Elyès Fakhfakh:Pour une décentralisation réussie
Il est évident que le contexte post-révolutionnaire de la Tunisie aujourd’hui n’est pas facile. Les défis auxquels nous faisons face sont sur tous les plans : politique, sécuritaire, économique et social.
La phase de transition démocratique est une phase capitale de notre histoire contemporaine. Elle est caractérisée par un débat généralisé sur l’ensemble des dimensions du système politique, économique et social. Mais aussi, par la multiplication des propositions en faveur de l’adoption de nouveaux modèles à même de répondre aux attentes des Tunisiens, étant donné que les anciens modèles de gouvernance et de développement adoptés jusque-là ont atteint leurs limites.
La réforme centrale, clé de voûte de ce nouveau modèle, demeure néanmoins la réforme de l’Etat, de l’administration publique et la refonte totale du système de gouvernance. En effet, le temps de la centralisation des pouvoirs publics qui a permis au lendemain de l’indépendance de bâtir les fondations de la Tunisie moderne est révolu. Cette centralisation a fini par être à l’origine de plusieurs dérives, et la bureaucratie qui en découle est devenue un frein au développement, à l’investissement et à l’initiative privée.
Le mode de croissance, inhérent à tout schéma de développement, devrait en principe permettre l’absorption du chômage, améliorer le revenu des ménages et réguler les disparités régionales. Une équité sociale entre les différentes régions et les diverses tranches de populations s’impose, aujourd’hui, comme finalité consensuelle de tout schéma de développement qui sera adopté par la Tunisie nouvelle.
Les politiques de décentralisation sont aujourd’hui largement débattues en Tunisie mais aussi à l’échelle mondiale, au sein des pays de l’Ocde comme dans les pays émergents et au sein des instances internationales, à la Banque mondiale et aux Nations unies. Au cours d’un processus de décentralisation, l’accent est mis sur ses aspects juridiques, les ressources financières disponibles pour les collectivités et les projets de développement locaux. Mais la réflexion actuelle ne doit pas négliger la répartition des prérogatives et des pouvoirs entre les acteurs de la décentralisation (État et collectivités locales) qui reste encore confuse en Tunisie.
C’est dans ce sens que le projet de loi sur les collectivités locales, actuellement en discussion, doit enlever toute ambiguïté et doit naturellement être adopté par l’ARP avant les prochaines élections municipales, sans quoi on rajoutera de l’inefficacité à l’inefficacité actuelle et surtout de l’exaspération à l’exaspération actuelle de nos concitoyens.
Les villes tunisiennes, dont la création ne remonte en partie qu’à la seconde moitié du 19e siècle, sont restées de simples services relevant du pouvoir central. Elles sont aussi bien dépourvues de l’autorité de prise de décision que des moyens humains et financiers nécessaires au développement local. Cette situation les a affaiblies et discréditées. Cette situation est anachronique car la population tunisienne dans sa majorité est une population urbaine et les villes souffrent de leurs conditions, de leur faiblesse et du manque de confiance des citoyens. Une réelle rupture entre la gouvernance locale des villes et les habitants s’est développée au fil des années. Le citoyen, faute d’être impliqué dans les projets locaux, n’a jamais porté de projets collectifs.
Quant à leurs capacités d’investissement, les villes se sont souvent trouvées enfermées dans un dilemme entre une autorité centrale qui exige l’exécution de programmes politiques arrêtés unilatéralement, et des contributions de l’Etat qui restent incertaines. Ces ressources très modestes ne permettent en aucun cas aux villes de prendre leur destin en main. Pour sortir de cette situation, il y a un consensus sur la nécessité de décentraliser les services de base. Cela veut dire responsabiliser davantage les villes sur ces services essentiels, mais aussi leur attribuer les ressources financières nécessaires en adaptant la fiscalité locale.
Pour parvenir à cet objectif de mise en œuvre de politiques nationales efficientes de réajustement démocratique et de renforcement de la décentralisation, à la mesure des enjeux socioéconomiques, culturels et urbains qu’elles représentent, il est nécessaire de mettre en place des textes juridiques adaptés, des mécanismes budgétaires adéquats et s’assurer de l’implication de la société civile.
En effet, le déclenchement du processus de décentralisation ne peut avoir lieu que par l’association des efforts de l’État, des autorités locales, du tissu associatif national et local et des citoyens. Cela exige une coordination entre les différentes parties prenantes en charge du service local, un partenariat entre les institutions publiques nationales et locales afin d’épauler les collectivités et contribuer à la réalisation de leur politique par l’élaboration de stratégies de financement garantissant la réalisation des opérations programmées et permettant aux villes et régions d’être relativement autonomes.
En dépit des difficultés que rencontre le pays, les perspectives à moyen terme demeurent positives pour la Tunisie mais, de grâce : de la clarté, de la clarté et de la clarté.
Elyès Fakhfakh
Ancien ministre des Finances