Boujemaa Remili : La Tunisie serait-elle en attente de quelque chose qui lève et s’élève ?
Par Boujemaa Remili - La Tunisie donne parfois l’impression d’être en panne d’idées. A priori ce n’est pas notre marque de fabrique, mais il faut croire que tout peut arriver. Nous sommes un peu englués dans une transition très dure certes, mais en passe de devenir catastrophique si cela se double de paresse ou même de paralysie intellectuelles. L’un des blocages provient de la vision que nous avons de notre propre trajectoire nationale, du moins dans ses phases les plus récentes. Nous ne serions pas loin de l’idée de considérer que, finalement, la Révolution a fini par casser un système qui ne tournait pas trop mal pour, à la fin, ne même pas réussir à faire entrevoir, même seulement en perspective, un mieux, juste prometteur, faute d’effectivité réelle présente.
Il est vrai que, face à une perception de gabegie généralisée, nous sommes tentés par la nostalgie. Quitte à finir par oublier, un peu trop rapidement et trop facilement, que l’avant-2011 avait épuisé toutes ses réserves et que, quelle que soit la suite qu’il fallait lui trouver, son affaire était pliée. Définitivement. Parce que devenu caduc.
Il est vrai que gérer tous les aléas de la création d’un nouveau système tout en s’attelant à apporter les solutions à la faillite du système qui venait de s’effondrer, n’a jamais été, de tout temps et partout, une affaire aisée. Cà l’est d’autant moins qu’une sordide course de changement de clientèle se met en place, avec un ballet de soit-disant perdants se transformant en réalité en gagnants, tout en continuant à jouer aux perdants pour ne pas trop attirer la foudre, et de nouveaux gagnants occupés à façonner le nouveau système à leur convenance, tout en camouflant leur dispositif pour ne pas trop le découvrir avant de l’avoir définitivement installé.
Toutes ces questions de réglage de systèmes transitionnels à tri-dimensions politique, économique et sociale, ont fini par occuper et à la longue polluer et bloquer nos esprits, jusqu’au point d’oublier que nous sommes en présence d’une œuvre de réforme, dont le morceau choisi reste le contenu du projet. Or, si l’on n’arrive pas à mieux redéfinir le champ de la perspective et de l’action nationales nous allons nous noyer.
L’enjeu et le défi qui se posent le plus à nous consistent dans le fait que nous avons été victimes de l’archaïsme et que nous sommes guettés par sa perduration. Parce que finalement d’où vient notre mal immense, ancien et présent. Du fait que nous objectifs ne sont pas clairs, ainsi que les moyens qui vont avec. Nous avons toujours manqué de savoir précisément ce que nous voulons, et même pour certains esprits plus ou moins bien tournés, ce que nous sommes, et cela aussi bien avant qu’après la révolution.
En effet, des objectifs tel que se donner les moyens pour construire une nation forte, pouvant bénéficier des ouvertures et se protéger des mésaventures, assurer la cohésion nationale la plus solide possible pour pouvoir aller le plus loin possible, croire que les intelligences n’ont pour vocation que pour s’additionner et se multiplier et non pas pour se soustraire ni se diviser, établir que la seule richesse est morale, être prêts pour toute sorte de compétition sans exclure les valeurs de l’entraide et de la coopération, aussi bien dans l’entre-nous que vis-à-vis des autres, reconnaitre qu’aucune accumulation de richesse n’est viable si elle est mal acquise ou inéquitable, être confiants dans notre capacité inventive et innovante et qu’il s’agit là d’une qualité présente partout et parmi nous tous, admettre que nous sommes forts lorsque nous avons des solutions pas seulement pour une année mais pour cinq, dix ans et vingt ans, reconnaitre que l’Etat doit être aussi fort et efficace que nous le souhaitons pour nous, en tant que nation, et que le secteur privé doit être aussi fort et efficace que peut le vouloir pour lui-même chacun de ses propres acteurs, mais également tel que cela peut servir les objectifs communs.
Aurions-nous ainsi, sans que nous le sachions trop, un besoin collectif non exprimé, de planter quelques fondamentaux pouvant nous aider à faire tomber des pressions factices pour libérer des énergies bénéfiques ? On aimerait le croire. Prenons le cas de la corruption et de la lutte contre. Certains pourraient rétorquer que si le bistouri sensé couper dans la plaie est infecté cela risque non seulement de ne pas produire de guérison mais de tout métastaser. D’autres, tout en approuvant fortement et cela ne devrait qu’en être ainsi, se posent des questions, plus ou moins naïves, du genre est-ce que cela est exempt de tout esprit de règlement de compte ? Ou encore, un dispositif politique non suffisamment dégagé de la pourriture peut-il produire de l’anti-pourriture ? Certains vont même jusqu’à dire qu’il existe une corruption très soft et très urbaine, de milieux a priori très fréquentables mais avec une main trop lourde posée sur le système économique et financier avec toute la légalité et la respectabilité du monde, ceux-là, les non-voyous de la corruption, sont-ils atteignables ou resteront-ils toujours et définitivement hors de portée parce que trop protégés ?
La cause de la lutte anti-corruption est trop belle pour ne prendre aucun risque de l’abîmer. Mais en plus du courage de l’initiative et de la prise de décision, il s’agirait de la considérer comme pouvant contribuer à la refondation morale, politique, sociale et économique. Cela devrait dans ce cas procéder du domaine de la valeur. Ce serait comme une mission de progrès qu’il faudrait l’envisager. Du genre qui agit en profondeur, en largeur et en hauteur. Il s’agirait en somme de travailler sur l’idée que sans corruption nous serons meilleurs, mais pas seulement dans une démarche qui s’arrête au ‘sans quelque chose’ mais qui s’oriente vers ‘avec beaucoup d’autres choses’.
Ce n’était là qu’un exemple parmi tant d’autres. La question du sortir du buzzing dévastateur et des petitesses réductrices restant entièrement posée. Mais peut-on dans ce cas être vu ou entendu quand on se manifeste dans le non visible de l’infra-rouge ou quand s’exprime dans l’inaudible de l’infra-son. Ce n’est pas certain. Mais il est des ondes inaudibles capables de venir à bout des morceaux les plus récalcitrants.
Boujemaa Remili