Opinions - 04.06.2016

Initiative BCE - Boujemaa Remili : Les questions qui ont fait terriblement défaut

Boujemaa Remili : Les questions qui ont fait terriblement défaut

Le Président de la République a présenté un diagnostic qui s’est voulu complet, consistant à affirmer que la Tunisie a des problèmes au niveau de ses sources classiques de financement que sont les phosphates, le tourisme et l’énergie, aggravés aussi bien par la fermeture de la frontière avec la Libye, le coût très élevé de traitement du terrorisme que la trop forte hausse des salaires des agents de l’Etat.

Mais il y aurait eu deux contraintes qui ont empêché  de faire face aux défis. La première serait liée aussi bien à l’insuffisante communication du Gouvernement à propos desdites difficultés, qu’à la non rigoureuse application de la loi. Quant à la deuxième elle concernerait une certaine incompréhension du côté de l’opposition de la nature de la phase démocratique que nous traversons, dont le caractère encore fragile exige la pratique non pas d’une opposition frontale mais de méthodes plus consensuelles, sans effacer les divergences ni les différences.

Et comme conséquence à ce diagnostic, la solution à tous ces maux à la fois, serait un ‘Gouvernement d’union nationale avec participation obligatoire de l’UGTT’.      

Or, que va-t-il se passer si un tel Gouvernement, toujours d’‘Union nationale avec participation obligatoire de l’UGTT’, ne peut pas lever aisément toutes les contraintes du secteur des phosphates parce que cela est lié au chômage endémique dans la région et la contestation sociale difficilement maitrisable que cela génère, ni re-booster facilement un tourisme à genoux pour cause de persistance endémique du terrorisme, ni régler de manière simpliste la question de l’énergie causée entre autre par un effondrement  mondial des cours en plus d’une contestation socio-régionale sur le même fond de chômage, de mal développement régional et de frustration, ni encore moins solutionner dans l’immédiat la question des échanges avec Libye, ni remettre en question les acquis salariaux de la fonction publique, ni échapper au coût de traitement prohibitif d’un terrorisme qui va perdurer ? Que va faire dans ce cas un Gouvernement même miraculeux ? En plus, s’agit-il d’une question d’équipe ou de programme ? Et pourquoi être passé directement à la question de l’accord concernant une équipe avant celle plus lourde et plus consistante du consensus à propos d’un programme ? Des questions qui ont fait terriblement défaut. Auxquelles on peut ajouter la suivante. Que se passera-t-il si l’initiative, qui non seulement n’a été formulée que dans ses contours très larges et ses intentions, mais qui en plus ‘a surpris tous ceux qui ont été rigoureusement consultés’, que se passera-t-il donc en cas de non aboutissement ? Quel impact aura-t-elle en termes de fragilisation de l’ensemble du dispositif actuellement en vigueur et que le Président a mis tout le soin et la clairvoyance nécessaires pour le mettre en place, avec ses défauts, mais qui a le mérite et le réalisme d’exister ?           

Et il y a le reste. Tout le reste. Car il demeure évident qu’un programme de reconfiguration nationale de l’ensemble de notre approche socioéconomique, permettant de nous y prendre autrement pour ce qui est de nos diverses contraintes nationales, est possible. Mais la préoccupation se situe-elle véritablement à ce niveau, ou bien ailleurs ? Il est légitime de nous poser la question. Car cela fait bien déjà des mois, depuis qu’il est apparu, aux uns et aux autres, que le parti ayant remporté toutes les dernières élections est désormais hors d’épure, que la question de la succession, celle de Nida Tounes évidemment, est largement engagée ; à partir donc du moment où beaucoup ont tiré la conclusion que réalité politique et réalité électorale sont devenues déconnectées, il y a eu une course effrénée de repositionnement vis-à-vis du futur, qui peut être légitime de la part de ceux qui souhaitent occuper l’espace libéré par Nida Tounes, mais est-ce à n’importe quel prix, y compris celui de la rupture des équilibres qui ont permis à la Tunisie de tenir sans avoir pris le soin préalablement d’en construire d’autres, ayant la consistance sociale et politique nécessaires, avec des partenaires fiables ? Rappelons-nous  que c’était à partir de ce moment-là qu’ont fusé de toutes parts les appels pour un ‘Front présidentiel’, dont le seul point commun serait un Exit-Nahdha. Or, l’aboutissement logique de tout cela, ne peut être que la chute du Gouvernement Habib Essid, le Chef du Gouvernement qui a bénéficié du consensus du quartet. Ainsi, a-t-on conclu que, s’il fallait bien une sortie à tout ce processus, autant l’utiliser comme entrée.

Le rééquilibrage des forces rendu nécessaire par la déconfiture politique de Nida Tounes mérite un débat. Mais cela ne peut pas être réglé dans la confusion, ni escamoté par le souci national légitime et patriotique concernant le taux de croissance du PIB ou la réduction de son taux de chômage. A moins que ce débat soit redouté, parce qu’il risque de mettre à nu trop de responsabilités. En tout cas ce serait bien dommage de ne pas clairement mettre à nu les différents enjeux et éviter de ‘piquer l’âne et se cacher derrière le bât’.       

Boujemaa Remili