Boubaker Ben Kraiem: Certes, la nouvelle Constitution pose problèmes !
Dans presque tous les pays, les constituants qui sont élus pour rédiger une nouvelle Constitution, prétendent, à la fin de leurs travaux, qu’ils sont arrivés à élaborer l’une des meilleures constitutions du monde si ce n’est la plus complète et la plus efficiente. Ce fut le cas pour nos représentants à cette honorable Assemblée Nationale Constituante, le 27 janvier 2014 et qui étaient très fiers de leur œuvre. Préférant commencer avec une page blanche, ils ont gaspillé trois longues années alors que la Constitution de 1959 était, d’après les constitutionnalistes avisés, et à l’exception des articles qui ont été reformulés par les deux présidents de la 1° République, presque aussi parfaite que celle de 2014. Aussi, quatre ans après son élaboration, que constatons-nous ?
D’abord, je crois que parmi les constitutionnalistes, il n’y avait pas d’historiens ou de férus d’histoire car comment peut-on ignorer notre attachement à notre environnement naturel représenté par la mer méditerranée dont nous partageons plus de mille trois cents kilomètres de côtes. Celle-ci a permis à la puissance * Carthage* de dominer, durant des siècles, toute cette région, cette Carthage dont nous sommes bien les héritiers et qui a étendu son hégémonie et son pouvoir sur cette mer et bien au-delà ! Comment ne pas se souvenir de cela, ne pas le mentionner, ne pas l’exprimer pour bien l’exploiter ?
Ensuite, notre pays qui s’appelait Ifriquia, a donné son nom au continent africain. Cependant, la Constitution de 2014 ne fait pas, aussi, mention de notre appartenance à l’Afrique, ce continent. L’oubli manifeste du continent africain dont notre pays a été l’un des membres fondateurs de l’organisation de l’Unité Africaine (OUA), en 1963, est une sérieuse lacune, ce continent de l’avenir qui intéresse, de plus en plus, toutes les grandes puissances du fait de la diversité de ses richesses minérales et dont certaines sont stratégiques ainsi qu’agricoles, sans oublier ses grandes potentialités économiques. D’ailleurs d’éminents experts économiques dont Mr Régis DEBRAY, surpris de constater que la Constitution ne fait aucun écho, ni à l’une, ni à l’autre, l’ont relevé, en nous recommandant de nous attacher à notre environnement naturel, aussi bien la mer méditerranée que l’Afrique.
Enfin, la Loi Fondamentale nous a proposé un régime tricéphale qui, dans son application, a favorisé un certain immobilisme politique parce que pour la prise d’une décision stratégique ou urgente, il est nécessaire d’obtenir, d’une manière ou d’une autre, l’aval des chefs des trois pouvoirs. Aussi, le fait de diluer ce pouvoir entre les trois autorités, ne permet à personne de prendre des initiatives importantes et parfois impérieuses dans l’intérêt du pays. C’est pourquoi, les trois responsables détiennent certaines aptitudes, parfois des latitudes qui se rapprochent et des capacités qui s’attachent et chacun, selon sa personnalité, essaye de ne pas dominer les autres, ce qui n’arrange pas les choses. C’est pourquoi, notre pays qui, pour évoluer positivement et rapidement, comme l’exige la situation, manque, cependant, de ce leader charismatique qui doit avoir les coudées franches et qui pourra, à cent à l’heure, essayer de rattraper le groupe de tête qui nous a, bel et bien, devancés, avec tout ce que cela représente comme régression dans les domaines économique et social.
Cette situation ne permettra pas, à notre pays, de prendre le taureau par les cornes et rejoindre les pays qui nous ont distancés parce qu’un régime *tricéphale*ne permet pas une réaction rapide car toute idée, tout projet de l’un d’eux nécessite l’étude et la réflexion des deux autres et cela prend du temps et parfois beaucoup de temps et surtout, une perte de temps et d’occasions, souvent, très préjudiciable au pays.
D’autre part, notre peuple appartient, que l’on veuille ou non, au monde oriental. Celui-ci ne se retrouve et ne se reconnait qu’en un seul chef, fort, autoritaire, efficace, ayant de l’ascendant mais juste et équitable et n’apprécie guère un pouvoir effrité entre deux, trois ou quatre responsables ou entités. Nos Constitutionnalistes ont oublié ou voulu oublier que lors de l’indépendance, la Tunisie avait besoin d’un Chef non seulement fort mais surtout autoritaire pour lui permettre de prendre toutes les mesures destinées à remédier à toutes les insuffisances laissées par une colonisation de soixante- quinze ans. Certains prétendent que Bourguiba était un dictateur et avait agi comme tel. Mais ayant hérité d’un pays qui n’avait aucune richesse, et qui, de surcroit, a été ravagé, du sud au nord, douze ans plus tôt, par les belligérants de la 2° guerre mondiale ( les Forces alliées* USA-Grande Bretagne et France* contre les Forces de l’Axe* Allemagne et Italie*) et d’un peuple souffrant de la pauvreté, de l’analphabétisme, de la misère, des maladies et de l’ignorance, comment doit-il agir pour venir à bout de ces calamités ? Bourguiba ne pouvait être qualifié, à ce moment-là, de dictateur mais plutôt d’un responsable autoritaire qui, compte tenu des circonstances, devait faire preuve d’autorité et de puissance pour faire transformer, très rapidement, les us et coutumes de la population et faire évoluer les citoyens. S’il avait permis la formation d’une vingtaine de partis politiques et s’il avait, aussitôt, instauré une totale démocratie, est-ce qu’il aurait pu réaliser le un centième de ce qu’il a fait ? Nous vivons maintenant l’exemple type et nous voyons comment les choses avancent, évoluent et………., malheureusement, régressent…. pour de nombreuses raisons !!
Nos vaillants constitutionnalistes ont, aussi, omis ou ont voulu oublier de spécifier, dans le texte de la Constitution, le responsable de l’unité du pays dans chacune des régions qui compose la Tunisie, ainsi que le garant de la sécurité des biens et des personnes dans les gouvernorats et du responsable de l’application de la Loi dans ces régions. Il y a lieu de préciser que la fonction de *Gouverneur*, le représentant de l’Etat et du Gouvernement dans sa région, n’a pas été citée une seule fois dans la Constitution. En agissant ainsi, les Constitutionnalistes ont-ils voulu faire le procès du Gouverneur ? Et pourtant, il a été le garant et de l’Unité du pays, et de la Sécurité des biens et des personnes et le promoteur du développement de sa région.
Je pense que le système politique actuel, tel qu’il a été conçu, a montré ces limites et les affaires d’El Kamour, de Kerkennah ( Petrofac), du Champ minier de phosphates, entre autres, en sont les exemples les plus édifiants: Répartition des rôles politiques n’étant pas assez claire, marquée par l’éparpillement des pouvoirs, fondée sur les consensus qui nécessitent, à chaque fois, des négociations et des calculs politiques qui surpassent l’intérêt général du pays donc une perte de temps inutile. Le système politique actuel doit être réformé et remplacé pour permettre au pouvoir exécutif de prendre des décisions, de gérer les institutions de l’Etat, avec la mise en place des outils et procédures de contrôle pour garantir la démocratie, les libertés, une presse libre, et un environnement politique et associatif pluriel..
Quant au pouvoir local et à la décentralisation prévue dans le projet du Code des Collectivités locales, personne ne peut en prévoir ni les résultats ni les difficultés que nous allons rencontrer. Et ne crions pas vite victoire parce que ce n’est pas une mince affaire. Théoriquement, c’est quelque chose de remarquable mais sommes –nous sûrs que nos concitoyens, ou du moins, la majorité d’entre eux a atteint un degré de niveau politique, culturel, social et matériel lui permettant d’être à la hauteur et d’accepter cette politique participative ainsi que l’obligation de payer, sans y être forcé, les impôts municipaux ? Aussi, l’Etat est appelé par la Constitution, à subvenir, financièrement, aux besoins, même partiels, des municipalités et nous savons tous que le payeur est, généralement, le contrôleur. Or, la constitution ne prévoit pas cette mesure importante de contrôle des deniers de l’Etat, cette mesure assurée actuellement par le gouverneur de la région. Comme la décentralisation n’est pas une affaire banale, il est à souhaiter que cela se passe par étapes car à titre d’exemple, la Belgique, pourtant très vieille démocratie qui a commencé, il y quelques décennies, l’opération de décentralisation, ne l’a pas encore terminée. Alors, faisons attention et allons-y mollo- mollo.
Nous devons tirer les enseignements de ces sept dernières années pour réformer nos textes, nos lois et même notre Constitution. Nous avons tous remarqué que souvent, elle est un frein beaucoup plus qu’un outil de travail qui permet de prendre des initiatives rapides, qui peut répondre du tic au tac à certains évènements et qui effrite le pouvoir entre plusieurs autorités. Comme l’efficacité prime, notre peuple, dans sa globalité n’a pas encore atteint le niveau politique, économique et surtout culturel nécessaire lui permettant et de s’intéresser aux problèmes du pays et d’être séduit par tout ce qui se passe dans la société. Pour y parvenir, la sagesse recommande la progressivité.
Aussi, gouverner, c’est être courageux, c’est oser, c’est prévoir, c’est assumer, c’est prendre des risques, c’est appliquer la Loi dans toute sa rigueur, avec équité pour tous, sans laxisme, sans calcul, sans recherche de clientèle, en utilisant, à chaque fois que de besoin, le bâton et la carotte. Si on avait appliqué la Loi lorsque le premier camion a déversé du sable sur la voie ferrée ou lorsque des jeunes ont construit une murette sur cette même voie pour empêcher les trains de phosphates de passer, ces opérations n’auraient pas eu l’occasion de se répéter une seule fois. D’ailleurs on se pose un tas de questions à ce sujet, dont:
- pourquoi et comment aucun juge ou procureur n’était intervenu pour remettre les pendules à l’heure?
- pourquoi les divers gouvernements, lors de leur investiture, n’avaient pas lancé d’avertissement et interdit l’intrusion de quiconque dans les sites des richesses nationales minérales (phosphates, pétrole, gaz, etc…..), ces sites que Monsieur le Président de la République avait promis, depuis le 10 mai 2017, de faire protéger par l’Armée Nationale.
La plupart de nos problèmes proviennent de nos difficultés économiques et de nos déficits financiers. Aussi, assez d’entêtement pour ne pas faire appel aux compétences dont le pays est pourvu dans tous les domaines. Nous tournons en rond depuis sept ans et nous n’avançons pas. Et tant qu’on n’allègera pas la fonction publique de cent à cent cinquante mille personnels, nous continuerons à patauger. Mettons de côté notre orgueil, notre amour-propre, notre vanité et regardons les choses en face. Il n’y a pas de raison pour ne pas faire appel aux aptitudes connues et reconnues sachant qu’aucun patriote sincère ne ménagera ses efforts pour aider son pays qui a besoin de ses services. D’autre part, comment, avec la situation financière dans laquelle nous nous trouvons, on puisse arriver à un dépassement budgétaire de 14,9% pour 2017 comme cela a été rapporté par un journal de la place ? Les chefs de départements ministériels ne sont-ils pas tenus à une discipline budgétaire stricte ? 14,9% représentent, quand même, le budget d’un ou de deux petits ministères !!
Que Dieu aide et protège la Tunisie Eternelle, l’héritière de Carthage.
Boubaker Ben Kraiem
Ancien Gouverneur