Lobbying: notre pays ne sait pas défendre ses intérêts à l'étranger
L’affaire des «listes noires» a porté un sérieux coup à la réputation de la Tunisie. L’approche suivie dans ces dossiers complexes a montré ses limites : problème de fond mais aussi de méthode. Notre pays ne sait pas défendre efficacement ses intérêts à l’étranger. Il manque cruellement de relais dans les centres de décision en Europe et à l’international. Peut-on s’en remettre aux seuls canaux de la diplomatie classique, alors que nos voisins et concurrents, à l’instar du Maroc, investissent massivement dans le lobbying? Leaders ouvre le débat.
C’est un mauvais feuilleton qui dure depuis presque six mois. Le 5 décembre 2017, les Tunisiens, éberlués, apprenaient que leur pays figurait sur la «liste noire des paradis fiscaux» établie par les ministres des Finances des pays de l’Union européenne. Longtemps présentée comme «le bon élève» des institutions de Bretton Woods, la Tunisie, qui s’enorgueillissait d’avoir toujours honoré à temps ses obligations, et qui avait été le premier pays de la rive sud à signer un accord d’association avec l’UE, était subitement reléguée dans la catégorie des cancres. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. A Tunis et à Bruxelles, on s’efforce de dédramatiser. Les Européens soulignent le caractère «non figé» de cette première liste et laissent entendre qu’elle pourra être révisée lors de la prochaine réunion des ministres Ecofin. Le gouvernement tunisien dépêche ministres et secrétaires d’Etat dans la capitale belge, pour prêcher la bonne parole. Ils s’empressent de fournir les documents manquants au dossier. Et effectivement, le 23 janvier 2018, à l’issue de leur réunion de suivi, les ministres de l’UE annoncent que la Tunisie a été retirée de la liste noire et figure désormais sur une «liste grise» des pays sous surveillance, en compagnie d’une soixantaine d’autres Etats.
Mais le répit est de courte durée. Le 7 février, nouveau séisme : un vote solennel du Parlement européen entraîne l’inscription du pays sur une autre liste noire, plus infamante encore, «la liste noire des pays défaillants en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme». La Tunisie se retrouve aux côtés d’Etats faillis comme l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie ou le Yémen. En réalité, elle figurait déjà, depuis novembre 2017, sur une autre liste noire, «la liste des pays à hauts risques et non coopératifs susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme». Etabli par le Gafi, le Groupe d’action financière internationale (un organisme intergouvernemental devenu, depuis les attaques du 11 septembre 2001, l’instrument privilégié de la lutte contre les circuits financiers de la terreur), ce classement est directement à l’origine du vote du Parlement européen. Et peu importe si, entre-temps, le Gafi a révisé son jugement et replacé la Tunisie dans la catégorie des pays sous surveillance. En termes d’image et de réputation, le mal est fait.
Cette fois, impossible de resservir la thèse du malentendu ou du quiproquo. De graves défaillances ont été constatées. Mise en demeure de se conformer aux nouveaux standards internationaux, la Tunisie a trop tardé à répondre et à adapter sa législation. Le responsable est tout désigné : ce sera Chedly Ayari, le gouverneur de la Banque centrale, qui préside également la Ctaf, la Commission tunisienne des analyses financières. Il est limogé immédiatement par le chef du gouvernement, Youssef Chahed.
La désorganisation de l’Etat : anatomie d’un désastre
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi un tel fiasco, 18 mois à peine après l’organisation de la conférence internationale sur l’investissement, Tunisia 2020, qui avait permis d’engranger plus de 30 milliards de dinars de promesses de prêts ? Chacun est en droit de se poser la question. La première réponse, la plus évidente, tient à la désorganisation des services de l’Etat et du gouvernement depuis la Révolution. Avec pas moins de sept chefs de gouvernement et dix ministres des Finances (intérimaires compris) depuis janvier 2011, la Tunisie souffre d’une instabilité politique devenue légendaire.
Sa Constitution de 2014, qui octroie de larges pouvoirs au Parlement, n’a fait qu’aggraver les choses du point de vue de la gouvernance économique. Pusillanime, paresseuse, otage d’intérêts partisans fluctuants et théâtre de surenchères verbales permanentes, l’Assemblée n’a jamais été en mesure d’exercer son pouvoir de contrôle pour rappeler l’exécutif à ses devoirs. Au contraire ! Et la plupart des élus qui siègent au palais du Bardo n’ont qu’une appréhension très limitée des enjeux de la conformité aux nouveaux standards internationaux de lutte contre l’évasion fiscale ou le blanchiment des capitaux…
Dans ces conditions, marquées par la double faiblesse de l’exécutif et du législatif, le salut aurait pu venir de l’administration. Dans les pays à forte instabilité du personnel dirigeant – France de la IVe République, Italie, Japon, ou, plus récemment, Belgique et Espagne - les hauts fonctionnaires et les grandes directions des services de l’Etat veillent au grain et «tiennent la maison». Mais l’administration tunisienne souffre de la même incurie que sa classe politique. Mue par de puissants réflexes d’autoconservation, arc-boutée sur ses privilèges et des prébendes, elle a perdu de vue sa boussole, l’intérêt de l’Etat. La fuite devant les responsabilités est devenue partie intégrante de la culture administrative post-14 janvier, chacun préférant se couvrir. Le cloisonnement des structures, et son corollaire, le déficit de communication entre les services, constituent des circonstances aggravantes. Nombre de dysfonctionnements récents, y compris dans la lutte antiterroriste, sont imputables à un défaut de coordination. Les responsables ne se parlent pas assez. L’information ne circule pas. La transversalité est une vue de l’esprit. L’intergouvernemental est aujourd’hui le talon d’Achille de la machine étatique.
Ce mal ne date pas d’hier. Le système pyramidal instauré du temps de Zine El-Abidine Ben Ali a largement contribué à cet état de fait, même s’il concernait essentiellement le «domaine réservé», à savoir la sécurité, les affaires étrangères et la communication politique. Pour toutes les questions y afférentes, l’impulsion venait de Carthage qui décidait de tout. La vision globale et son exécution étaient décidées au niveau de la Présidence, l’administration et les ministères faisant office de simples courroies de transmission. Quant aux questions économiques et financières, elles étaient confiées au Premier ministre qui ne faisait remonter à la Présidence que les décisions stratégiques à prendre ou des faits exceptionnels. Depuis le choc de 2011, le système s’est affaissé sur lui-même : l’énergie se disperse au lieu de se diffuser et le pays est bloqué.
Le lobbying, angle mort de la politique étrangère tunisienne
L’amateurisme de la classe politique et la désorganisation de l’administration ne sauraient expliquer, à eux seuls, le fiasco des listes noires. Le dossier tunisien comportait aussi des faiblesses intrinsèques. Faut-il rappeler que, sur 28 000 sociétés étrangères installées dans le pays, 22 000 ne déclarent aucun employé (les chiffres émanent de l’Ocde). Mais surtout, c’est l’approche globale de ce type de négociations complexes, impliquant une multiplicité de parties prenantes, qui est à revoir. Revenons un instant sur la liste noire des paradis fiscaux, dans sa première version, et laissons la parole à un professionnel parisien de l’influence qui a suivi ces péripéties : «La question n’est pas de savoir pourquoi la Tunisie a été blacklistée mais plutôt pourquoi des pays comme le Maroc ou le Qatar, qui auraient dû l’être aussi, sont passés entre les gouttes? Il n’y a jamais de hasard ou de coïncidences.
Les Qataris et les Marocains disposent d’agences de lobbying spécialisées qui travaillent pour leurs intérêts. Ils avaient l’information très en amont, ils ont donc pu anticiper, soit en se mettant en conformité, soit en mobilisant leurs relais et leurs soutiens, afin d’obtenir un délai. Les Tunisiens se sont réveillés bien trop tard, une dizaine de jours avant le vote du 5 décembre, et encore, ils ont été alertés par un ministre français ! Difficile, dans ces conditions, d’inverser la vapeur...»
Le monde a changé. On n’agit pas à Bruxelles comme on agirait à Alger ni même à Paris. Les canaux diplomatiques classiques ne suffisent pas. L’influence s’exerce aussi à d’autres niveaux, à travers des cabinets spécialisés. Plus les centres de décisions sont éclatés, plus le besoin d’un accompagnement institutionnel se fait ressentir. Dans un système fédéral organisé sur une séparation stricte des pouvoirs (cas des Etats-Unis d’Amérique) ou à l’échelle de l’Union européenne (où les strates décisionnelles sont empilées dans un enchevêtrement illisible), il est inconcevable de ne pas faire appel à des spécialistes des affaires publiques.
Confronté à une guérilla juridique de tous les instants orchestrée par les soutiens du Front Polisario, obligé de défendre et promouvoir son image, le Royaume du Maroc l’a bien compris. Il a pris le pli il y a presque trois décennies, après la publication du livre de Gilles Perrault sur Hassan II, Notre ami le Roi (voir encadré). Ces deux dernières années, rien qu’aux Etats-Unis, le ministère marocain des Affaires étrangères s’est adjoint les services de sept firmes de lobbying réputées: Iron Bridge Strategies (20,000$/mois), SGR Governement Relations & Lobbying (15,000$/m), Glover Park Group LLC (20,000$/m), JPC Strategies (75,000$/m), Gray Loeffler LLC (25,000$/mois, contrat expiré le 31-12-2017), Hush Blackwell LLP (montant et termes non précisés) et Vision Americas (25,000$/mois, expiré). Le Maroc s’est également doté, depuis 2005, d’une véritable plateforme de lobbying qui inonde d’argumentaires les parlementaires US et la presse spécialisée: le MACP, Moroccan American Center for Policy.
A Bruxelles, où le Royaume dispose en la personne de l’ancien ministre Ahmed Reda Chami d’un ambassadeur particulièrement dynamique, c’est le cabinet français ESL&Network, un des géants du monde de l’influence, qui a été mandaté pour épauler le Royaume face aux tentatives de remise en cause de l’accord de pêche et de l’accord agricole signés avec l’Union européenne. L’OCP, l’Office chérifien des phosphates, premier exportateur mondial de ce minerai, dispose également de son lobbyiste attitré, le cabinet Edelman. Candidat à l’organisation de la Coupe du monde 2026, le Maroc s’est aussi attaché les services du groupe londonien Vero Communications et de l’agence parisienne de conseil et communication sportive Keneo (pour 2 millions de dollars). Détail qui compte, Keneo, aujourd’hui membre du réseau Dentsu Aegis, a été fondée parEtienne Thobois, devenu, depuis, le directeur général du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024. A ce niveau, il n’y a plus place pour le hasard…
«Les amis de la Tunisie» : un logiciel d’influence devenu obsolète
En comparaison, la Tunisie fait pâle figure: elle ne dispose d’aucune agence pour l’épauler, défendre son image et ses intérêts et jouer le rôle d’interface avec les acteurs de la décision publique (responsables gouvernementaux, parlementaires, nationaux ou européens, instances spécialisées), ni aux Etats-Unis, ni en Europe. A Washington, la dernière activité connue remonte à janvier 2010 : un contrat annuel, assez conséquent (420,000$) passé par le ministère de la Communication avec la firme Washington Media Group, qui a évidemment expiré avec la Révolution. Les ambassades à l’étranger, qui forment pourtant un réseau assez dense, sont sous-staffées.
Un ancien ambassadeur à Paris, interrogé il y a quelques années par l’auteur de ces lignes sur le peu de visibilité des représentants tunisiens dans les médias français en période de crise, confessait ne pas disposer de budget pour effectuer des relations presse. Faute de mieux, nos représentants à l’étranger « bricolent » et tentent de mettre à contribution l’Office du tourisme pour engager ce qui s’apparente vaguement à des actions de communication extérieure. Il est vrai que l’Ontt avait, dans une certaine mesure, été précurseur, en réussissant à construire et populariser une image extrêmement positive de la destination Tunisie, «pays ami, tolérant, moderne et avant-gardiste». Mais c’était dans les années 1970 ! Devenu en grande partie anachronique, ce logiciel continue pourtant à fonctionner par à-coups. Faut-il s’étonner s’il ne produit plus de résultats probants ?
A Paris, les ambassadeurs cultivent comme ils le peuvent le réseau des «amis de la Tunisie» - ou ce qu’il en reste. Il s’était déjà bien étiolé après la Révolution et la mise à nu des connivences des politiques et du gratin de la presse françaiseavec le régime de Ben Ali. Aujourd’hui, il a pris un terrible coup de vieux avec l’avènement d’Emmanuel Macron. La Tunisie possède peu de relais dans le «nouveau monde» qui s’est mis en marche en 2017. Et elle a disparu des radars des grands patrons. Tout est à reconstruire. «Là encore, les Marocains ont pris plusieurs longueurs d’avance, observe un professionnel de l’influence. Ils multiplient événements et conclaves, et ils occupent le terrain institutionnel. Ainsi, en juin, sera organisé à Rabat un forum interparlementaire, qui réunira les présidents et des élus des quatre chambres, le Sénat et l’Assemblée française, la Chambre des conseillers et la Chambre des députés marocaine.»
Diplomatie, affaires publiques, communication et influence
Schématiquement, la défense des intérêts d’un pays se joue à trois niveaux. Le premier constitue le domaine d’intervention naturel de la diplomatie, c’est la relation d’Etat à Etat. Le deuxième est celui qui touche aux affaires publiques. Identification des parties prenantes impliquées dans un processus décisionnel, cartographie de l’environnement politique, administratif, associatif, veille proactive, définition d’une stratégie, rédaction d’argumentaires ciblés, échanges formels et informels, construction d’alliances et de coalitions, enfin advocacy (lobbying) au sens strict: le champ est vaste, et il le sera de plus en plus, car les processus de décision dans les démocraties occidentales impliquent un nombre croissant d’acteurs (stakeholders), souvent en compétition les uns avec les autres. C’est ici qu’intervient l’expertise des lobbyistes, aussi appelés consultants en affaires publiques ou représentants d’intérêts. Leur valeur ajoutée repose sur leur connaissance très fine, presque chirurgicale, des acteurs et des circuits de la décision publique. L’entregent est indispensable, mais il ne suffit plus. L’activité s’est professionnalisée et tend à être de plus en plus encadrée. Les lobbyistes agissent sans complexe et en toute transparence aux Etats-Unis ou à Bruxelles.
En France, la loi Sapin 2 votée en 2016 leur impose de s’inscrire dans un registre ouvert et de déclarer leurs clients, qu’ils soient entreprises, institutions ou Etats étrangers. Le troisième et dernier niveau est celui de la communication et de l’influence - l’immatériel, en réalité tout ce qui se rapporte à l’image. Là également, le champ est vaste et de plus en plus sophistiqué, puisqu’il englobe la communication, l’événementiel (la communication d’influence, les colloques), les relations avec les médias de masse et les médias spécialisés (la relation presse), ainsi que la création de contenus, le référencement, la gestion de la réputation, etc. C’est le champ d’intervention de prédilection des agences bien connues du public qui sont Havas (qui a absorbé Euro RSCG), Publicis ou Image 7, l’agence d’Anne Méaux, qui fut longtemps la communicante de Ben Ali.
Exception faite du canal diplomatique, la Tunisie ne possède plus aujourd’hui les leviers et les instruments qui lui permettraient de maximiser son influence. Le lobbying et le travail sur l’image sont sous-traités à des acteurs improvisés, des intermédiaires, presque toujours bénévoles, et parfois mus par un authentique sentiment patriotique. Ils solliciteront leur carnet d’adresses, mobiliseront leurs amis et useront de leur entregent, avec des résultats très inégaux.
Est-ce vraiment un problème de moyens?
La contrainte budgétaire est sans cesse brandie pour justifier le bricolage : le pays n’aurait plus les moyens de missionner de grandes agences-conseil. L’argument n’est qu’en partie recevable. Bien que les sommes en jeu soient conséquentes (plusieurs millions de dinars), elles ne sont rien comparées aux bénéfices susceptibles d’être retirés d’un tel investissement. Le sommet du G7 organisé à Deauville en juin 2011 pouvait laisser augurer un soutien massif à la transition démocratique. Ces promesses se sont envolées car la Tunisie n’a pas été capable de présenter des projets et construire des coalitions à même de les réaliser. Clairement, nous avons péché dans le lobbying en imaginant naïvement que les choses se feraient toutes seules. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous n’avons pas été capables de transformer l’essai après la conférence Tunisia 2020 des 28 et 29 novembre 2016. La faute, là encore, à un suivi - donc un lobbying- défaillant.
Aux Etats-Unis, nous sommes passés à deux doigts d’une véritable catastrophe. Alors que les gouvernements Jomâa et Essid avaient réussi à obtenir de l’administration Obama qu’elle augmente significativement l’aide militaire américaine à la Tunisie, cet acquis a failli être réduit à néant par Donald Trump. Le républicain avait annoncé qu’il taillerait dansÚ
Úles aides extérieures aux pays arabes. Face à une telle menace, l’approche la plus rationnelle aurait dû consister à missionner une firme spécialisée dans les affaires publiques pour faire valoir une «exception» en faveur de la Tunisie, et sanctuariser cette aide destinée à combattre le terrorisme. Finalement, un sursaut des commissions spécialisées du Congrès a permis d’éviter le pire, pour cette fois. Un petit miracle qui ne se reproduira peut-être pas.
Surmonter le traumatisme de l’ATCE et dépasser les blocages psychologiques
Le blocage tunisien sur la question du lobbying n’est pas seulement d’ordre financier: il est aussi politique et psychologique. C’est «le traumatisme de l’ATCE», du nom de la défunte Agence tunisienne de communication extérieure, créée en 1990 à l’instigation de Ben Ali, et qui fut instrumentalisée pendant presque deux décennies pour asseoir l’image du régime du 7 novembre. Cette machine dispendieuse qui contrôlait également la manne de la publicité - ce qui permettait d’acheter l’indulgence de la presse et des médias audiovisuels, notamment français- a été en partie détournée de son objet. Dénoncée pour ses dérives, assimilée à un système de censure et d’achat des consciences, elle a, par ricochet, entièrement discrédité l’idée d’une politique du lobbying, de l’influence et de communication extérieure. Le ministère de la Communication a d’ailleurs été dissous, tout comme l’Atce, au lendemain de la Révolution. Plus de 7 ans après, le sujet reste hautement inflammable et propice à tous les amalgames. Même les responsables politiques les plus lucides craignent d’entreprendre une quelconque action qui pourrait accréditer la thèse d’un «retour de l’ATCE…»
L’importance des enjeux se rattachant à l’image de la Tunisie, si malmenée depuis tant d’années, mériterait pourtant l’ouverture d’un débat responsable, dépassionné et constructif. Les choses ne se feront plus toutes seules. Vouloir défendre ses positions et gagner la bataille de l’influence supposent de s’en donner les moyens. La communication et le lobbying ne peuvent plus rester des angles morts de la réflexion sur la politique d’influence et la diplomatie économique de la Tunisie. La théorie du manque de moyens ne résiste pas à l’analyse, le problème tient plutôt à l’ordre des priorités, et aux réflexes qu’il faut changer. Quand on veut, on peut !
Sur un autre dossier, tout aussi explosif, celui de la Banque franco-tunisienne (BFT), qui est sans doute le plus grand scandale financier de ces dernières décennies, le Contentieux de l’Etat et la STB, qui a agi sur ordres, ont engagé plus de 40 millions d’euros en frais d’avocats. En pure perte d’ailleurs, puisque l’arbitrage rendu en juillet 2017 par le tribunal du Cirdi a été défavorable à la Tunisie. A contrario, une formation politique (Ennahdha, pour ne pas la nommer) a bien compris tout l’intérêt d’investir dans le lobbying. Quelques mois après le renversement de l’Egyptien Mohamed Morsi, le parti de Rached Ghannouchi s’est attaché les services de Burson-Marsteller pour assurer ses relations publiques, sa communication institutionnelle et redorer son blason en prévision des élections de 2014. Le montant astronomique du contrat – 18 millions de dollars - a fait jaser. Mais les résultats sont là : en dépit des efforts orchestrés notamment par les Emirats arabes unis, détracteurs acharnés de la confrérie des Frères musulmans, il ne viendrait plus à l’idée de personne de contester le «brevet de respectabilité» attribué aux islamistes tunisiens. Le lobbying, ça marche ! Peut- être est-ce «too much».
Samy Ghorbal
Journaliste et consultant