Opinions - 26.03.2010

Et si on passait à la comptabilité verte !?

Karim AMOUSIl y a, actuellement, une prise de conscience de plus en plus aiguë des problèmes écologiques, provoquée notamment par quelques catastrophes comme le naufrage du pétrolier ERIKA, les déforestations massives et la destruction complète d’écosystèmes forestiers en Asie.

Aujourd’hui, on se préoccupe de la destruction de la couche d’ozone, du changement climatique, de l’effet de serre lié à la production de CO2 par les combustions, des pluies acides... Tout cela conduit à des contraintes de plus en plus pesantes sur l’entreprise, du fait des législations qui s’instaurent dans de nombreux pays. Des gouvernements instituent des taxes, adoptent des règlements et imposent des politiques d’équipement. Les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles à l’environnement et les milieux associatifs et scientifiques exercent des pressions.

La taxation verte

Dans les pays développés, les gouvernements essaient d’appliquer un principe simple: le pollueur doit supporter le coût de la pollution qu’il occasionne. En Tunisie, cela est connu sous le slogan «pollueur payeur». La Tunisie a fondé une politique globale dans le domaine de l’environnement et du développement durable qui considère le développement économique et social et la protection de l’environnement des facteurs complémentaires du processus de développement du pays. Cela s’est traduit par différentes mesures:

  1. La réglementation fixe des normes. Ces normes font l’objet, en cas de non-respect, de sanctions administratives ou judiciaires.
  2. Des taxes ou des redevances sont imposées sur les biens et services considérés comme polluants.
  3. La fiscalité incite aux mesures antipollution par des allégements fiscaux. Des amortissements accélérés ou des déductions fiscales s’appliquent aux industriels qui prennent certaines mesures antipollution. (Cf. article 33 de la loi de finances 2000 traitant des avantages accordés aux sociétés ayant pris des mesures de lutte contre la pollution et de préservation de l’environnement)
  4. Des mesures diverses au plan économique comme des subventions ou des prêts à taux d’intérêt réduit, jouent également un rôle incitatif.

La promulgation d’une multitude de textes légaux a mis en exergue cette stratégie. A titre indicatif et non exhaustif, on peut citer la LOI N°96- 41du 10 juin 1996 relative aux déchets et au contrôle de leur gestion et de leur élimination, l’Arrêté des ministres du transport et des communications et de la santé publique du 27 Aout 1984 relatif aux fumées produites par les véhicules automobiles, ainsi que de nombreux programmes spécifiques de protection de l'environnement qui ont été conçus comme " la Main bleue " (pour la protection du littoral), " la Main verte  " (pour la préservation de la nature et la promotion des espaces verts) et " la Main jaune " (pour lutter contre la désertification…).

Les lois de finances ne cessent d’être étoffées par des mesures touchant directement ou indirectement le volet de  la comptabilité verte. La plus récente, c’est la loi de finances de 2003 qui a instauré une taxe pour la protection de l'environnement qui sera due pour le compte du fonds de dépollution. Cette taxe étant égale à 2,5% du Chiffre d’Affaires Hors TVA ou de la valeur en douane de la marchandise.

On sent bien l’implication du gouvernement dans ce processus qui dispose d'une arme puissante contre la pollution de notre environnement : une taxe-environnement. Le monde des affaires, par la force de l'habitude, n'est pas favorable à cette idée. Cela pourrait, selon lui, modifier le jeu de la concurrence dans le sens d'une diminution de la croissance économique et entraîner des suppressions d'emplois.

Le gouvernement est sensible à ce genre d'argument . Tout comme les industriels, il hésite à faire le premier pas et d'avantager ainsi la concurrence étrangère. Résultat: les choses piétinent.

L'instauration d'une taxe-environnement devrait donc s'accompagner d'une réduction proportionnelle de l'impôt sur les sociétés. Quoi de plus logique ? Nous devons soutenir tout ce qui est utile et désirable et imposer une charge fiscale sur ce qui ne l'est pas. Notre système fiscal actuel est en pleine évolution pour mettre à jour un héritage du siècle dernier et pour intégrer une vision avant-gardiste  permettant de promouvoir la Tunisie au rang des pays développés.

La comptabilité verte

Le domaine de la comptabilité verte est en pleine expansion. Les incidences écologiques de l’activité économique placent les entreprises au cœur du débat sur le développement durable. L’état de l’opinion publique, l’activisme des groupes de pression et le développement des dispositifs juridiques les amènent inéluctablement à prendre en compte les questions d’écologie dans leur fonctionnement quotidien et dans la formulation de leur stratégie. Ceci se traduit par un besoin d’outils. Un certain nombre de pratiques témoignent de cette tendance, à savoir l’apparition de nouveaux supports comme le rapport environnement, la pratique de la notation sociale et  environnementale par les agences spécialisées, l’utilisation d’outils d’évaluation écologique des produits et des procédés comme l’écobilan.

Dans le cadre de la promotion de la transparence de l’information financière, certaines données supplémentaires, dans les notes aux états financiers ou dans le rapport de gestion ou le rapport social,  deviennent requises pour les sociétés. Entre autres on cite les informations environnementales  comme les démarches d'évaluation ou de certification  entreprises en matière d'environnement , les mesures  prises, le cas échéant, pour assurer la conformité de l'activité  de la société aux dispositions législatives et réglementaires applicables en cette matière , le montant des provisions et garanties pour risques en matière d'environnement,  sauf si cette information est de nature à causer un préjudice sérieux à la société dans un litige en cours , le montant des indemnités versées  au cours de l'exercice en exécution d'une décision judiciaire  en matière d'environnement et les actions menées en réparation de dommages causés à celui-ci …

Sans oublier que la comptabilité verte améliore l’image de  marque de la société. En effet, de plus en plus d’entreprises considèrent que se montrer « citoyennes » améliore leur image et, de ce fait, les rend plus compétitives vis-à-vis des autres. L’entreprise citoyenne est celle qui est concernée non seulement par son propre développement, mais aussi par celui de la communauté dans laquelle elle est insérée. Elle ne pollue pas et participe à la protection de la nature.

Les experts comptables face à la question de la comptabilité verte

Pour avoir une idée du sentiment des professionnels de la comptabilité à propos de la  comptabilité verte, il suffit de discuter de ce sujet avec des gens travaillant dans des cabinets d’expertise comptable différents et/ou dans des centres de gestion agréés. La diversité des  missions que ces professionnels assurent les amène à intervenir dans  un grand nombre  d’entreprises, les oblige à actualiser régulièrement leurs connaissances et les confronte à des  situations souvent originales.

Il ressort de ces entretiens que les professionnels interrogés n’ont qu'une vague idée de  ce que peut être la comptabilité verte ou environnementale. Même ceux qui assurent des missions dans des entreprises confrontées  à la question environnementale (entreprise certifiée ISO 14001, entreprises spécialisées dans  l’élevage bovin, cabinet de taille internationale) se cantonnent à des remarques d’ordre  pratique : plus de contraintes, plus de déclarations administratives, plus de taxes et de coûts…

Dans leur grande majorité, ces professionnels ne s’intéressent pas à la comptabilité environnementale parce qu’ils n’en ont pas besoin pour mener à bien leurs missions. Ce désintérêt apparent est néanmoins  surprenant dans la mesure où les entretiens ont été réalisés alors que venait d’être promulgués plusieurs textes légaux traitant cette problématique en Tunisie. De plus, l’influence de la question environnementale sur les pratiques comptables a  donné lieu depuis de nombreuses années à la publication de documents de réflexion et de  prospection de la part d’organismes de normalisation comptable internationaux. Malgré cette actualité brûlante et mise à part une réflexion évoquant la  probabilité d’une explosion à terme dans le monde de la comptabilité, les experts comptables  interrogés pensent que la question environnementale ne va pas révolutionner leur univers et le  travail en cabinet d’expertise comptable. Il faut cependant modérer la portée de ce constat car  la comptabilité verte n’est qu’à la première étape de son processus de diffusion dans les entreprises tunisiennes.

L’adoption de la comptabilité verte

Je ne vais pas donner ici une recette toute faite pour intégrer la comptabilité verte dans les processus comptables des sociétés tunisiennes mais celles-ci devraient songer à créer une procédure budgétaire pour prévoir, évaluer et contrôler, d’une part, les coûts environnementaux de fonctionnement (consommations d’énergie et de matières, production de déchets et traitement, maintenance et réparations diverses) et, d’autre part, le montant des investissements projetés pour améliorer la performance environnementale du site.

Des responsables environnement devraient réaliser aussi une évaluation régulière (mensuelle, semestrielle et/ou annuelle en fonction des cas) de la performance environnementale de la firme. Cette évaluation sera réalisée à partir de quelques indicateurs financiers mais surtout d’indicateurs physiques, et donnera lieu à la production d’un tableau de bord environnemental à usage interne. Ces informations remonteraient au niveau du groupe quand une politique environnementale globale existe. Le responsable environnement aurait aussi la charge de la rédaction et de la diffusion d’un rapport environnement annuel pour l’entreprise. Enfin, lorsque les entreprises veulent concevoir des produits écologiques, c’est le service recherche et développement qui prendra en charge l’évaluation de leur impact sur l’environnement et la réalisation pratique d’écobilans simplifiés.

Après réflexion, la réalisation des budgets et leur suivi, ainsi que l’incorporation d’informations environnementales dans les rapports annuels certifiés par les commissaires aux comptes, sont clairement des activités communes à la comptabilité et à l’environnement.

Conclusion

Trois arguments permettent de dire que la comptabilité environnementale constitue une innovation managériale : elle regroupe un ensemble de techniques nouvelles; elle a une influence directe sur les pratiques en management et elle augmente le stock de connaissances mis à la disposition des acteurs. Ce constat devrait être pris en considération pour faire évoluer les cursus de formation aux professions comptables, pour adapter l’information des professionnels de la comptabilité et pour cibler les efforts de normalisation déjà engagés.

Une question se pose ici: «avons-nous dans nos entreprises, une politique clairement définie concernant l’environnement écologique ? Si oui, est-elle communiquée dans l’entreprise et à l’extérieur de celle-ci de façon intelligible ?»
Le débat est loin d’être clos…

Bibliographie :

  • Les techniques de comptabilité environnementale, entre innovations comptables et innovations managériales (Jean-Philippe Lafontaine)
  • GUIDE DES FACTEURS D’EMISSIONS
  • Du PIB au PIB vert et à l’empreinte écologique
  • Environmental-Economic Accounting (UN statistic division)
  • OPERATIONAL GUIDELINES  UNITED NATIONS COMMITTEE OF EXPERTS ON ENVIRONMENTAL-ECONOMIC ACCOUNTING
  • New System of Integrated Environment and Economic Accounting (Trial Calculation on Hybrid Accounting System integrating Environmental Pressures and Economic Activities).