La mort au combat d'un soldat: entre l'honneur et l'horreur
Les derniers événements militaires nous rappellent que la mort ne quittera pas le champ de bataille. La guerre tue, cela est une constante. En revanche, le regard que la Nation porte sur ses morts fluctue. Nos militaires continuent à tomber au service de la société. Celle-ci, au lieu de les glorifier, se rétracte, engluée dans les préoccupations quotidiennes. Quant au marasme politico- médiatique, la mort d'un soldat ne semble pas déranger outre mesure.
Autrefois sacralisée, la mort au combat se trouve banalisée et ne rend plus au soldat l'honneur et la reconnaissance qu'il mérite.
En fait, la crise que la société traverse est avant tout une crise des valeurs. L'égoïsme et le consumérisme incitent à penser que le bonheur réside dans l'accumulation matérielle et le confort de la sphère privée et restreinte. Le tunisien devient hermétique à toute morale collective. Aussi les notions de sacrifice et de don de soi sont-elles vidées de leur sens.
Aujourd'hui désacralisée, la mort au combat prend l'apparence d'un simple accident de travail dont il convient, plutôt, de déterminer les responsabilités. L'honneur d'avoir donné sa vie pour son pays se trouve quasiment masqué par la responsabilité de l'armée de n'avoir pas su garantir la vie de ses soldats. Et du coup, on retire du soldat son statut de héro pour lui attribuer celui de victime. Le soldat est ainsi dépossédé de son sacrifice. Il peut ressentir une certaine solitude sociale symbolisée par le manque de reconnaissance de son dévouement. Ce manque lancinant par la Nation pourrait avoir des conséquences désastreuses à moyen et long terme. Le soldat risquerait tout d'abord de perdre le sens de son engagement. Et du coup, les personnes les plus motivées se détourneraient de l'armée puisque le sens de leur action ne serait pas reconnu. L'intérêt personnel pourrait devenir la seule motivation car rien ne justifierait de risquer sa vie. La bravoure et le courage quitteraient peu à peu les rangs de l'armée nationale, et là c'est la pire des catastrophes qu'un pays pourrait subir.
Les effets à long terme de la timide reconnaissance, voire de l'indifférence du sacrifice des soldats sont de toute évidence préjudiciables au pays tout entier.
La manière dont nos morts sont honorés doit-être une priorité politique. L'honneur aux morts ne doit pas se résumer à des initiatives ponctuelles. Quelques minutes de silence observées par exemple dans les écoles seraient l'occasion de provoquer une réflexion ou un débat sur la citoyenneté. Quant aux enfants, ils sauraient que les héros existent vraiment.
L'honneur aux morts doit ensuite être relayé par un devoir de mémoire plus expansif. L'émotion générée doit être l'honneur de compter nos héros et non l'horreur de conter la guerre.
Communiquer pour sortir de l'autisme
L'armée est appelée à plus de communication, il ne faut pas laisser seuls les retraités à le faire. Il faut sortir définitivement de son autisme d'antan. Il faut établir une véritable politique de rayonnement au sens large, dans toutes les strates de la société et de la vie publique. Rayonner pour faire entendre sa voix, se faire connaître et faire appréhender ce que sont les sacrifices par nos hommes au combat. Cette politique de rayonnement pourrait, par exemple, s'intéresser au milieu universitaire par le biais de " modules spécifique Défense " proposés dans certains cursus universitaires. Ce rayonnement pourrait être conduit par un rapprochement entre le monde étudiant et le monde de la Défense. De même, au niveau ministériel, par un rapprochement entre l'armée et les autres ministères pour une meilleure compréhension mutuelle, et au milieu de la presse et des médias. Finalement, ce n'est que par une stratégie de rayonnement large et ambitieuse que l'armée nationale pourra progressivement influer sur les mentalités
En attendant cette prise de conscience, l'armée doit maintenir sa conviction que la mort au combat demeure l'acte de citoyenneté ultime. En dépit de l'angoisse sociale, l'armée doit exprimer sans pudeur son attachement à la Nation et rayonner plus que jamais afin de faire entendre sa voix et contribuer à la reconnaissance du soldat dans la cité.
Est-ce une démarche naïve que d'espérer pouvoir revenir à une communauté de valeurs dans laquelle l'intérêt public serait une priorité nationale? Une instruction civique plus marquée pourrait sans nul doute, contribuer à relever le sens moral de la société .S'inspirer du patriotisme du peuple algérien, du prestige de l'armée égyptienne et de la rigueur du soldat turc et de sa formation à l'amour de la patrie serait une démarche juste et pertinente.
Ainsi le chemin existe reste à trouver la volonté
La mort au combat ne pourra être reconnue à sa juste valeur que lorsque le politique fera de la citoyenneté une priorité et que la société connaîtra alors un regain de la morale collective. La mémoire jouera alors son rôle valorisant et nos soldats accèderont réellement à la reconnaissance et cesseront d'être vus en victimes.
Les héros existent encore, mais sous la forme de citoyens ordinaires qui ont fait le choix de défendre la Patrie.
Refusons que nos Soldats meurent en silence. Un soldat ne meurt jamais pour rien.
Mohamed Kasdallah,
Colonel à la retraite