Taoufik Habaïeb : Rome, Berlin, Washington...La diplomatie tunisienne est de retour
Caïd Essebsi à Rome, Chahed à Berlin, Trump appelle de Washington et l’initiative de sortie de crise pour la Libye prend forme. Ghannouchi à Alger et Marzouk chez Haftar à Benghazi. Février, le mois le plus court de l’année, s’avère le plus intense pour la diplomatie tunisienne. Officielle et parallèle, avec percées et risques de cafouillages.
Au cœur des entretiens officiels : les questions cruciales de l’émigration clandestine, du terrorisme, de la Libye et de la coopération économique et financière. Pour chacun de ces dossiers, la Tunisie exprime une position claire qu’elle plaide habilement auprès des différents interlocuteurs. Aucune confusion ni amalgame ne peuvent être faits à l’endroit des Tunisiens résidant à l’étranger, entre islam, radicalisation et terrorisme.
- Emigration clandestine, nous l’avons considérablement réduite et devons gérer dans la concertation les flux du retour. L’essentiel est cependant d’agir sur ses sources profondes en restaurant l’espoir et en créant des sources de revenu.
- Ce même remède économique et socioculturel vaut aussi, en plus de la prise en charge sécuritaire, pour éradiquer le terrorisme.
- La solution de la crise libyenne, fondamentale pour la sécurité de la Tunisie et de la région, doit être inclusive, dans le respect de la souveraineté de la décision et sans la moindre ingérence extérieure.
- Le développement économique et social de la Tunisie témoignera de l’engagement solidaire du camp démocratique dans le monde en sa faveur. Il sera le véritable index de performance de son ancrage démocratique.
Ces messages clairs seront alors portés en direct par le président de la République ainsi que le chef du gouvernement, et relayés par la diplomatie tunisienne.
Si la diplomatie est d’abord une vision, ce qui est l’affaire des politiques, elle ne réussit que grâce à un processus de plus en plus professionnalisé mis en œuvre par les diplomates. Raison d’Etat, secret d’Etat, intérêts supérieurs de la nation, équilibres géopolitiques, prévention des conflits, apaisement des tensions, défense d’intérêts économiques et scientifiques, et protection de ressortissants à l’étranger : ce sont là des questions si importantes et déterminantes. On ne saurait les confier à des novices ou laisser des réseaux parallèles y interférer, si bien intentionnés soient-ils.
La puissance du renseignement, la force de l’analyse et la pertinence de la mise en perspective sont l’affaire des professionnels qui éclairent la décision politique. Les contacts et concertations, tout comme la réception et la transmission des messages, ne peuvent se faire que par les canaux diplomatiques, parce que habilités et sécurisés.
Ce sont ces règles de base, édictées par Bourguiba pour déployer une diplomatie active et pondérée, qui ont le plus permis à la petite Tunisie de briller dans le concert des nations. A présent, la rupture avec la dictature et l’envol démocratique ont valu désormais à notre pays la grande admiration de la communauté internationale. Les précieux dividendes qui en sont tirés ont failli cependant être complètement dilapidés sous la Troïka, et encore plus par le terrorisme qui a trouvé un terreau fertile pour s’implanter.
Le redressement de l’image de la Tunisie et la défense de ses intérêts passent par une diplomatie structurée, puissante et opérante. Visibilité à l’international, lisibilité des positions et messages et redéploiement intelligent dans un monde qui se transforme profondément. Il n’y a pas que les dirigeants qui ont changé, l’esprit même des relations internationales aussi, comme les équilibres, les intérêts et les pratiques. La mise à jour de l’ensemble du dispositif diplomatique tunisien s’impose. Aujourd’hui, il n’est pas toujours aisé de nommer les personnes compétentes et chevronnées qu’il faut dans les ambassades et consulats qu’il faut. Le budget, lui aussi, est si modeste qu’il ne finance même pas le minimum. Les modes opératoires exigent perfectionnement.
Deux autres handicaps majeurs s’y ajoutent: le manque de suivi et l’absence de synergie. Les politiques décident, l’intendance ne suit pas. La lenteur habituelle de l’administration tunisienne est pénalisante. Tout comme le cloisonnement entre services et ministères, le chacun-pour-soi sans coordination avec les autres départements et organismes, autour d’un seul axe: le ministère des Affaires étrangères. Les changements successifs de gouvernements et les rotations rapides de hauts fonctionnaires et diplomates dans certains postes clés ne font que compliquer la tâche. Que dire alors lorsque s’y ajoute une diplomatie parallèle, incontrôlable et source d’incohérence.
La puissance d’un pays, plus que ses armes et son économie, c’est sa diplomatie. Unique, professionnelle, moderne et efficace. Donnons-lui les moyens de sa réussit.
Taoufik Habaieb