Hommage à ... - 17.01.2015
Slim Aloulou, le dirigeant international du Football, le Gouverneur
Il est paradoxal qu’à l’heure où un ancien haut fonctionnaire d’Etat et chef d’entreprise nous quitte, ce soit son passage à la tête de la Fédération Tunisienne de Football qui vienne en premier à l’esprit du grand public. Mais il est incontestable que Slim Aloulou, appelé par deux fois à présider la FTF, soit associé pour y avoir été en charge alors à la période de référence de l’histoire du football tunisien dans l’imaginaire collectif à ce jour.
Le paradoxe est encore plus grand lorsque l’on sait que le jeune homme, né à Sfax le 26 février 1942 et ayant grandi à Tunis avant de poursuivre ses études de droit à Paris, ne fut pas particulièrement féru de football. Du moins, pas plus qu’un autre. Mais le parcours de celui qui fut président de la fédération de 1976 à 1980 puis de 1986 à 1989 souligne l’importance quasiment essentielle du football dans notre société, et la volonté de l’Etat d’en assurer l’administration et le contrôle pendant toute une époque.
La première mission de Slim Aloulou à la tête du football tunisien en témoigne : c’est un haut commis de l’Etat -quoique très jeune- émargeant au ministère de l’intérieur, déjà gouverneur par deux fois et qui chapeauta l’Union Générale des Etudiants Tunisiens, qui est appelé à la FTF en 1976 par Foued M’bazzaâ, alors ministre des sports. Sa seule expérience comme dirigeant footballistique est la présidence des supporters du Club Sportif Sfaxien, où, déjà, il est apparu comme l’homme idoine, faisant consensus sur suggestion de son cousin qui fait partie des dirigeants du club.
La fédération nage alors en plein marasme. Aux dissolutions succèdent les recompositions du Bureau Fédéral par la tutelle, aux rivalités entre clubs répond la grève des arbitres, et pour couronner le tout, le cadre technique de la sélection nationale a connu une certaine instabilité. Les résultats de cette dernière sont d’ailleurs une succession d’espoirs déçus et de beaux parcours trop souvent inachevés. Et pour ne rien arranger, le nouveau sélectionneur Abdelmajid Chetali et le meilleur joueur du moment, Mohieddine Habita, sont en conflit.
Le nouveau bureau fédéral, mélange de jeunesse et de compétence que les responsabilités professionnelles de ses membres prouvent, commence par conforter le sélectionneur et son staff technique dans leur tâche. Les résultats vont leur donner raison, et la sélection enchaîne les bonnes performances, garantissant une certaine sérénité à l’ensemble de l’appareil fédéral et lui permettant d’avoir la quiétude nécessaire pour mener à bien d’autres réalisations.
Car l’époque offre une conjonction de circonstances favorables que sait intelligemment exploiter le bureau fédéral que préside Slim Aloulou. Ainsi la FIFA vient de changer d’époque : au très passéiste Stanley Rous a succédé en 1974 le très moderne Joao Havelange, qui transforme rapidement la fédération internationale d’un club pour vieux messieurs en une multinationale dynamique et… profitable. Il adosse l’instance suprême du ballon rond à deux partenaires économiques et logistiques de poids, Adidas et Coca-Cola, qui vont lui permettre de réaliser plusieurs de ses ambitions, et de satisfaire à certaines de ses promesses électorales.
En effet, le Brésilien a été élu en promettant d’accorder plus de place à l’Afrique dans le monde du ballon rond. Coca-Cola se propose de prendre en charge les frais d’organisation d’une toute première Coupe du Monde des moins de 20 ans, appelée à se tenir en 1977. En confiant ce nouveau tournoi à la Tunisie, une première remarquable pour le pays et sa fédération, la FIFA ne prend que peu de risque tout en satisfaisant à ses engagements. Dans le même temps, la sélection tunisienne qui auparavant évoluait dans des équipements fournis au gré des circonstances, est approvisionnée dorénavant par Adidas, qui désormais parraine également le concours du Soulier d’Or.
Tout n’est certes pas rose, et certaines affaires (comme celle de Ghommidh, suspendu alors que d’autres cas similaires virent leurs protagonistes graciés) morcellent parfois l’unité fédérale. Mais au moins le tournoi junior, quoiqu’expérimental, est une vraie réussite à l’actif de Slim Aloulou et de ses pairs. Certes, la piètre performance de la sélection junior et un succès populaire mitigé ne l’enchantent guère, mais au moins l’organisation a été saluée par les différents observateurs. Même les extravagances de Michel Vautrot (faisant retirer quatre pénalties et manquant de fausser la décision) en finale ne terniront pas cette première historique.
En parallèle, les résultats de l’équipe nationale continuent à satisfaire, et l’instance fédérale n’y est pas étrangère. Renforcée par Younes Chetali, le frère du sélectionneur, elle évite que la contreperformance face au Nigéria, montée en épingle par certains journalistes, ne provoque la démission de l’entraîneur national et ne saborde tous les efforts fournis. La FTF bouscule également le calendrier, supprimant la coupe de Tunisie (une première en temps de paix) afin de donner plus de temps au staff technique pour préparer au mieux la sélection. A raison, puisque cette dernière obtient non seulement sa première qualification pour la Coupe d’Afrique en quinze ans mais également son billet pour la Coupe du Monde en Argentine.
Après avoir du gérer quelques moments délicats comme un abandon de terrain lors de la CAN, ou la mise à l’écart du légendaire Attouga, Slim Aloulou peut s’enorgueillir de la première victoire ‘mondiale’ d’une sélection africaine. L’euphorie provoquée par un tournoi argentin réussi est telle que l’on envisage même le passage au professionnalisme afin de corriger l’amateurisme marron en cours. Las, la décompression va être quasiment totale. A l’intersaison, c’est une trentaine de joueurs qui quitte le pays, en vue de s’assurer un confort matériel dans les pays du Golfe. Plus grave encore, une vingtaine de techniciens leur fait écho. Le niveau du football s’en ressent, celui de la sélection aussi, et les projets sont remisés par la tutelle. Après une élimination plus que frustrante aux éliminatoires de la Coupe du Monde suivante, il est temps pour le bureau en place de tourner la page après quatre années pour le moins intenses.
Dix ans après sa première ‘convocation’ à la tête de la FTF, Slim Aloulou est de nouveau requis, par Hamed Karoui cette fois. L’équipe nationale vient d’être pulvérisée par l’Algérie sur le chemin du Mexique, elle ne dispose même plus de sélectionneur, et le diktat de l’autorité interdit de faire appel aux ‘anciens’ joueurs –qui font pourtant encore les beaux jours de leurs clubs. Devant œuvrer dans l’urgence de façon permanente, affrontant une instabilité chronique du staff technique où se succèderont quatre sélectionneurs en à peine quinze mois, le président de la fédération supporte encore moins la nouvelle ère d’ingérence qui s’est ouverte en cours de mandat.
Quelques satisfactions seront cependant à retenir de cette deuxième époque : la levée de l’exclusion de Tarak Dhiab de la sélection, ou la qualification olympique inespérée mais méritoire obtenue sous la houlette de Taoufik Ben Othmane, un des artisans de l’épopée argentine lui aussi. Mais ce second mandat sera écourté par Slim Aloulou lui-même, certaines rivalités et ingérences lui étant devenues proprement insupportables. Il ne coupera cependant pas cette fois-ci les liens avec le football, ayant intégré le comité exécutif de la FIFA en 1988 et continuant de faire partie de cette instance même lorsqu’il fut ‘invité’ à céder sa place à un autre dirigeant tunisien.
La Confédération Africaine de Football dont il était également membre a décrété une minute de silence à sa mémoire lors de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des Nations, tenue quatre jours après son décès le 14 janvier 2015.
Sadri Sioud
Photos: Collection privée de Khélil Chaïbi
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