ATCE : mission impossible ?
Créée en 1990, l’Agence tunisienne de communication extérieure fut chargée, pendant deux décennies, de promouvoir et de défendre l’image de la Tunisie et de son régime à l’étranger. A partir de la fin des années 1990, l’ATCE prit l’habitude de contracter avec des cabinets spécialisés dans le lobbying ou l’influence. Même si la presse et les politiques français furent longtemps indulgents avec le régime de Zine El-Abidine Ben Ali, présenté comme un «rempart à l’islamisme», ce dispositif n’a pas permis d’enrayer la dégradation continuelle de l’image extérieure du pays, alimentant chez les professionnels un sentiment de gâchis. «A force de vouloir tout contrôler, nous avions fini par ne plus rien contrôler», note l’un d’entre eux, témoignant sous le sceau de la confidentialité.
L’année 2005 constitue à cet égard le tournant décisif. «La Tunisie s’était portée candidate à l’organisation du SMSI, le Sommet mondial sur la société de l’information, poursuit notre source. Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, l’idée n’a pas germé dans l’esprit des communicants, elle a été poussée par les gens du ministère tunisien des Télécommunications. Le président Ben Ali a été enthousiasmé, et personne n’a pu ou su s’y opposer.» L’événement devait permettre de projeter une image de modernité presque avant-gardiste, en mettant l’accent sur le taux de pénétration d’internet et le taux d’équipement informatique de la Tunisie, qui étaient parmi les plus élevés des pays en développement. «L’ATCE et Image 7 n’étaient pas très chauds mais pensaient pouvoir gérer. Le décalage entre le narratif des autorités et la réalité de la censure en Tunisie était trop important, l’opération a viré au fiasco, et l’agression du journaliste de Libération n’a évidemment rien arrangé…»
Aux dires des témoins de l’époque, le chef de l’Etat tunisien entretenait un rapport très ambivalent avec «sa création», l’ATCE. Elle faisait régulièrement office de punching-ball, et le président, dans ses moments de colère, ne cessait de répéter qu’elle avait échoué dans le domaine de la communication politique. En même temps, Ben Ali se refusait obstinément à changer sa manière de faire, rechignait à s’exprimer, refusait les interviews, et refusait que d’autres ne parlent à sa place.
Oussema Romdhani, qui fut, pendant plus d’une décennie, le directeur général de l’Atce, avant de devenir, en octobre 2009, ministre de la Communication, a accepté de répondre aux questions de Leaders. Il reconnaît volontiers les limites de son action: «Avec internet, les réseaux sociaux et l’explosion des chaînes satellitaires, tout décalage entre l’image et la réalité est durement sanctionné. Le public international ne peut plus être dupe. La communication devient propagande si elle n’arrive plus à expliquer les réalités de façon intelligente, crédible et moderne. Il ne sert à rien d’accabler les agences étrangères qui ont travaillé pour son compte. Une agence ne peut pas inventer ses propres éléments de langage en matière de communication politique, ces éléments émanent de l’autorité politique. C’est encore plus vrai dans le cas d’une agence de communication officielle. Il ne faut pas confondre messager et message.» Pense-t-il que l’Atce et ses sous-traitants ont failli dans la communication politique ? Devenu aujourd’hui le rédacteur en chef d’un hebdomadaire panarabe anglophone, Arab Weekly, Romdhani préfère diplomatiquement botter en touche : «L’Agence a fait avec ses moyens, en se concentrant sur le sectoriel. Les discours sur le tourisme, le patrimoine archéologique, l’attractivité économique ou encore l’investissement direct étranger ont bien fonctionné. Le discours politique avait moins d’impact, c’est indéniable.»
«L’époque a changé, les méthodes du passé ne peuvent plus s’appliquer, mais l’équation de base demeure peu ou prou identique : la croissance, le progrès et la stabilité de la Tunisie dépendent en grande partie de son image internationale, de la bonne volonté de ses partenaires, de ses relations avec l’extérieur. On ne peut pas délaisser l’image. Elle devrait être une source de préoccupation pour chacun des acteurs de la scène publique. Il ne suffit pas de le décréter. Il faut aussi proposer un récit global, fédérateur, donner du sens, afin de projeter une image positive du pays», poursuit l’ancien communicant. Difficile de lui donner tort sur ce point. A peine esquissé depuis 2011, le storytelling tunisien reste à écrire.
Samy Ghorbal
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