La Tunisie, de l’autoritarisme à la démocratie
«Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance», tel est le titre du livre mis en vente en France depuis la fin du mois d’ août et dont les coauteurs sont, d’une part Larbi Chouikha, professeur à l’Institut de presse et des sciences de l’Information (Université de la Manouba, Tunisie) d’autre part Eric Gobe, directeur de rechercheau CNRS (IRMC de Tunis).
L’ouvrage méritelargement sa place dans «Repères», cette collection de poche des éditions de la Découverte puisqu’il en remplit pleinementles exigences : prix modique (10€) ; concision (128 pages); rigueur scientifique (les coauteurs sont tous deux chercheurs). En outre, ce petit ouvrage reste accessible à tout un chacun: au spécialiste comme à l’enseignant, à l’étudiant commeà l’honnête homme.
Les auteurs se proposent comme objectif «de présenter une histoire de la Tunisie permettant de comprendre les logiques qui ont présidé à la naissance d’un régime politique autoritaire, à sa pérennisation pendant plus d’un demi-siècle et à sa mise en échec le 14 janvier 2011.» (P.4). Pour ce, ils ont divisé l’ouvrage en trois parties :
A tout seigneur, tout honneur, le premier chapitre est consacré à la présidence de Bourguiba et s’intitule: «La Tunisie de Bourguiba ou la modernisation autoritaire». Le lecteur suit l’évolution de Bourguiba et de son Parti, le Néo-Destour. A la fin du Protectorat et aux tous débuts de l’indépendance, «Le Combattant Suprême» se heurte à la résistance, d’une part, externe de la Zitouna, de l’UGTT et du Parti Communiste Tunisien ; d’autre part, interne, celle de son rival au Néo-Destour, Salah Ben Youssef. L’autoritarisme n’interviendra qu’après la dissidence yousséfiste qui a été matée dans le sang et qui «constitue, en quelque sorte, la matrice du régime autoritaire bourguibien» (p.14). La crise de Bizerte et la tentative de coup d’état de 1962 ajoutés au mouvement yousséfiste «devenu synonyme de complot et de sédition» (p.15), ont abouti à un durcissement autoritaire et rendu illégitime toute opposition.
Un autre fait est à mentionner car ilason importance pour comprendre l’évolution ultérieure de la Tunisie et sa situation présente. La rivalité entre Bourguiba et Ben Youssef avait certes pour objet le contrôle de l’Etat, cependant elle opposait deux visions politiques différentes dont chacune était soutenue par des catégories sociales différentes. Alors que Bourguiba a rallié «les professions libérales, les fonctionnaires, une partie de la petite bourgeoisie, les employés des secteurs public et privé et les ouvriers…» et qu’il a trouvé «un allié de choix dans la centrale syndicale de l’UGTT. » (p.13). Ben Youssef, quant à lui, était soutenu par « la plupart des tribus du Centre et du Sud…le « vieux »Destour et les grands propriétaires terriens.» (p.14)
Le deuxième chapitre est logiquementconsacré à la dictature de Ben Ali et a pour titre:«Ben Ali ou le changement dans la continuité autoritaire ». En effet, il y a continuité puisque ceux qui ont destitué Bourguiba par le fameux coup d’état « médical » et qui ont pris le pouvoir le 7 novembre 1987 étaient tous issus du sérail bourguibien et ils n’ont procédé à aucune rupture et à aucun changement dans le système autoritaire dont ils étaient désormais les maîtres. Après la velléité d’ouverture du début, il y a eu « une reprise en main du pouvoir par l’appareil de sécurité (…) L’omnipotence présidentielle, le parti quasi unique et le quadrillage policier de la société tunisienne restent les clefs de voûte du système. De ce point de vue, le général Ben Ali apparaît bien comme l’héritier du père de la nation.» (p.45)
Le Général a hérité en même temps de la contestation islamiste avec qui, dans un premier temps, il était tenté de composer, mais très vite il est passé à la répression et des islamistes et de tout autre courant d’opposition. Mais la comparaison s’arrête là, car alors que le régime de Bourguiba avait pour projet l’instauration d’un état moderniste, le système de Ben Ali, à force de corruption et de prédation, a fini par faire du pouvoir un moyen d’enrichissement de son clan familial « la corruption des hautes instances de décision, notamment celles d’un secteur bancairecontrôlé par les proches du pouvoir, a ainsi alimenté un «capitalisme des copains»» (p.63)
Ce système prédateur et corrompu s’était plié aux exigences du FMI et s’est intégré dans l’économie mondialisée en procédant aux ajustements structurels et en se faisant passer pour «un bon élève» aux résultats d’autant plus satisfaisants qu’ils étaient statistiquement «maquillés». En réalité, la corruption, la prédation et le népotisme ne faisaient que produire chaque jour davantage de chômeurs «Ainsi s’est installée une situation paradoxale dans laquelle, depuis 2005, le taux de chômage des diplômés est plus élevé que celui des analphabètes» (p.68)…et d’accentuer les disparités régionales «De manière générale, les taux de chômage les plus élevés se trouvent à l’intérieur du pays (…) En 2010, le taux de pauvreté dans la région intérieure du Centre-Ouest d’où est parti le soulèvement en 2010 était quatre fois supérieur à celui du Sahel.» (p.69)
Malgré la chape de plomb de la dictature, cette situation ne peut que provoquer des grèves, des heurts et des émeutes comme ce fut le cas en 2008 dans le bassin minier de Gafsa quiconstitue le signe avant-coureur des évènements du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011.
Enfin la dernière partie «La Tunisie post-Ben Ali : une transition politique pactée» est consacrée à cette période qui nous plus proche et plus familière, s’étendant du départ de Ben Ali en 2011 jusqu’aux élections législatives et présidentielles de 2014.
En une quinzaine de pages, les auteurs rappellent les faits les plus marquants: Le soulèvement et la chute de la dictature ; les élections de 2011 et le gouvernement de la Troïka; la période de violence et d’assassinats politiques; le dialogue national et le «gouvernement de technocrates» et enfin l’adoption de la nouvelle constitution et les élections de 2014.
Est-il nécessaire, pour conclure, de dire combien ce livre d’histoire est précieux pour comprendre la situation présente de la Tunisie et peut-être pour imaginer son futur. En effetdes événements et des faits qui peuvent paraître de prime abord arbitraires, confus voire chaotiques, deviennent, à la lecture de cet ouvrage, compréhensibles car leur cohérence et leur intelligibilité s’y trouvent dévoilées.
Larbi Chouikha et Eric Gobe, Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, La Découverte, 2015, 128p, 10€.
Slaheddine Dchicha