Révélations exclusives : Dix questions-réponses pour tout savoir sur le Plan de Youssef Chahed contre la malversation
Mutisme ! Le mystère est totalement entretenu par Youssef Chahed quant à la lutte contre la malversation. L’onde de choc provoquée le 23 mai dernier par l’arrestation de Chafik Jarraya et la confiscation de ses biens et avoirs, suivie de celle de Yassine Channoufi et autres Néjib Ben Ismail, puis de biens d’autres, n’ont fait l’objet que de simples communiqués de presse. Ce qui n’a pas manqué d’attiser les supputations et multiplier les rumeurs. Conforté par le plébiscite de l’opinion publique en sa faveur, Youssef Chahed est en même temps attaqué par tous ceux qui se savent visés et leurs écosystèmes. Publiques ou en sourdines, les manœuvres de contre-attaque sont houleuses. Le chef de la Kasbah garde son flegme et protège le secret d’Etat. Il n’a rien dévoilé de sa conception, de sa stratégie et du making off, laissant flotter un flou dont il fait un instrument de guerre.
Leaders a essayé d’enquêter sur les différents aspects de cette lutte contre la malversation. Toutes les portes sont restées ferméeset personne, ni Chahed, ni ses ministres n’ont accepté de s’exprimer à ce sujet, promettant de le faire ultérieurement. Il aura fallu à nos équipes de collecter sous le sceau de l’anonymat auprès d’acteurs concernés, des informations et analyses de premières mains. Si elles ne reflètent pas la position officielle du gouvernement, elles permettent de mieux comprendre ce qui se passe et ce qui se passera.
Principales questions que les Tunisiens se posent... et éléments de réponse recoupés.
1 - Comment s’est déclenché le premier grand coup, avec l’arrestation de Jarraya?
La corruption, la contrebande et la malversation existaient bien avant le 14 Janvier. A la différence de l’ampleur actuellement prise, elles étaient circonscrites, ne touchant jamais ni aux armes, ni aux médias, ni aux partis, n’injectant que de petites quantités de drogues et n’interférant pas dans les corps de l’Etat ? Elles étaient quasiment contrôlées, voire tolérées et instrumentalisées par l’ancien régime. L’Etat était fort.
Depuis, tout un système mafieux, tentaculaire et interconnecté, s’est emparé des articulations vitales, constituant une redoutable menace visant à saper les fondements de l’Etat et un grand danger pour la sécurité nationale. Ce n’est pas uniquement l’économie qui est asservie, la main mise s’étend à tous les rouages. Des connexions avec des parties étrangères y compris des milices s’y sont ajoutées. Les barons exerçaient leur hégémonie dans les corps stratégique où ils comptaient des affidés, comme au sein de la justice, l’Intérieur, la Douane, les médias, les partis et la société civile.
Le silence rend complice. La menace sécuritaire est à son paroxysme.
2 - Pourquoi avoir tardé jusqu’au 23 mai?
Tout un dispositif devait être mis au point. Une longue et minutieuse préparation, à tous les niveaux, était nécessaire. Le montage n’était pas facile, même si le cadre juridique de l’Etat d’urgence s’y prête et les investigations menées et les éléments réunis le justifient.
Pourquoi avoir commencé par Chafik Jarraya, puis Yassine Channoufi et autres Néjib Ben Ismail?
Le choix était entre lancer les premiers coups de filet contre les petits malfrats ou s’attaquer directement aux gros poissons. Pourtant, la règle est simple : quand on nettoie les escaliers, commence par le haut et, non par le bas, en ciblant prioritairement des cas très significatifs.
3 - Quelles sont les cibles prioritaires?
Tous ceux qui sont hors la loi et menacent les fondements de l’Etat et sa sécurité intérieure et extérieure ! A ne pas confondre avec les circuits économiques d’entreprises établies et dument autorisées. Celles-ci, en cas d’infractions douanières, fiscales, commerciales et autres relèvent de la compétence des services concernés. La règlementation existe et le dispositif de son application, aussi. Il ne s’agit nullement de perturber la bonne marche ni de l’économie, ni de l’administration.
4 - Quel est le processus adopté?
De manière progressive, selon les dossiers avérés transmis au-fur-et-à mesure aux parties concernées. Ni sélectivité, ni fixation, et encore moins favoritisme. La loi s’applique à tous. Il y a ceux qui sont mis en résidence surveillée (dans des locaux qui relèvent du ministère de l’Intérieur), ceux qui sont écroués en prison, et ceux qui sont en liberté, chacun, selon le cas, avec ou sans confiscation de ses biens et avoir ?
5 - Quelle coordination avec la Commission de confiscation?
Totalement indépendante, elle est présidée par un magistrat du troisième degré et composée de représentants de nombre d’institutions (Tribunal administratif, Banque centrale, Cour des Comptes) et de ministères, ainsi que le chef du Contentieux de l’Etat et le Conservateur de la propriété foncière. Mais elle s’inscrit dans cette démarche générale commune.
6 - Comment la justice s’en est prise?
Le signal fort est donné et l’Etat est retombé sur ses pieds, capable de rebondir. La justice a retrouvé, elle aussi, ses ressorts, avec la constitution du conseil supérieur de la Magistrature et la fin des tiraillements qui la traversaient. La Tunisie doit rester un Etat de droit et la justice s’exercer dans le respect des droits fondamentaux, en toute indépendance et en son âme et conscience. L’équité est plus qu’un principe, une éthique.
7 - Dopé par l’opinion publique, Chahed sera-t-il tenté par un passage en force?
Le risque existe, et il faut s’en prémunir. Il ne s’agit pas d’une guerre, ni d’une lutte, d’une campagne ou d’un plan. C’est toute une politique qui doit finaliser sa conception, sa stratégie, son plan d’action, ses moyens et ses échéances successives. Sa mise en œuvre partagée avec tous sera attentivement suivie, rectifiée si nécessaire, et évaluée.
8 -Le décollage de « la campagne » a été fulgurant. Comment se poursuivra-t-elle?
Quand un commandant de bord fait décoller son avion, c’est à sa destination et son atterrissage qu’il pense le plus. S’il n’y veille pas, il risque de crasher. Aujourd’hui, les mécanismes fondamentaux que sont principalement la justice, les forces sécuritaires, la Douane et autres, ont repris leur bon fonctionnement. Aussi, mobilisés qu’ils sont actuellement, ils retrouveront rapidement leur rythme de croissance, toujours dans la sérénité et l’équité. Les autres hautes autorités (auprès de la Présidence de la République et du Gouvernement), et organes d’inspection, de contrôle, et d’audit, au sein des différents départements ministériels, mais aussi les entreprises et organismes publics doivent eux aussi s’y mettre intensivement.
L’élan général sera ainsi pris. S’agissant d’une politique et non d’une « campagne », elle doit s’enraciner dans la pratique quotidienne. L’atterrissage sera lors non pas pour s’arrêter, mais pour s’approfondir jusqu’aux racines pour éradiquer la malversation.
9 - Décollage, atterrissage, mais assurera les fonctions de la tour de contrôle?
C’est crucial! Jusque-là un comité réduit, réuni autour du chef du gouvernement resté constamment en liaison avec le président de la République, qui a conçu et piloté les premières actions. Cette task-force a montré son efficience. Mais elle ne pourra plus gérer à elle seule au quotidien la mise en œuvre de la politique anti-malversation. Surtout qu’il ne s’agit pas seulement de faire arrêter les suspects pour les traduire devant la justice, mais aussi et surtout de verrouiller toutes les passoires utilisées, qu’elles soient réglementaires, informatiques, sécuritaires et autres. Démanteler les réseaux, et leurs filières complices, mais aussi leur couper l’herbe sous les pieds.
La tour de contrôle est à construire et diriger.
10 -Le fort soutien de l’opinion publique en faveur de Youssef Chahed changera-t-il la donne politique en Tunisie?
C’est une autre question. Restons concentrés sur l’essentiel!
Hédi Béhi, Abdelhafidh Harguem et Taoufik Habaieb