Habib Touhami: La démocratie tunisienne à l’épreuve des réseaux sociaux
Tel le Docteur Frankenstein dans la version littéraire d’origine de Mary Shelley, les inventeurs des réseaux sociaux ont fini par laisser s’échapper le «monstre» qu’ils ont créé. Dès que les utilisateurs ont commencé à prendre le pas sur les éditeurs concernant la production des contenus et leur mise en page, le contrôle des réseaux sociaux est devenu une tâche quasi impossible, même pour la redoutable NSA. Mais le voudra-t-on au fond ? Certes, les réseaux sociaux sont entrés partout dans une zone de turbulences et de contestation, mais aucun Etat «décisionnel» ne semble vouloir contrarier leur développement tant les enjeux économiques et commerciaux sont énormes.
En politique, les réseaux sociaux sont devenus incontournables dans les pays démocratiques, participant de plus en plus du «marketing politique», alors qu’ils participent foncièrement de la diffusion de l’inculture politique dans les pays en voie de démocratisation. Mais n’est-ce pas là un constat à l’image des sociétés elles-mêmes, construites, dans un cas, autour d’un système de représentation qui fonctionne plus au moins correctement autour d’un système de représentation qui n’existe même pas ou qui peine à fonctionner dans l’autre. En tout état de cause, les réseaux sociaux essaient partout d’empiéter sur le champ de la presse et les médias, en se posant comme moyen d’information sur le champ des représentations nationales, en se proposant comme alternative à l’expression du suffrage universel, sur celui des juges et des tribunaux, en revendiquant un droit à l’investigation et à la condamnation en dehors ou en dépit des lois en vigueur.
La gravité de cette dérive varie selon les pays. Il existe à cet égard une énorme différence entre les pays structurés politiquement et dans lesquels les partis politiques remplissent leur rôle et les pays qui le sont moins et dans lesquels les partis politiques sont défaillants, entre les pays où la parole est libre depuis des décennies et les pays où la parole a été longtemps confisquée, entre les pays qui disposent d’une presse écrite de valeur et les pays où la presse écrite est médiocre. La Tunisie appartient bien à la seconde catégorie. Alors que les internautes des pays de la première catégorie interfèrent rarement dans les affaires délicates (sécurité nationale, certaines problématiques économiques sensibles), laissant aux partis politiques et aux représentations nationales, mieux armés, le soin de critiquer et de proposer, les internautes des pays de la seconde catégorie, tels les internautes tunisiens, n’hésitent pas à franchir le Rubicon, mettant en danger leur propre sécurité et les intérêts vitaux de leur pays.
En propageant les publications qui confortent leurs croyances et leurs préjugés et en censurant celles les mettent à mal ou qui leur demandent un effort de compréhension et de réflexion, les internautes tunisiens vont au plus facile. Sur ce plan, la télévision a déteint sur les réseaux sociaux, tant au niveau du format qu’au niveau de la primauté de l’image sur le discours, le contenant sur le contenu. Avant même l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, l’image telle qu’elle est imposée par la télévision supplanta le contenu dans les débats politiques. Les gigantesques progrès des techniques et outils de communication des dernières décennies accentuèrent la tendance. Ils mirent la chose politique, ou ce qu’il semblait être, à la portée du plus grand nombre avec la superficialité qui sied. La télévision et l’image ont pour ainsi dire tué le débat démocratique en l’enfermant dans un cadre et un format qui laissent peu de place à la démonstration et à l’argumentation. Cela n’est pas de nature à conforter la démocratie représentative et le processus démocratique.
Habib Touhami
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