un droit fondamental inscrit dans la charte, et la Tunisie n’est pas du reste dans l’action qui est entreprise dans beaucoup de pays développés. Un centre de traitement de la toxicomanie a vu le jour à Jebel El Oust, fermé pour un temps puis rouvert récemment au rythme des hésitations des décideurs. Nous sommes encore à espérer que les mesures législatives et pénitentiaires prises serviront à soigner les consommateurs et à dissuader les trafiquants alors que des actions préventives qui devraient être menées à grande échelle manquent cruellement.

La réflexion sur les droits de l’enfance, nous le voyons bien, est intimement liée à l’action qu’on entreprend en faveur des enfants d’un pays. Pour le psychiatre, il n’y a pas de plus évident que l’équation:

Droits de l’enfant préservés et défendus
=
future personne
équilibrée
et saine
 =
avenir serein

De ce fait, faire du développement la priorité des priorités, assurer la sécurité et la stabilité, défendre la famille et notamment la mère, fonder une société civilisée, solidaire, démocratique et tolérante, investir dans l’éducation, la culture et la santé, être à l’écoute des plus démunis et des plus faibles, bannir les abus et l’exploitation, être vigilant face aux dangers qui guettent les enfants d’aujourd’hui, semblent être parmi les voies choisies par notre pays mais dont l’application reste hypothétique.

Ces mesures, si elles sont appliquées, s’articuleront de manière homogène avec les attentes des cliniciens, confrontés à la souffrance des enfants en butte aux drames des temps modernes que sont les séparations parentales, la toxicomanie, la violence physique, morale et sexuelle, la délinquance, l’absence de structures d’accueil, l’absence d’écoute et la perte d’identité nationale, pour ne pas dire d’identité tout court.

Sofiane Zribi
Psychiatre