News - 10.03.2016

Latifa Lakhdhar : Sauvons notre démocratie du terrorisme mais aussi de nos propres manquements

Latifa Lakdhar

Daech qui menaçait, depuis bien longtemps maintenant, d’envahir la ville de Ben Guerdane pour y installer un « Emirat islamique », vient de tenter sa chance et d’essayer de rendre sa menace réelle. Il a lamentablement  échoué et échouera aussi longtemps que durera sa tentation, somme toute naïve, car l’Etat tunisien et quelques soient les tentatives de déstabilisation, de noyautage, d’ébranlement et de décomposition qui le ciblent, reste le socle fort du pays, pour être encore et toujours l’Etat bourguibien bâti solidement par la rigueur moderniste en plus d’être fondé par un récit nationaliste inébranlable.

Rien ne sert d’y ajouter en explication je pense, chacune et chacun de nous le sent, le ressent, le comprend et en est convaincu(e), Khaoula, l’étudiante de la faculté des lettres  de la Mannouba, dans un élan naturellement patriotique l’avait clamé au monde et rappelé comme une évidence : L’Etat moderne, la patrie une et unique, le drapeau national, forment ensemble l’intouchable, le sacré immanent, l’essence de notre personnalité commune, l’âme de notre être-ensemble. Le reste, c’est-à-dire cette religion instrumentalisée et utilisée en carburant identitaire populiste par des mouvements politiques dont quelques-uns en arrivent à un extrémisme criminel, mortel, se consumera lentement mais sûrement, pour rendre la voie au rebondissement d’un islam humaniste, pacifiste, serein, réconcilié avec les lois du progrès comme celui porté aussi bien par l’Etat national de l’indépendance que par nos parents et grands-parents avant que ne surgisse le phénomène « ikhwani » dont l’existence même, au plan de l’histoire, a dispensé une légitimité aux diverses expressions de l’islam politique dont ce dangereux et belliqueux Daech.

Les composantes de notre tissu politique, associatif et syndical ont l’air de prendre la mesure de la nécessité et de l’intérêt d’un front commun ou d’une ceinture de sécurité politique pour préserver notre patrie et notre modèle démocratique de la menace terroriste. Mais plus concrètement et au-delà des déclarations, communiqués et discours, que signifierait et que requerrait la priorité à préserver notre patrie de l’échec démocratique et du démantèlement de l’Etat, projets tant espérés par nos ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ?
 
Cette priorité demande, à mon sens, d’assimiler conséquemment, qu’un contexte de transition démocratique caractérisé inévitablement par sa fragilité, exige une attitude de grande délicatesse politique, de solidarité de la part de tous, de ne pas y aller systématiquement au marteau, car aucune force, aucune organisation ni aucune institution ne peut prétendre détenir seule les clefs d’une situation aussi complexe, situation à la fois d’ébranlement et de reconstitution, de dérèglement et de réorganisation, d’effacement de la perspective révolutionnaire et de son rebondissement, d’espoir et d’incertitude, une situation dure, improbable, conflictuelle, angoissante et qui de plus est, se trouve, enveloppée par une logique géopolitique occidentale non rassurante, versée dans des calculs «tacticiens», trop économiquement intéressés, de plus en plus éloignée des fondamentaux  modernistes et universalistes qui avaient pourtant porté ce même Occident à la gloire historique. 
 
Un contexte qui demande, certes une vigilance politique de la part de tous mais qui requiert encore plus et surtout de rompre avec cette attitude de suspicion pathologique qui cible systématiquement tout effort entrepris par l’appareil exécutif et les institutions de l’Etat dont le plus caricatural des exemples était celui exprimé  au sein de l’ARP, le jour des évènements à Ben Guerdane, par un de ses représentants sur une prétendue défaillance de notre institution militaire alors même que nos forces armées étaient en train de réaliser une véritable épopée nationale. Rompre avec cette culture politique anachronique, héritage de l’époque autoritaire, qui ne cesse de chercher à décrédibiliser l’Etat et ses appareils, qui se trompe de sens  démocratique et qui réduit la liberté d’expression, chèrement acquise, en critique infantile, en surenchères irresponsables, en attitude politique systématiquement négative ne reconnaissant que la voie de la contestation, de la protestation, de la revendication corporatiste, de l’abus du langage, de l’impatience faussement révolutionnaire, ce qui évidemment n’aide ni à montrer le cap ni à dessiner un horizon intéressant pour notre pays.
 
Cette priorité devrait signifier pour l’opposition démocratique le renouvellement de ses paramètres d’analyse et d’appréciation, de leur mise à jour pour enrichir la démocratie en tant qu’acquis en droits politiques  et citoyens mais aussi en tant que parts des responsabilités, en tant que devoir de travail, de proposition, de construction solidaire, car chercher à tout bout de champ et parfois même arbitrairement à forcer la critique en raison de ce positionnement obsessionnel en tant que candidat alternatif au pouvoir, aussi légitime soit-il, risque de semer le désespoir, de mener à un désenchantement démocratique général et de générer auprès des masses un sentiment de désappropriation politique qui serait aussi fatal pour notre avenir démocratique que le sont les manœuvres des terroristes. 
 
Aussi, pour «cet être collectif qui ne redoute pour lui-même ni condamnation ni censure», à savoir chez nous les membres de l’ARP, une des priorités consisterait à se défaire de l’image de député en délire qui n’a à opposer à l’appareil exécutif qu’une  parole nerveuse, excessive, vindicative, agressive, imbue de cet autoritarisme ancestral détestable qui atteint comme une maladie celui qui se sent détenir un pouvoir et qui sans le savoir peut-être, est en train de nourrir un anti-parlementarisme populaire et un scepticisme quant à la notion de volonté générale, ce qui dessert encore notre démocratie en construction ou plus grave encore pourrait appeler la tentation autoritaire.
 
Enfin concédons le, notre démocratie souffre quoi qu’on dise d’un malaise fondamental par rapport à une coalition gouvernementale - qui fruit d’un rapport de forces politiques et d’un fait accompli électoral, il est vrai - ne génère pas moins auprès d’une large opinion publique, une lourde crise de confiance. Ennahdha, avec son idéologie «frériste », avec ses erreurs politiques graves lors de son passage au pouvoir et ses réticences à aller dignement et courageusement vers l’épreuve de l’autocritique, de la rupture idéologique, vers l’annonce des révisions théoriques, vers son indépendance politique, assume la première responsabilité dans ce climat de suspicion qui envenime la vie démocratique et empêche beaucoup de croire à la voie consensuelle. Aucune crédibilité ne sera accordée à son discours sur son intégration au système politique démocratique, ni sur celui de son adhésion à la personnalité  tunisienne, à la cause tunisienne tant qu’il n’est pas dit explicitement qu’elle a coupé le cordon ombilical qui l’attache à la matrice d’un islam politique a-national, remontant quant à ses fondements  à une très lointaine époque. 
 
Nous avons réussi ce que aucun des pays arabes n’a réussi à réaliser à savoir franchir le cap de la démocratie, malheureusement la laideur terroriste essaie de porter atteinte à la beauté de notre modèle, mais nombre de tares existant en nous ne l’amochent pas moins et ne participent pas moins à gâcher notre bonheur public. L’heure nous demande d’être plus solidaires du présent et du destin de notre pays ce qui demande de changer en nous bien des attitudes. 
 
Latifa Lakhdhar