Blogs - 05.04.2017

Il faut sauver le soldat Chahed

On achève bien les gouvernements

L’état de grâce n’aura duré que le temps pour ses adversaires de recharger leurs accus.Sept mois à peine après son investiture, le cabinet Chahed est pris sous le feu croisé de ses contempteurs. Bien parti pour tenir jusqu’aux élections présidentielles et législatives de 2019 après avoir obtenu le soutien des 9 partis et organisations nationales signataires du « Document de  Carthage«, le gouvernement n’est plus sûr d’y arriver. On achève bien les gouvernements en Tunisie, puisqu'on en est au 7e ou 8e, soit autant qu’en 55 ans sous Bourguiba et Ben Ali. Les révolutions ont la particularité d’être des mangeuses d’hommes. Sans déroger à la règle, la nôtre s’est révélée être également grosse consommatrice de gouvernements.

Sans être des adeptes de la théorie du complot, force nous est de constater des coïncidences troublantes qui nous interpellent. D’abord feutrée, la fronde contre ce gouvernement est allée crescendo. Dans un bel ordonnancement, les campagnes antigouvernementales se succèdent comme s'il y avait un ordonnateur occulte qui donne le la, répartissant les thèmes, choisissant le timing. Après  les intoxications en série dans les écoles et les facultés, les grèves à répétition dans l'enseignement, les enregistrements fuitées de débats internes , les campagnes contre les avocats, les magistrats et  les médecins, c'est la machine à rumeurs qui s'emballe: on parle de bandes de mafieux qui s'apprêtent à lancer des attaques meurtrières dans tout le pays. Puis arrive le tour des menaces. C'est Abbou qui s'en charge  avec cet appel à la désobéissance civile, aussitôt relayé par son épouse, au cas où la loi sur la réconciliation nationale serait adoptée. D'ailleurs, dans ce climat de haine et de violence exacerbée, de rejet de l'autre, le terme réconciliation est pour le moins incongru.

Bien accueilli par l’opinion publique qui y voyait une occasion de renouveler le personnel politique, le saut générationnel que fut la nomination de Youssef Chahed, 41 ans, est maintenant perçu comme une usurpation de droits qui leur revenaient par ceux qui se bousculent au portillon du pouvoir. Animé au départ des meilleures intentions du monde, le gouvernement projetait de lancer des réformes de structures,  il en est réduit à éteindre les foyers d'incendie devant faire face à une véritable guérilla protéiforme, à la fois politique, parlementaire et médiatique de la part d'une opposition revancharde, sectaire et populiste, se parant des oripeaux de la justice sociale pour donner le change. Quant aux partis supposés être les soutiens du gouvernement,Youssef Chahed est fondé à reprendre à leur endroit le mot de Voltaire : «dieu, préservez-moi de mes amis, de mes ennemis, je m'en charge».

Mais le pire est à venir. Après un trêve de quelques semaines, le front social s'enflamme. L'Ugtt et ses sections régionales s'activent à l'échelle nationale et dans les régions, lançant des ultimatums au gouvernement, encadrant les manifestations dans les régions, à Tataouine, le Kef. C'est toute une stratégie de la tension qui est mise en place pour acculer le gouvernement à la faute et peut-être demain à la démission. Pour l'instant, celui-ci plie, mais ne rompt pas. Jusqu'à quand?
Entre un gouvernement soutenu par des partis, comme la corde soutient le pendu et une classe politique hostile dans sa grande majorité, apppuyée de surcroît par une Ugtt très marquée à gauche, dont la conception du syndicalisme tient davantage de l'anarchosyndicalisme de Bakounine que de celui de Ferhat Hached, c'est le pot de terre contre le pot de fer. Mais tous ceux qui s'acharnent aujourd'hui sur le gouvernement et rêvent de le renverser ont-il pensé un seul instant au jour d'après ?

Hédi Bèhi