Loi de finances 2016: Pourquoi la tombola fiscale a été écartée?
Dans le cadre de la politique de renforcement de la transparence et de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, l’article 39 du projet de la loi de finances 2016 compte obliger les établissements assurant des services de consommation sur place (Restaurants, cafés, salon de thé…etc.) à utiliser un matériel spécifique pour la gestion de leurs facturations. Ce matériel qui consiste en une carte électronique intelligente à greffer sur le matériel exploité par lesdits établissements de manière à ce que l’administration fiscale puisse avoir accès avec précision à toutes les opérations de facturation, ce qui permettra de contrôler les minorations du chiffre d’affaires et des recettes en découlant.
Dans un système fiscal s’appuyant sur le principe de la déclaration spontanée des revenus, impôts et taxes, il est extrêmement difficile de reconstituer certaines catégories de revenus notamment si ces revenus ne transitent pas par le système bancaire ou ne sont pas employés dans la constitution du train de vie du contribuable. Comment peut-on s’assurer par exemple que les recettes déclarées par un salon de thé sont exhaustives si les espèces encaissées des clients ne sont ni versées dans un compte bancaire, ni employées pour faire face à des dépenses personnelles du contribuable ayant une trace comptable ?
La difficulté de démontrer la minoration d’un chiffre d’affaires et par conséquent la soustraction du paiement des impôts et taxes en découlant est un travail qui nécessite un grand effort par l’administration fiscale et ses agents de contrôle qui doivent disposer, pour ce faire, d’un appui législatif leur permettant d’avoir un droit de regard et un droit de communication très étendus. Ce renforcement des moyens de l’administration fiscale est en train de se faire progressivement depuis quelques années à travers la levée du secret bancaire, le droit d’accès aux programmes informatiques...etc et le projet de la loi de finances 2016 dans plusieurs de ses dispositions continue sur cette lancée en appuyant davantage le pouvoir attribué à l’administration fiscale pour contrôler plusieurs catégories de contribuables fiscalement indisciplinés.
Dans cette guerre déclarée mais froide, toute brèche législative ne fera qu’anéantir ces efforts de mise en place d’un système fiscal juste et équitable permettant d’alléger la pression fiscale sur les entreprises transparentes et les salariés.
Sans entrer dans les scénarii et montages qui pourraient inspirer les fraudeurs, le contrôle à travers les caisses enregistreuses ou encore les mouchards fiscaux tel que présenté par l’article 39 de loi de finances 2016 est un projet mort-né puisqu’il souffre de lacunes conceptuelles permettant facilement de minorer les recettes et par conséquent les impôts et taxes en résultant.
Le maillon le plus important de la réussite de ce projet a été malheureusement ignoré par inadvertance peut-être mais surtout par le manque de concertation technique avec les professionnels sur le terrain!
L’idée d’équiper certains commerces et certaines activités de caisses homologuées et « programmes Tracker » a été expérimentée dans plusieurs économies qui souffrent des mêmes problèmes que les nôtres. Toutefois, ces pays qui ont expérimenté ces solutions n’ont pas perdu de vue le rôle important du consommateur final qui doit obliger le prestataire ou le commerçant à lui remettre une facture en bonne et due forme sur laquelle l’administration fiscale va s’appuyer dans ses recoupements. Quelle est l’utilité d’un programme au sein d’une caisse enregistreuse si la recette, notamment en espèce, n’y sera pas enregistrée ? Comment peut-on pousser les commerçants et les prestataires de services à saisir l’opération de vente sur cette caisse ou sur leurs livres comptables ?
La réponse à cette question n’est pas aussi simple et évidente mais une solution pourrait être envisagée à travers l’intéressement du consommateur à demander lors de ses achats une facture confirmant la transcription fiscale et comptable de son acte d’achat ou de consommation de biens et services. Comment y parvenir?
La tombola fiscale est l’une des solutions qui peut pousser voir obliger le vendeur ou le prestataire de services à transcrire l’opération sur sa caisse et figer par conséquent l’opération de vente que l’administration fiscale va retrouver ultérieurement lors de son contrôle. Mais en quoi consiste cette tombola fiscale?
Il s’agit tout simplement d’un tirage au sort d’une ou de plusieurs factures de vente que le ministère de finances opère soit via le système électronique de facturation soit parmi les factures envoyées par le consommateur (client personne physique) directement à l’administration fiscale et qui fera gagner celui dont la facture a été tirée, des cadeaux de valeur (Voitures, maisons, voyages, abattement fiscaux…etc). Cet intéressement du consommateur, par ce genre de cadeaux, va le pousser à exiger lors de ses achats de biens et services une facture en bonne et due forme puisque cette facture va lui permettre d’avoir des chances de gagner des cadeaux ! Ainsi au lieu de payer un thé ou un gâteau dans un salon de thé sans en être sûr que cette recette sera déclarée à l’administration fiscale, on demandera une facture (qui est déjà un droit acquis) et cette facture va permettre d’accéder à un tirage au sort et donnerades chances de gagner un cadeau!
Cette idée de tombola n'est pas une invention tunisienne puisque plusieurs pays à l’instar du Portugal, la Slovaquie, la Chine, le Brésil, le chili, le Paraguay, le Costa Rica… l’ont déjà expérimentée et elle a cartonné avec des recettes fiscales inespérées.
La tombola ou encore la loterie fiscale est un mécanisme qui pourrait non seulement être appliqué pour les établissements de consommation sur place mais pour toute activité où il est difficile de reconstituer le chiffre d’affaires en découlant (Salons de coiffure et d’esthétique, professions libérales, location meuble et immeuble,…etc) pourvue qu’il y ait une vraie volonté pour le faire!
Qui sera l’heureux gagnant ce soir lors du tirage télévisé avant le journal de 20 h?
Mohamed Derbel
Expert Comptable
Partner- BDO Tunisie
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