Consulter Lazard c’est bien, Consulter la société civile c’est mieux
Pour l’élaboration de la synthèse de la note d’orientation du Plan Stratégique de Développement 2016-2020 (le PSD restant à définir), le gouvernement a certainement fait preuve d’une approche consultative/participative au sein de l’administration (participation inter-ministères et intra-gouvernementale) et cela a fort probablement été très laborieux (6 mois pour un condensé de 20 slides).
La société civile n’ayant visiblement pas été associée ni consultée dans le cadre de l’élaboration de la synthèse de la note d’orientation du plan stratégique de développement 2016-2020 a néanmoins accueilli favorablement cette avancée visant à doter le pays d’une vision et d’un plan, même si sur le fond comme dans la forme, le produit comme le processus sont perfectibles.
Il va de soi que depuis quelques mois, la société civile espérait être entendue et demandait plus de participation dans la suite des évènements, et ce conformément aux aspirations de notre nouvelle démocratie et dans l’esprit de notre nouvelle constitution.
Dans ces conditions, est-il étonnant qu’une consultation restreinte de banques d’affaires en utilisant le pouvoir exceptionnel du chef de gouvernement pour contourner la règlementation des marchés publicsdéclenche une polémique au sein de la classe politique et jusque dans la société civile ? Certainement pas, il s’agit davantage d’un déficit de communication dans la précipitation que d’une provocation volontaire.
Même si sur le fond cette consultation est relativement pertinente, elle l’est beaucoup moins dans sa forme et dans son timing, générant une perception de « charrue avant les bœufs ». En effet:
- d’une part, que ce soit pour des investissements nationaux ou étrangers, publics ou privés, nous ne sommes pas encore câblés pour tirer le meilleur de tels investissements, vu que nos réformes ne sont pas engagées et que nos classements mondiaux sont peu avantageux (74è mondial / Doing Business, 84è mondial / Education, 92è mondial / Attractivité des investisseurs, 125è mondial / Dialogue Social),
- d’autre part, consulter une ou des banques d’affaires pour attirer des investisseurs et les rémunérer au résultat (% des investissements obtenus) aurait fort probablement été plus approprié, plus à la portée de nos finances publiques et plus vendable à l’opinion publique que de payer 1 million de USD à Lazard sans garantie de résultat ! D’ailleurs, il serait encore temps de l’envisager vu que le contrat final n’a pas encore été signé. Si Lazard est confiant dans l’efficacité de sa proposition, cette formule ne devrait pas l’inquiéter outre-mesure,
- par ailleurs, consulter une banque d’affaires pour identifier des projets en mesure d’attirer des investisseurs qui seraient ses clients peut poser plusieurs problèmes dont un souci de méthode et des conflits d’intérêts. En effet le résultat pourrait en être le lancement de projets de développement correspondant aux vœux et intérêts des investisseurs et de leur banquier (اللي عندو الكعب يلعب كيما يحب),probablement loin des intérêts de la Nation et de ses projets prioritaires (qui ne sont pas encore identifiés ou alors qui sont bien confidentiels).
Notre nouvelle démocratie ne voudrait-elle pas qu’on cherche des financements pour les projets de la majorité parlementaire qui sont censés servir les intérêts de la Nation avec l’approbation des citoyens ayant voté pour les programmes les plus pertinents ?
Les inquiétudes de la société civile sont tout à fait fondées vu que nos majorités gouvernante et parlementaire, trop souvent préoccupées par des querelles internes entre ceux qui confisquent le pouvoir et ceux qui s’en trouvent exclus, ne s’est pas encore préoccupée d’harmoniser un contenu détaillé ni de ses promesses électoralesde 2014 ni de son plan exécutif commun en 2015 !
Il va de soi que réussir à faire d’un plan exécutif commun à la majorité parlementaire un plan stratégique de développement de la Tunisie doit passer par une consultation élargie bien au-delà des partis majoritaires et des Ministères avec une approche inclusive et participative de l’ensemble de la société civile aux échelles locale, régionale et nationale.
Ceci vient renforcer la nécessité de structurer le dialogue citoyen autour d’un Conseil du Dialogue Citoyen, une sorte de conseil économique, social et environnemental garant de la mobilisation citoyenne, de la cohésion des priorités de la société civile et de la paix sociale et minimisant le fossé qui peut séparer l’action politique de l’opinion publique entre deux échéances électorales.
Un tel espace de dialogue qu’il nous appartient de mettre en place progressivement, sans attendre l’avancement de nos projets de décentralisation, permettrait à la société civile de s’exprime de façon structurée et coordonnée bien au-delà de ses représentants habituels du quartet gagnants du prix Nobel, et ce aux niveaux local (conseils locaux du dialogue citoyen), régional (conseils régionaux du dialogue citoyen) et national (conseil national du dialogue citoyen).
Bonne continuation aux bonnes initiatives de nos gouvernants et apprenons tous à mieux construire ensemble – approche agile etinformative/participative/inclusive - plutôt que de courir le risque garanti de laisser aux uns le soin de détricoter ce que d’autres ont voulu tricoter et parfois déjà tricoté.
Mounir Beltaifa
Président
CONECT France