Lotfi Zitoun : Le jeûne du Ramadan, entre religieux et politique
« Au moment où l’Islam, dévoyé par des personnes qui tuent des innocents en son nom, a mauvaise presse, les arrestations pour non-respect du jeûne montrent une Tunisie peu tolérante, aux lois arbitraires qui seraient au-dessus du Code pénal. » La position de Lotfi Zitoun, proche conseiller du chef d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, est nette, dans cette tribune adressée à Leaders. Après avoir recommandé ici-même en janvier dernier la dépénalisation ‘’purement et simplement la consommation de produits aujourd’hui illicites’’ il continue à surprendre plus d’un parmi en développant une réflexion plus appropriée au nouveaux contexte tunisien. Quitte à surprendre plus d’un parmi les « conservateurs traditionnalistes » de son propre parti Ennahdha.
Depuis le début de ce mois de ramadan, en Tunisie, quelques individus un peu zélés on fait une véritable chasse aux non-jeûneurs pendant qu’un pseudo-prédicateur écume les cafés, accompagné par un huissier notaire pour constater ce qu’il pense être un crime de lèse religion. Alors que ce mois béni aurait dû être synonyme de paix et de fête, notre pays voit ses citoyens aller garnir un peu plus les prisons pour la seule raison qu’ils ont osé boire, manger ou fumer dans l’espace public.
Loin de moi l’idée de juger s’il est bien ou mal de déjeuner en public au mois de ramadan. Je suis un homme politique et ma relation avec Dieu ne regarde que moi. Mais ce qui se déroule actuellement dans notre pays mérite une réaction de l’homme politique que je suis. J’ai participé, comme tant d’autres, à la vie politique de la Tunisie d’après-2011. Une transition politique qui a amené le pays à se doter d’une Constitution, garante des droits et des libertés pour chacun de nos citoyens. Cette Constitution a été adoptée le 26 janvier 2014 et promulguée le 10 février Nous sommes en 2017 et elle est aujourd’hui contournée, elle qui stipule dans son article 6 que l’Etat « garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes » et que « l’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance. »
"Inadmissible police religieuse"
La Tunisie est devenue, depuis six ans, un Etat démocratique. Certes, le chemin est encore long vers la perfection. Mais que quelques individus s’érigent aujourd’hui en « police religieuse » est tout simplement inadmissible. En agissant ainsi, ces gens se substituent à la parole politique mais également à la police religieuse. Non, ce n’est pas aux forces de l’ordre de faire la loi. Elles doivent simplement l’appliquer. Non, ce n’est pas à un prédicateur de décider ce qui est bien ou non pour le pays et de se substituer aux juges. Je suis aujourd’hui sidéré par l'omerta qui règne, face à cette violation manifeste des libertés individuelles, et ces arrestations arbitraires.
Certes, le chef du gouvernement Youssef Chahed a condamné cette chasse aux non-jeûneurs. Mais cela n’y a rien fait et la traque a continué. Il revient aux autorités politiques du pays d’imposer aux fonctionnaires et aux citoyens le respect de la loi. On ne peut, aujourd’hui, bafouer en toute impunité la Constitution de 2014. On ne peut également gommer ce qui fait la spécificité de la Tunisie : un pays multiple où se côtoient des citoyens de convictions religieuses différentes, qui ont la chance de pouvoir croire ou ne pas croire. Cette liberté religieuse est l’un des fondements de notre religion et de notre pays et imposer d’observer le ramadan à des personnes sous prétexte qu’elles sont tunisiennes n’a aucun sens et contredit les fondements de l'Islam.
Et quelle image de la Tunisie renvoyons-nous au reste du monde en arrêtant de jeune personnes qui ne désirent simplement pas jeûner?
l’Islam, dévoyé par des personnes qui tuent des innocents en son nom
Au moment où l’Islam, dévoyé par des personnes qui tuent des innocents en son nom, a mauvaise presse, les arrestations pour non-respect du jeûne montrent une Tunisie peu tolérante, aux lois arbitraires qui seraient au-dessus du Code pénal. Tout ceci est très loin de l’image que nous voulons donner du pays à des touristes qui boudent encore la destination Tunisie.
Il est temps de mettre un terme à ces arrestations insensées et de revenir à l’essentiel : le redressement économique de notre pays et la consolidation de sa sécurité et l'écoute des aspirations de sa jeunesse. Il est également temps d’appliquer la Constitution de 2014 en créant la Cour Constitutionnelle tant attendue. Enfin, il est temps d’imposer le respect de la loi de façon objective, en séparant le législatif et le religieux.
Aïd Mabrouk à tous nos concitoyens, jeûneurs et non-jeûneurs.
Lotfi Zitoun