Lobbying: Les Marocains, rois de la communication
La modernité marocaine a ses zones d’ombre, et son modèle économique ses faiblesses : fragilité du tissu social, endettement massif, supérieur à celui de la Tunisie, une croissance encore trop faible au regard des investissements colossaux engagés depuis l’avènement de Mohammed VI. Côté image, en revanche, le royaume chérifien a plié le match. Si les Marocains sont devenus des champions de la communication, ils le doivent notamment à un homme: André Azoulay. Journaliste de formation, ancien banquier, ce natif d’Essaouira a été appelé aux côtés de Hassan II en 1991, en qualité de conseiller économique, quelques mois après la sortie du livre dévastateur de Gilles Perrault, Notre ami le Roi. Azoulay, qui avait en charge les affaires publiques de Paribas, présente Maurice Levy, l’emblématique fondateur de Publicis, au roi du Maroc.
Un premier contrat de 30 millions de dollars est signé pour améliorer l’image du Royaume en France. Driss Basri, le tout-puissant ministre de l’Intérieur et de l’Information, est mortifié : cette somme, astronomique à l’époque, représentait les 4/5èmes de son budget dédié à l’information (l’anecdote est rapportée dans le livre du journaliste Omar Brouksy, La République de Sa Majesté). Mais les résultats ne tardent pas. En quelques mois, le communicant réussit à lisser l’image du pays. L’entregent d’Azoulay auprès de la «gauche caviar» fera le reste. Dominique Strauss-Kahn, Elisabeth Guigou (native du Maroc), Hubert Védrine ou Jack Lang succombent aux sirènes de la monarchie, qui disposait déjà de puissants soutiens du côté de la droite française.
A la différence de son père, «qui cherchait surtout à blanchir ses années noires», pour reprendre l’expression d’Omar Brouksy, Mohammed VI assignera d’autres objectifs à la communication du royaume. Un nouveau narratif se met en place : il vise à inspirer confiance aux investisseurs, et à renforcer l’attractivité économique du pays. Le cabinet McKinsey est mis à contribution : les plans stratégiques se succèdent (Plan Azur, Plan Emergence, Plan Maroc Vert…). Les réalisations suivent. La région de Tanger (port à containers, usine Renault, zone franche) connaît des transformations spectaculaires. Elles sont le pendant de réformes sociétales habilement marketées politiquement : la réforme de la Moudawana, la justice transitionnelle (Instance équité et réconciliation), l’Initiative nationale de développement humain (Indh, qualifiée de «chantier du règne»). Peu importe que toutes n’aient pas produit les résultats escomptés : elles alimentent un récit et entretiennent une image devenue elle-même un atout de premier ordre dans la compétition régionale.
Samy Ghorbal
Lire aussi
Lobbying: Pourquoi la Tunisie n’y arrive pas ?