Chedli Klibi: Comment revivifier la civilisation de l’Islam?
L’anniversaire de l’indépendance de la Tunisie est une date qui devrait être parmi les plus importantes, aux yeux de notre peuple – et surtout pour nos jeunes. Et c’est un devoir, pour toutes les forces vives de la société civile, d’inculquer à leurs partisans le devoir d’évoquer, avec ferveur, cette date mémorable entre toutes. C’est également le devoir de nos maîtres d’école et de nos professeurs d’apprendre à leurs élèves et à leurs étudiants la signification de l’indépendance, par comparaison avec le passé du pays – et en pensant à certains peuples qui luttent encore pour se libérer.
Mais qu’est-ce que l’indépendance ? A-t-elle une signification claire et simple ? Ou a-t-elle plusieurs dimensions?
Notre grand leader, celui que nous appelons tous « le Combattant suprême», a, par la parole et les actes, expliqué ce que devrait signifier, pour un pays, d’être indépendant.
Parmi les dirigeants des pays libérés du joug colonial, seul Habib Bourguiba, en effet, a pensé l’essentiel des obligations imposées par l’accession à l’indépendance.
Pour lui, libérer le pays, c’était d’abord libérer l’Etat, en lui «rendant» sa souveraineté – s’il ne l’avait jamais exercée. Mais c’était aussi, et surtout, libérer le peuple, en mettant fin aux causes qui l’avaient réduit à la dépendance.
Liberté et souveraineté signifient, pour Habib Bourguiba, d’abord et essentiellement, dignité : au niveau politique, le pays doit être gouverné par lui-même - par ceux qu’il choisit, parmi ses citoyens ; au niveau social, le peuple doit être maître de son destin et œuvrer, toujours plus, pour son bien-être et son développement. Après le combat pour l’indépendance, c’est là une forme nouvelle de lutte à laquelle le peuple est appelé, une lutte qui ne peut connaître ni fin ni cesse, un projet de civilisation à nourrir constamment, tout au long de l’histoire, sans répit.
Avons-nous assumé ce projet ? Nous avons entamé le processus conduisant à sa réalisation. Mais, en butte à toutes sortes de blocages, nos efforts ont avancé avec peine.
Une vieillesse de Habib Bourguiba mal maîtrisée, une succession mal préparée, même en catimini, sans la caution du peuple, et ensuite mal conduite. Mais surtout des turbulences inédites, dues à des facteurs exogènes, aggravées par des causes endogènes.
Les turbulences, venues d’ailleurs, étaient, au départ, provoquées par le traitement inique des problèmes concernant Israël ; elles furent nourries plus tard par des guerres absurdes, qui ont suscité des formes de combat sans issue: le terrorisme. Les causes endogènes sont en relation avec une pléthore de mouvements politiques – qui se sont adonnés à des agitations pas toujours liées à des intérêts nationaux –, une confusion presque générale entre liberté et anarchie ; le tout exacerbé par les retombées politico-sociales de problèmes régionaux irrésolus.
Le climat du pays – et de son environnement – n’est donc plus celui où Habib Bourguiba pensait les problèmes de la jeune Tunisie, nouvellement libérée. Le mode de gouvernement doit, par conséquent, changer. Le pays ne peut être gouverné, dès lors, que par une série de consensus, social, économique, culturel et concernant les relations extérieures. Mais des consensus aussi larges que possible, rigoureusement conduits, périodiquement revus et ajustés.
Ces accords de principe doivent aboutir à des orientations fondées sur des données de base constantes : les intérêts du pays, la cohésion nationale, l’essor culturel, le développement socio-économique, les solidarités de voisinage, des coopérations, toujours à équilibrer, avec le monde extérieur. Pour que cette démarche s’implante dans la concorde sociale, elle doit s’appuyer sur des valeurs éthiques, ouvertes et en constante évolution. Seul l’Islam a élaboré une spiritualité adossée à de telles orientations morales et culturelles, impérieusement recommandées.
Mais les peuples qui ont embrassé l’Islam n’ont pas toujours respecté l’essentiel de ses messages. Etre fidèle à l’Islam, pour les peuples qui s’en prévalent, ce n’est pas seulement adhérer à ses dogmes et accomplir les cultes qu’il recommande. L’Islam repose sur une somme de valeurs et de principes qui font que cette religion a engendré une civilisation et une culture qui lui sont intimement liées.
Ces trois composantes, en effet, sont solidaires et ne peuvent être dissociées. C’est parce que nos sociétés ont, à une certaine époque de leur histoire, relégué les deux composantes qui enrichissent le noyau religieux qu’elles ont connu la décadence.
Et c’est pour cette raison que nous pensons que toute renaissance de nos «communautés islamiques» doit se fonder sur une résurrection concomitante des trois dimensions de l’Islam, soigneusement intégrées et judicieusement imbriquées. C’est alors que l’Islam pourra renaître de ses cendres, et ses peuples s’affirmer souverains, parce que jouissant d’une dignité totale.
Chedli Klibi
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