Mon 1er patron - 30.03.2010

Le Pr Ali Boujnah: le père fondateur de la biologie moderne en Tunisie

Ali Boujnah, l’un des bâtisseurs de la Faculté de Médecine de Tunis et le père fondateur  de la biologie moderne en Tunisie,  a été parmi ceux  qui ont  profondément marqué la médecine tunisienne. Ses compétences scientifiques, sa grande générosité, son esprit avant-gardiste, son regard philosophique sur la vie et les choses et sa vaste culture ne pouvaient laisser indifférents tous ceux qui l’ont côtoyé. Ce qui rend d'autant plus incompréhensible, "l'ostracisme" dont il a fait l’objet  dans le livre de Mohammed Bergaoui «Médecine et Médecins de Tunisie» (édition 2010). 

Ali Boujnah est né en 1924 à Mahdia. Après des études primaires dans sa ville natale et secondaires au collège Sadiki à Tunis,  il poursuivit aussi brillamment sa formation médicale à Alger puis à Paris. À la fin de ses études, il choisit  la spécialité Biologie et suivit le cours de l’Institut Pasteur de Paris.

Le cofondateur de la Faculté de Médecine de Tunis avec Amor Chadli

De retour en Tunisie, à l’époque où tout était à concevoir au lendemain de la proclamation de l’Indépendance, il prit en charge l’organisation de la Banque du Sang à l’hôpital Aziza Othmana. Il  a été aussi l’initiateur en Tunisie de l’utilisation  des radio-isotopes dans les explorations fonctionnelles et réalisa ainsi la première scintigraphie thyroïdienne.

En 1962, il fut chargé avec Amor Chadly  du projet de création d’une Faculté de Médecine  à Tunis, étant à l’époque les deux premiers agrégés en Médecine tunisiens, l’un en microbiologie, l’autre  en anatomie pathologique. Ils furent  ainsi, les deux fondateurs de la Faculté de Médecine de Tunis qui démarra  en Octobre 1964 avec Amor Chadly comme doyen

J’ai connu  Ali Boujnah sur les bancs de la faculté alors qu’il nous enseignait la microbiologie avec les grands noms de la microbiologie française (Léon Le Minor et  Pierre Névot en bactériologie, Pierre Tournier en virologie). Ce qui me frappait chez lui, c’était sa convivialité, sa jovialité, associées à une grande pédagogie. Il était  toujours à l’écoute de ses étudiants et aimé de tous.

En 1971, suite à la pandémie de choléra qui n’a pas épargné la Tunisie, le Ministère de la Santé Publique décida la création, à l’Hôpital Charles Nicolle de Tunis, du premier Laboratoire Central de Microbiologie (comprenant la bactériologie, la virologie et l’immunologie). Le Professeur Ali Boujnah, accepta d’en prendre la responsabilité et obtint les crédits nécessaires pour équiper une aile du rez-de-chaussée du nouveau service d’urologie, destinée à la microbiologie. Le laboratoire commença à fonctionner en 1972 avec comme cadres collaborateurs de  Ali Boujnah,  Mokhtar Ennaïfer, Néjia Ben Salah en bactériologie et Moncef Jeddi en virologie.  Après avoir effectué ma spécialité en Biologie à Paris, je  choisis de rejoindre son équipe en Septembre 1975, ayant trouvé en Ali Boujnah un homme chaleureux, dynamique, visionnaire qui pouvait m’assurer le meilleur des encadrements dans la carrière hospitalo-universitaire à laquelle je voulais me consacrer.

Un innovateur et un visionnaire

En effet, Ali Boujnah était un bâtisseur et un homme de projets. Ses actions étaient nombreuses aussi bien à l’Hôpital qu’à la Faculté.

A l’Hôpital, il oeuvra pour que son laboratoire soit une référence tant sur le plan national qu’international (standardisation des techniques, contrôles internes de qualité, contrôles externes organisés par l’OMS …). A la Faculté, il mit en place, en  octobre 1975, le premier Certificat d’Etudes  Spécialisées (CES) en microbiologie, destiné  à la formation de tous les biologistes tunisiens ce qui lui permettait  de développer la spécialité. Cet enseignement a duré jusqu’en 1985, date  à laquelle la Faculté de Pharmacie de Monastir prit la relève. Grâce a son charisme, il a su réunir autour de lui,  les meilleures compétences internationales non seulement pour l’enseignement  telles les professeurs Le Minor, Nevot, Roux, Philippon, Orfila (France), Bouguermouh (Alger), Lorian (USA), mais aussi pour le développement à l’hôpital de l’unité de virologie avec les professeurs Sohier (1975 à 1977) puis Tournier (1978 à 1979). Son service commença alors à rayonner  sur toute la Tunisie. Il est devenu le centre de référence national pour la virologie.

De cette double démarche (Faculté de Médecine pour l’enseignement- laboratoire du CHU Charles Nicolle pour la pratique) naquit une pépinière de talents qui essaimèrent par la suite dans différentes régions de la Tunisie.

Il dirigeait son laboratoire d’une main de maître mais dans une ambiance très conviviale. Il savait déléguer ses pouvoirs tout en gardant un regard bienveillant sur tout ce qui se faisait. Il était plein d’humour et d'une verve intarissable.

Toujours au courant des progrès et des nouvelles technologies, il avait su orienter ses élèves vers les nouvelles voies diagnostiques et l’utilisation des techniques de recherche de pointe faisant de son service un pôle d’excellence en microbiologie. Dès le début des années 1980, il développa la recherche par la mise en place de projets de coopération tel le projet sur l’étude de la modification de la flore digestive dans les lymphomes méditerranéens ou encore l’étude des mécanismes de résistance aux bétalactamines chez les entérobactéries. Les résultats de ses recherches ont fait l’objet de nombreuses publications dans des revues internationales.

Grâce à son esprit d’innovateur et de visionnaire, il était le premier  à prendre conscience de l’importance de l’informatique médicale et a informatisé son service dès 1983, avant même les laboratoires hospitaliers français. En 1988, il introduisit l’internet et nombreux étaient alors ses collègues et élèves qui venaient faire leurs recherches bibliographiques dans son bureau. Il était très serviable et ses amis, très nombreux. Il suscitait l’admiration et le respect de tous, agissant toujours discrètement et très efficacement.

Un homme de grande culture

Pour ces  multiples raisons, tenant tant à ses compétences scientifiques, qu’à son dynamisme, son ouverture d’esprit, sa modestie et sa grande sagesse, Ali Boujnah avait ainsi rayonné sur la médecine tunisienne et occupé sans aucun doute, une place  importante parmi ce groupe de pionniers qui construisirent la Tunisie d’aujourd’hui.

Si la médecine et particulièrement la microbiologie le passionnaient,  il vouait un intérêt particulier à la culture. C’est ainsi qu’à son départ à la retraite en 1989, Ali Boujnah renoua avec l’activité culturelle de l’Association des anciens élèves de Sadiki et créa, avec certains de ses amis comme Brahim Khouaja, Tahar Guiga, Hamadi Sahli «Nadi El Maarifa». Ce club du savoir organisait des conférences de haut niveau sur des sujets très variés aussi bien scientifiques, qu’historiques ou littéraires où étaient invitées les plus hautes compétences tunisiennes et qui drainaient une  assistance nombreuse. Ali Boujnah disparut en 2005, «Que Dieu ait son âme !», toutes les activités du club s’arrêtèrent. En effet, Ali Boujnah, en tant qu’organisateuret animateur était difficilement remplaçable.

Aujourd’hui, je garde de Si Ali, le souvenir impérissable d’un grand médecin doué d’une intelligence subtile et d’une vaste culture qui avait été pour moi l’exemple même de la loyauté, de la générosité, du dévouement et de la modestie.    

Saida Ben Rajab

 

 

                            Professeur Saïda BEN REDJEB
                            Laboratoire de Microbiologie
                            Faculté de Médecine-Tunis


 

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8 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed BERGAOUI - 31-03-2010 13:40

J'ai lu avec beaucoup d'attention et autant d'intérêt l'article que vous avez consacré au Pr. Ali Boujnah. Il ne fait point de doute, le Pr. Boujnah et bien d'autres de sa génaration méritent qu'on s'attarde davantage sur leurs itinéraires. Et s'il ne figure pas dans la liste des médecins dont j'ai rédigé le Portrait dans mon livre "Médecine et médecins de Tunisie" ce n'est nullement par "ostracisme", comme vous l'avez souligné dans votre article, mais par ce que tout simplement la liste que j'ai établie, du reste avec le concours de plus d'un médecin, n'est nullement exhaustive. Les 36 médecins sélectionnés sont de l'avis de bien de lecteurs assez représentatifs du corps médicale. J'ai bien dit "assez représentatifs". Faut-il ajouter d'autres et continuer ainsi par un autre tome qui présenterait d'autres médecins ? Beaucoup de vos collègues m'encouragent actuellement à aller dans ce sens. Faut-il poursuivre l'aventure et quels noms ajouter ? Sincèrement je suis d'avis de continuer sur la même lancée mais peut-on me garantir qu'il n'y aurait pas d'autres médecins ou parents de médecins qui ne me reprocheraient pas de pratiquer un nouvel "ostracisme" à l'endroit de leurs collègues. Plus clairement, y aurait-il une liste où personne n'aurait rien à redire ? Je vous pose la question professeur Ben REDJEB. Bien amicalement Mohamed BERGAOUI

Amina Boujnah Khouaja - 04-04-2010 12:39

'ai lu avec intérêt la réponse que vous avez donné à Mme le Professeur Saida Ben Rejeb. Dans votre livre "Médecine et médecins de Tunisie " vous avez voulu et je cite : "écrire sur les figures marquantes de la médecine tunisienne" et vous vous êtes demandé : "qui choisir parmi les pionniers et ils sont nombreux ? " La liste des médecins dont vous avez parlé ne pouvait certes, être exhaustive ; et vous écrivez à juste titre : "je me devais d'opérer une sélection " . Soit . Plus loin ,je relève une autre phrase où vous dites : " pour les fondateurs , les risques d'oublier quelques uns étaient réellement minimes " . Dans le chapitre de votre ouvrage consacré aux fondateurs , vous commencez par cette phrase : " nous entendons par fondateurs ceux qui avaient pris part d'une manière ou d'une autre à asseoir les bases de la faculté de médecine de Tunis , ainsi que celles des différents départements hospitaliers par spécialité " Après avoir feuilleté votre livre , j'ai relevé que dans le chapitre consacré aux fondateurs , un des pionniers manque de façon flagrante , oubli regrettable et consternant de la part des médecins qui vous ont conseillé dans l'élaboration de votre ouvrage . Ce médecin que vous avez omis de mentionner n'est autre que le Pr Ali Boujnah ,co-fondateur au même titre que le Pr Amor Chadly de la faculté de médecine de Tunis ,fondateur de la banque du sang et premier chef du service de microbiologie à l'hôpital Charles Nicolle ,où le laboratoire qu'il a crée était reconnu comme laboratoire de référence . Monsieur Bergaoui , que la liste que vous avez établi en collaboration avec certains médecins qui ont été de surcroit les élèves du Pr Boujnah ne soit pas exhaustive ,je le conçois aisément . Mais je trouve qu'il est tout à fait désolant et malencontreux qu'un médecin ,comme le Pr Ali Boujnah ,qui , selon vos critères de sélection a " pris part d'une manière ou d'une autre à asseoir les bases de la faculté de médecine de tunis " , qui de surcroit avait la charge du service de microbiologie à l'hôpital Charles Nicolle ,spécialité nouvelle en Tunisie ,et qui plus est , était particulièrement apprécié de son vivant , tant pour sa compétence que pour ses valeurs si profondément humaines, ait été tout simplement oublié et ne figure pas parmi les " fondateurs " de la médecine tunisienne d'après l'indépendance . L'éthique médicale nous dicte une certaine règle de conduite envers nos ainés et nos maitres à qui nous devons rendre hommage pour l'enseignement qu'ils nous ont transmis. Le Pr Ali Boujnah a été et restera un de ces pionniers qui ont marqué d'une manière indéniable l'histoire de la médecine tunisienne d'après l'indépendance et il est navrant et regrettable à plus d'un titre , que les médecins qui vous ont conseillé dans l'élaboration de votre ouvrage aient oublié une figure aussi importante mais à leurs yeux peut être " insuffisamment représentative " de l'histoire de la médecine de notre pays . Dr Amina boujnah khouaja

zaouali tahar - 12-04-2010 20:27

c' est avec étonnement gue j'aj lu les deux textes qui parlent de mon ami feu Ali Boujnah.Comment peut -on parler de la médecine tunisienne aprés l'indépendance sans évoquer la mémoire d'Ali boujnah.Je me souviens des discussions qu'il avait avec si Brahim Ghrib pour la création de la banque du sang.Pour moi Ali a été un véritable frére .Dés l'école primaire à Mahdia puis au collége Sadiki nous ne nous sommes janais quittés.Si quelqu'unl lui faisait du tort il cherchait toujours à lui trouver des explications et meme des excuses. J eme souviens que je lui reprochais souvent sa trop grande gentillesse et je lui disais: "lAli pour toi tout le monde il est gentil"

tahar zaouali - 13-04-2010 00:21

Mon commentaire de ce matin a été une réaction à chaud.Mais je tiens à dire à M.Bergaoui que sa tentative d'expliquer son omission ne m'a pas convaincu du iout.En effet omeiittre de citer le ier professeur eb médecine en Tunisie c'est domme si on omettait de citer Adam dans la création du monde;et je m'étonne que les docteurs Said Mestiri,Ridha Mabrouk ,Brahim gharbi et Brahim Ghriib et meme son cadet Amor Chedly.et je citerai meme ses amis décédés Hechmi Ayari, habib Jomaa,M'hahed Ben Salah,slaiem Ammar et Sleiem ben ayed ,Mahmoud Bennaceui ne se sont pas encore manifestés , à moins qu'ils n'aient pas encore lu votre livre.Je m'excuse pour ce ton dur mais je sais qu'Ali m' aurait reproché ce ton car ,comme je lai écrit ce matin lui vous aurait trouvé dexplications sinon des excuses. avec mes sentiments amicauxje vous prie d'zxcuser ces reproches .

Dr DJERIDI.M - 15-05-2010 15:41

Le jour de son décès,j'avoue que jai pleuré,oui j'ai pleuré mon professeur qui nous a toujours entouré de sa paternelle sollicitude(oui Amina tu avais déjà des frères et soeurs à la fin des années 60).Lors de la célébration du quarantième jour de son décès à la Faculté de Médecine, à laquelle j'ai participé plus en tant qu'élève reconnaissant que représentant du CNOM(le président du CNOM m'avait chargé de représenter le Conseil National à cette cérémonie )j'ai évité de prendre la parole à cause de mon émotion. SIDI ALI que Dieu le bénisse est au dessus de toute prose, tant son action pour la promotion de la Médecine en Tunisie est parlante et évidente.SIDI ALI ETAIT DE LA CATEGORIE DES BATISSEURS SILENCIEUX....

A.Tekaia - 09-09-2010 17:56

Un vibrant hommage de l'élève pour son maitre. Si ali est le premier microbiologiste tunisien tout court qui a su couver une poignée de collaborateurs qui ont été à l'origine du développement des laboratoires de microbiologie des autre CHU en tunisie.

Imed J - 03-11-2010 16:05

je n'ai pas connu le Pr Ali Boujnah Allah yarhmou, et d'après l’article et les témoignages , je pense qu'il n'aura pas été fâché pour l'omission dans le livre "Médecine et médecins de Tunisie" : quand on a un grand cœur on donne sans attendre une contre partie, repose en paix Si Ali ,vous avez cueilli l'amour et la reconnaissance de vos élèves, proches et amis. un grand homme qui a fait tant pour la médecine et la Tunisie mérite bien ça place dans un livre qui trace l’histoire de la médecine en Tunisie , je me demande comment ça a pu échappé aux médecins qui ont conseillé l’auteur du livre. Pour finir je dirai à Mr. Med BERGUAOUI qu’il faudra réparer cette omission pour l'histoire. Amicalement.

Emna Gouider - 08-11-2010 00:27

Le Pr ALI BOUJNAH était le 1er Directeur Général du Centre National de Transfusion Sanguine, de 1963 à 1966.

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