News - 03.06.2015
Bilan des 100 jours : Et, si Habib Essid nous parle plutôt d’avenir !
Quatre mois jour pour jour depuis son investiture le 5 février 2015, le chef du gouvernement Habib Essid reviendra au Bardo ce vendredi 5 juin, s’acquitter d’un devoir qu’il s’était volontairement assigné. Devant l’Assemblée des Représentants du Peuple, il avait en effet pris l’engagement de présenter le bilan des 100 premiers jours de son gouvernement, noble intention, sans doute, mais exercice peu facile à réussir. A moins que!
Si c’est pour tenir aux élus de la Nation et, à travers eux, les Tunisiens, un discours narratif rédigé en rapport d’activités qui magnifie les quelques succès et occulte les nombreuses insuffisances et qui plus est, lu sur un ton monocorde, Habib Essid aura raté sa sortie. Nous savons tous dans quel contexte très difficile il a eu à conduire une équipe de coalition qui, dès le premier jour a dû faire faire aux urgences imprévues et redoutables. La situation dans le pays et la nécessaire construction de l’esprit d’équipe, tout comme l’impératif pour chaque membre du gouvernement, pour la plupart sans expérience gouvernementale préalable, de se poser dans son département, baliser son territoire et y prendre ses marques ne peuvent que consommer ultra-rapidement ces premiers 100 jours. Tout ce qu’on devait demander en fait au gouvernement Essid, c’est de se mettre en ordre de marche et de tenir le pays, le temps d’amorcer en rythme de croisière la prise en charge des grands dossiers prioritaires.
A se contenter de cette unique mission de démarrage, les observateurs tunisiens et étrangers estiment qu’Essid a tenu son pari de base. La sécurité s’est renforcée, la lutte contre le terrorisme enregistre des avancées significatives, la neutralisation de Lokman Abou Sakhr en témoigne éloquemment, la traque du banditisme, du crime organisé et de la contrebande s’intensifie. Deux points chauds accusent cependant de fortes fragilités : la relance économique qui tarde à prendre son élan et les conflits sociaux qui se multiplient en bras de fer. Les récentes positions de l’UGTT qui prend ses distances, comme dans le conflit à la SNCFT, avec une base en roue libre et forte surenchère, apporte une bémol que tous espèrent annonciatrice d’une attitude plus responsable. La reprise de la production dans le bassin minier qui reste sujet à confirmation quotidienne, fournit également un motif d’espoir.
Habib Essid peut ainsi légitimement revendiquer des succès sécuritaires et le début de dénouement de certaines crises sociales et économiques. Il doit reconnaître cependant que nombre d’insuffisances restent à combler. Ce qui est cependant réconfortant, ce sont les succès stratégiques et politiques obtenus pour le pays par le président Béji Caïd Essebsi, notamment auprès de Paris et Washington, avec la perspective du G7, ce weekend.
Qu’il dise la vérité, toutes les vérités, aux Tunisiens
Alors qu’attendent les Tunisiens aujourd’hui du chef du gouvernement ? Un long discours narratif ? Certainement pas. Le rappel des réalisations accomplies et les difficultés rencontrées, en guise de bilan est nécessaire. Il peut faire l’objet d’un livret qui sera distribués aux élus, mis en ligne sur les sites web et remis à la presse. Mais, en moins de 30 minutes, pour ne pas lasser l’auditoire et laisser aux députés le temps de s’exprimer Habib Essid est attendu sur les enseignements majeurs qu’il tire de ces 100 jours.
Qu’il dise la vérité au peuple : qui l’a soutenu et qui a essayé de le bloquer ? Comment son équipe a fonctionné ? Quelles sont les réalisations significatives et que reste-t-il à faire. Qu’il nous parle d’avenir, c'est-à-dire de confirmations, de visibilité, de ce qu’il compte faire au moins d’ici la fin de l’année. Il ne nous reste que le second semestre, déjà pénalisé par la séance unique du ramadan et de l’été, pour rattraper les indicateurs sociaux économiques tant espérés. Qu’il dise clairement aux Tunisiens quels sacrifices et efforts il exigera d’eux et de quel soutien politique il aura besoin.
Pour réussir sa mission, le chef du gouvernement est en droit de bénéficier d’un climat social et politique apaisé, d’une trêve de grèves et revendications, de surenchères et attaques. Sans dénier à l’ARP son pouvoir de contrôle de l’exécutif, à la société civile, les organisations nationales patronales et ouvrières, leur devoir de vigie, et à la classe politique son droit d’opposition en apportant de nouvelles idées bénéfiques, il s’agit de permettre au gouvernement de vaquer avec concentration à ses multiples et urgentes tâches. Comment voulez-vous que tel ou tel ministre puisse s’atteler à une réforme essentielle de l’école, de la fiscalité, du système de transport public, de l’aide aux petits exploitants agricoles, de la restructuration des banques publiques, de la gestion des dettes du secteur touristique, ou encore à une nouvelle stratégie pour le numérique et incitations à l’investissement, alors que la plus grande partie de son temps et de son énergie est épuisée par les débrayages sociaux et les négociations?
Le chef du gouvernement doit avoir le courage de clamer haut et fort la nécessité d’un temps de répit et d’un devoir d’union nationale. C’est cette franchise et cette sincérité qui rassurera les Tunisiens, ne serait-ce que sur le court terme. Si, par inadvertance, Habib Essid ne capte pas l’attention et ne convainc pas, ce vendredi, il perdra une occasion précieuse de gagner la confiance du peuple et de fournir à son gouvernement le soutien politique qui lui est indispensable. Lassé et déçu, le peuple se focalisera alors sur les examens de fin d'année et la préparation du ramadan et des vacances, en attendant des jours meilleurs. Mais, ceux qui connaissent le chef du gouvernement, savent qu'il est capable de sauver la mise. D'ailleurs, il n'a pas le choix.
Taoufik Habaieb
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