Opinions - 16.01.2016
Jamil Chaker: Message télégraphique au Président de la République
Monsieur le Président,
Je suis persuadé que vous assistez avec une émotion contenue à l’effondrement du parti dont vous avez été le fondateur.
Je ne suis pas membre de votre parti, et pourtant, j’ai voté pour vous dans les présidentielles. Des centaines de milliers de Tunisiens ont dû faire la même chose que moi. Car, pour collecter les 1.300.000 voix, il fallait avoir votre charisme et votre aptitude à générer de l’espoir chez les Tunisiens, toutes tendances confondues. Les femmes, bien entendu, vous ont fait confiance. Les jeunes, également. Les moins jeunes étaient bien placés pour apprécier votre expérience et votre sagesse.
Bref, cette masse électorale, qui vous a conduit au Palais de Carthage, est loin de se réduire aux militants de Nida.
Comme tous ces Tunisiens, j’observe la chute de l’édifice que vous avez construit avec les élites. Vous avez eu, sans doute, grâce à vos conseillers, un écho de ce qui se dit dans les réseaux sociaux, les journaux, les réunions publiques, les milieux professionnels, les associations, de vous et de votre fils. Sans compter les démissions de cadres et de militants de Nida. C’est la déroute totale.
Vous pourriez, certes, raisonner en termes de loyauté et de félonie. Mais, la plupart de ceux qui s’obstinent à vous faire preuve d’allégeance, sont mus par un opportunisme sauvage que vous méprisez sans doute au fond de vous -même. Car, vu l’ampleur de votre expérience politique, vous devez avoir l’intime conviction que cette approche n’est pas la bonne. On ne peut pas ne pas reconnaître que Nida passe par une crise structurelle, éthique, dont il ne se relèvera que diminué, ridiculisé, décrédibilisé.
Monsieur le Président,
La Tunisie est, aujourd’hui, plus que jamais vulnérable. Il vous appartient de colmater, sans tarder, ces brèches douloureuses qui s’ouvrent et de panser rapidement ces plaies. Votre force sera tributaire de votre aptitude à rassembler, à fédérer. Votre talon d’Achille prendra le chemin inverse : désunir, créer des animosités, aggraver les scissions, radicaliser les conflits, générer des antithèses insolubles.
Je sais que vous êtes animé, comme Bourguiba, de pragmatisme politique. Il n’y a d’impasse en politique que s’il y a obstination aveugle et volonté d’imposer, d’une manière ou d’une autre, la démarche monologique. Si tel est le cas, vous pourriez être sûr que cette voie a été bel et bien brisée par le vent qui souffle sur la Tunisie depuis le 14 janvier. Evitez le pourrissement de la situation et rappelez-vous que le soulèvement du pain a été sévèrement réprimé et a causé beaucoup de dégâts parce que Bourguiba n’a pas renoncé à sa décision au moment opportun.
Jamil Chaker